2 - Heureuse rencontre

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Cela faisait trois semaines que Steve avait recommencé à travailler et il se sentait toujours aussi mal. Il avait espéré que, à force, le gout de vivre finirait par lui revenir ou qu'il était contagieux, et que Robin le lui transmettrait. Mais non. Il travaillait comme un fou pendant la journée pour ne pas penser et déprimer le soir. pendant toute cette semaine, il n'avait eu aucune nouvelle des gamins, qui avaient sans doute mieux à faire que rendre visite à leur "baby-sitter", surtout depuis qu'il ne pouvait plus leur fournir un accès gratis au cinema.  

Et puis il y avait Billy. Selon Robin, il n'était pas encore sortit de l'hôpital, mais cela ne devait pas tarder. Steve ne savait pas trop pourquoi, mais le sort du californien lui importait. C'était sans doute simplement parce que, après avoir passé autant de temps avec un Billy comateux, il se sentait un minimum concerné, mais au fond de lui il espérait aussi, sans oser se l'avouer, que l'autre soit en aussi mauvais point que lui. Pas par méchanceté, loin de là, mais simplement parce que souffrir à deux c'est moins dur, qu'une souffrance partagée est plus légitime. Seul au milieu du bonheur des autres, il avait l'impression d'être un imposteur, de ne pas être à sa place. Si seulement il avait quelqu'un a qui parler de toute ces merdes...

Alors, de temps en temps, il glissait une question discrète (ou du moins qu'il pensait être discrète), à Robin qui commençait à trouver cela étrange, mais qui lui disait toujours tout ce qu'elle avait pu glaner comme information. Elle savait que Steve avait passé beaucoup de temps au chevet de son ennemi, et qu'il lui avait même apporté des fleurs : les infirmières ne parlaient que de ça. Ce beau gosse qui apportait des fleurs à un autre beau gosse dans le coma les faisaient rêver. Ou les agaçaient, cela dépendait du caractère. Celle qui avait téléphoné à Steve, notamment, ne se privait jamais de dire du mal de lui et de le traiter de tapette, tafiolle, ou autres gentillesses (elle se découvrit à cette occasion une passion pour les insultes homophobes). 

Bien sûr, Steve n'en savait rien, mais Billy, lui, devait les supporter chaque jour. Robin, elle, avait hâte qu'il sorte pour le mettre en face de son "petit ami". Et ce jour fini par arriver.

Steve, pour une fois, n'était pas relégué dans le coin le plus reculé de la boutique, là où personne ne pourrait s'offusquer de son manque de culture cinématographique. Non, aujourd'hui il était à la caisse et il en était fier. Pourquoi ? Parce qu'il avait oublié que le lundi matin, il n'y avait jamais aucun client. 

Ce fut sans doute pour cela que Billy choisit de venir ce jour-là, le seul où il n'y aurait aucun témoin.

Quand Steve l'aperçut, il crut d'abord à une hallucination : après l'avoir vu pendant si longtemps endormi, dans une chambre d'hôpital trop blanche, le voir ici, bien vivant, lui paraissait totalement surréaliste. Pour lui, Billy était devenu l'incarnation de sa déprime, comme si c'était une part de lui, celle qui était joyeuse et insouciante, qui était tombé dans le coma, et non un être humain bien réel et au passage son meilleur ennemi. Puis il se senti soulagé : le californien avait de nouveau aux lèvres ce sourire moqueur qui vous rappelait que vous n'étiez qu'une merde à coté de lui : c'était comme avant, c'était rassurant. Mais ce soulagement s'estompa bien vite quand il se rend compte que l'autre savait sans doute qu'il était venu le voir tout les jours, et que cette nouvelle n'avait pas dû lui faire très plaisir.

Et effectivement : 

- Des fleurs, Harrington, sérieusement ? 

Steve avait oublié ce petit détail là. Effectivement, cela pouvait porter à confusion. Du moins pour qui ne les connaissait pas. 

- Personne ne venait jamais, ça faisait un peu pitié.

Le brun regretta aussitôt cette remarque : ce n'était pas le genre le genre de truc qu'on voulait entendre lorsqu'on sortait d'un coma. Mais il y avait mis une bonne dose de sarcasme et, avec un peu de chance, Billy ne le prendrait pas sérieusement. 

- Je sais, personne pour se lamenter au chevet du monstre qui a essayer de détruire le monde entier, étonnant, non ? 

Pas de chance. Mais ce qui réellement étonnant, c'était l'absence de colère dans les yeux du californien lorsqu'il prononçait ces paroles. Steve s'était attendue à le revoir dévoré par les remords : son sacrifice prouvait bien qu'il regrettait ce qu'il avait fait, non ? De plus, se faire posséder n'est pas vraiment une expérience amusante, alors pourquoi paraissait-il presque heureux ? Même avant, quand tout était encore normal, Billy n'était pas heureux. Il lui arrivait d'être triomphant, méprisant, en colère, mais pas heureux. Avec une légère honte, Steve se rendit compte que cela l'énervait. Pourquoi, après tout ce qu'il avait fait, allait-il mieux que lui ? Cette, il était possédé, ce n'était pas de sa faute, mais il se souvenait, au moins un peu, sinon il ne se serait pas désigné comme un monstre. Et si il se souvenait, si il savait ce qu'il avait fait, comment pouvait-il semblait si... normal ? Billy n'avait jamais été normal.

- Toute les infirmières pensent qu'on sort ensemble, Harrington. Tu imagine l'enfer que ça a été, entouré de folles qui trouvaient cela adorable et d'autre folle qui trouvaient ça dégouttant ? Chaque jour elles me demandaient des nouvelles de toi et voulaient savoir pourquoi tu ne venait plus maintenant que j'étais réveillé. Je crois qu'elle se sont mis en tête que tu étais une sorte d'amoureux transit et que leur rôle était de jouer les entremetteuses parce que elles passaient leur temps à te jeter des fleurs : "Il est si poli si bien élevé !", "Il est encore plus beau que mon premier mari !", "Il a l'air de beaucoup tenir à vous, il venez tout les jours, c'est très rare même chez les couples les plus solides" : aucun doute, elles savent ce qui fait rêver les hommes. Mais en réalité, moi aussi je me pose la question, pourquoi tu as arrêter de venir me voir ? Eh, King Steve, tu m'écoute ? 

- Euh, oui bien sûr !

Il avait compris quelque chose à propos d'entremetteuses, d'infirmières folles, d'hommes qui rêvent et d'un couple adorable ou dégouttant, ou les deux ? mais le sourire de Billy l'avait un peu déconcentré et il n'étais pas sûr de comprendre son rôle dans l'histoire. Il voulait juste savoir pourquoi cet imbécile souriait tandis que lui passait son temps à se morfondre. Si il avait une recette miracle, Steve était preneur. Mais il n'était bien évidement pas question de simplement lui demander ce qui le rendait si heureux...

- Qu'est ce qui te rend si heureux ?

La question sembla prendre Billy au dépourvu et il détourna les yeux, gêné. 

- Rien de spécial. Je ne devrais pas être heureux, c'est ça ?

Eh merde ! Pourtant la question du californien n'était pas réellement agressive, elle tentait juste de l'être. Mais pourquoi ? Est-ce qu'il ne pouvait tout simplement pas s'empêcher d'être heureux ? Juste parce qu'il était en vie, qu'il faisait soleil et qu'il s'amusait à se moquer de l'ancien roi du lycée du Hawking ? 

- Je ne voulais pas dire ça, excuse moi. 

- Non c'est bon, autant être honnête. Bye, King Steve !

Il lui tourna le dos et se dirigea vers la sortie.

- Eh attend, t'as pas répondu à ma question !

Trop tard : il était déjà parti. 


Le soir même, quand Steve rentra enfin, l'esprit et le corps aussi épuisé l'un que l'autre, il prit, sans plus hésiter, une des lames de rasoirs qui trainaient dans le placard à pharmacie blanc, qu'il utilisait si souvent autrefois, après une bagarre ou un match un peu trop violent. Elles étaient vieilles : c'étaient celle de son père, qu'il utilisait quand il rentrait, quelques jours par ans. Il passa doucement un doigt le long de la lame, et une goutte de sang perla, si rouge, si belle. Lentement, très lentement, il la fit glisser au creux de son poignet gauche, là où la peau est si fine, les veines si belles. Et la douleur afflua. Elle remplit le vide, effaça les douleurs morales, pour ne plus laisser qu'elle, et lui permettre de voir le monde à nouveau, de ne plus être prisonnier de lui-même. 

Stranger LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant