Chapitre 11

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Je mets la robe noire que Susana m'a prêté. Elle descend jusqu'au genou et elle a l'avantage d'être exclusivement noire. Puis je retrouve mon frère dans le salon. Il est vêtu d'une chemise blanche qui lui donne un aspect très chic, peut-être un peu trop chic pour un diner familial. La table est déjà mise, douze couverts pour douze invités.

J'éprouve une soudaine crainte à l'idée de me retrouver dans la même pièce que toutes ces personnes. Je sais qu'ils font tous partie de ma famille et que je devrai les accepter au même titre que j'ai accepté Andrew. Mais mon esprit refuse de s'apaiser entièrement. J'angoisse d'oublier leur prénom, de faire une faute devant les plus petits qui n'ont sans doute pas compris que j'ignore qui ils sont. Je révise intérieurement notre arbre généalogique.

Brandon, notre oncle, sera le seul homme présent sans compter les enfants. Il s'est marié une première fois avec Lucie, puis ils ont divorcé. Non, c'est Stéphanie ou Lucie ? Je ne m'en souviens plus. Je m'apprête à poser la question à mon frère quand la sonnerie de la porte d'entrée retentit. Mon regard se tourne immédiatement vers la porte et mon cœur s'accélère.

Andrew me tend la main et nous allons ouvrir ensemble.

- Bonjour ! s'exclame Brandon.

- Comment ça va ? demande la femme qui l'accompagne.

Je ne sais même pas quoi répondre, ne pas connaître son nom ne m'aide pas vraiment. J'ouvre la bouche mais aucun son ne veut en sortir. Je regarde mon frère, puis je la regarde elle. Mes yeux s'attardent sur les enfants qui l'accompagnent, une fille, deux garçons et son petit ventre bien rond.

- Je suppose qu'il vaut mieux refaire les présentations, n'est-ce pas ? Je suis Brandon, ton oncle, voici Lucie, ma femme, je pense qu'Andrew t'a déjà expliqué le côté complexe de notre famille. Voici mes deux enfants, Malia et Jake, et voici Peter le fils de Lucie. Et bien-sûr notre petit dernier ou petite dernière on ne sait pas encore, termine-t-il.

Je fais un petit sourire en coin et commence à dire bonjour à cette grande famille recomposée. Quand vient le tour de la petite Malia, la fillette se jette dans mes bras.

Une fois tout le monde installé dans le salon, je prends conscience du silence qui s'est installé. Je devine immédiatement qu'il est inhabituel. En dévisageant les personnes qui m'entourent, je remarque que tous les regards sont braqués sur moi. Même les enfants ne détachent pas leurs yeux de moi. Cette situation m'irrite un peu, s'attendent-t-ils à ce que je me souvienne d'un seul coup ou qu'un souvenir refasse surface ? J'ai besoin de sortir de cette pièce, de ces attentes illusoires. Je ne peux pas me souvenir comme ça. Je quitte la pièce sans dire un mot en essayant d'oublier cette sensation d'observation.

J'entre dans ma chambre. Je referme la porte derrière moi et sans même allumer la lumière je me dirige vers un coin de la pièce. Je me recroqueville sur moi-même, la tête entre les jambes. J'entends le bruit sourd des conversations qui se déroulent dans le salon, ils n'osent pas parler à voix haute, ils n'osent pas venir me chercher.

Une larme coule le long de ma joue. Un immense flot de sentiments déferle en moi, tout ce que je refoulais sans le savoir. Et ça fait tellement mal. Je ne m'attendais pas à réagir de cette manière, tout s'était tellement bien passé avec Susana que j'ai immédiatement accepté lorsque Andrew a relancé la proposition du diner familial.

La porte d'entrée sonne encore, je ne sais même plus qui doit venir ce soir. Les noms se bousculent dans ma tête sans que je parvienne à en saisir un seul. Pendant un temps, il n'y a pas de bruit puis une femme dit : « Ce n'est pas comme ça que nous allons l'aider ». Quelques secondes après, la porte de ma chambre s'ouvre. L'inconnue mets un certain temps pour me trouver dans mon coin de la pièce. Je dois être dans un état pitoyable.

- Tu veux rester dans le noir où je peux allumer la lumière ?

Je murmure un non presque inaudible en contraste avec sa voix qui, sans doute, est entendue à travers toute la maison. Il n'y a plus aucune voix dans le salon.

- D'accord, restons dans les ténèbres. En même temps avec une chambre aussi rose que la tienne je comprends qu'on puisse préférer ne plus rien voir.

Je rigole doucement et elle se rapproche de moi les yeux grands ouverts.

- Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de ma Cathy ? Avant tu m'aurais fait une dissertation complète sur l'amour que tu portes au rose. Si j'avais su qu'une perte de mémoire aurait pu arranger cela, je t'aurai percuté en voiture personnellement !

Cette remarque nous fait rire toutes les deux. Je me sens bien à ses côtés, elle allège facilement l'atmosphère de la pièce. Son sourire est visible même dans la pénombre à tel point qu'il est contagieux.

- Je m'appelle Katherine mais tu peux m'appeler Kathy avec un K.

- Kathy ?

- Voilà, avec un K !

- Donc Kathy avec un K, qui es-tu pour moi ?

- Je suis ta cousine, on a le même âge, je suis juste un tout petit peu plus jeune que toi.

Je hoche la tête pour lui faire entendre que j'ai compris.

- C'est pour cela qu'on me surnomme Kathy. A chaque fois qu'on était toutes les deux, je faisais tout ce que tu faisais et comme on se ressemble beaucoup j'ai eu le droit au charmant surnom de Mini Cathy et Kathy est resté. Mais, entre nous, on a toujours détesté ça, toi autant que moi. Parce qu'au fond on ne se ressemble pas vraiment tant dans le caractère que dans l'apparence. Alors oui on est brune mais ce n'est pas pour ça qu'on est des clones ! Du coup pour protester, tu as décidé de m'appeler Kat !

- Quelle rébellion !

- Oui on n'est pas du genre à se laisser faire.


Mon trou de mémoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant