« - Ta vie ne te convient-elle pas, Félix ? »
Le jeune homme posa un regard surpris sur sa supérieure, ses yeux noisette esquivant les prunelles claires et incroyablement froides qui scrutaient son visage.
« - Si. Si, madame. »
La figure d'autorité recula alors son dos au plus profond du siège sur lequel elle trônait, le jugeant une dernière fois.
« - Et bien retourne en salle, dans ce cas. Arrête de fuir les clients qui réclament que tu les serves.
- Bien, madame. »
Le dénommé Félix pencha son torse vers l'avant, courbant son corps fin en signe d'approbation et de respect, avant de pousser sur ses jambes pour se redresser. Il pivota avant d'attraper ses mains, nerveux, commençant à triturer ses doigts. Son regard se perdit dans le vide alors qu'il se mit en marche pour quitter cette grande pièce qui semblait transpirer une aura malsaine, lourde, qui lui écrasait les épaules. Mais il préférait encore cet endroit à la fameuse salle qui l'attendait.
Félix était un homme de taille moyenne, aux traits fins et à la crinière rousse. Son visage arborait une constellation unique, ses joues et son nez étant parsemé de petites étoiles couleur caramel. Rien qu'à l'observer, on pouvait distinguer la noblesse et la puissance de sa race, vivant sûrement dans le quartier des lunes depuis sa tendre enfance. Peut-être ne connaissait-il même pas l'existence du peuple inférieur, les Dhaos, qui se terrait bien loin de la cité qui baignait dans la prospérité et une clarté bien trop épuisante pour les faibles Dhaos. Et pourtant, d'après certaines rumeurs, certains réussiraient à vivre parmi le peuple des Phaos, cachés de tous, dans une infinie discrétion, en plein cœur du quartier des Lunes. Mais l'ignorait-il réellement ?
Le jeune homme glissait entre les tables, gracieux mais absent. Les regards bien trop curieux et affamés qui se posaient sur lui ne le baignaient pas de douces intentions ni même de tendresse, mais de désir répugnant et obsessionnel. Félix devait vivre avec depuis à présent 3 ans, fantasme de bien des clients masculins bouillonnant et incapable de reconnaître leurs vils travers pour ne pas subir les moqueries de la société. Il n'était donc pas étonnant de voir, midi et soir, le roux s'activer de table en table, escorter et dévorer des mêmes regards. Et la salle était évidemment comble à chaque ouverture.
« - Garçon, par ici ! Nous avons choisi ! »
L'appelé se hâtait vers la table, contrôlant son souffle pour ne jamais laisser paraître sa gêne et sa timidité face à tant d'impolitesse envers lui. Le dévisager de la sorte alors qu'aucun ne le connaissait... Arraché trop rapidement à sa famille, désireux d'un grand avenir, il était à présent seul face au monde, souffrant d'un cruel manque d'attention et de tendresse que rien ni personne ne semblait pouvoir combler. Si bien que son surnom avait vite fait le tour de la cité : le « Stray Kid ». Comme si tout le monde souhaitait l'adopter pour le mettre dans un coin de sa demeure, ni pour le choyer ou même l'éduquer, simplement pour décorer et se vanter de posséder un si beau représentant du peuple Phaos.
« - Tu nous mettras la spécialité du chef, gamin. »
Félix recula alors d'un pas, près à esquiver une main baladeuse qui pourrait traîner non loin du bas de ses reins.
« - Bien, messieurs. »
Rien n'était meilleur moment que lorsque Félix finissait sa journée. Un soupir de bonheur franchit ses lèvres alors qu'il étirait vers le ciel ses bras endoloris par le poids des plats, dans la coure arrière de la taverne. Alors qu'une épaisse obscurité couvrait les flancs du mont sur lequel vivait leur colonie toute entière, le jeune homme observa s'embraser au cœur de cette nuit perpétuelle des milliers de petites lucioles. Il n'avait aucune idée de ce que cela pouvait être, mais il aimait les voir s'allumer, galoper dans la pénombre, rester immobile, ou encore changer de couleur à volonté. Cette invention était si belle... La cité ne s'éteignait jamais, elle. Même si la toile immense tendue au-dessus de leur tête fonçait, les sols et les bâtiments luisaient toujours faiblement, comme pour guider les âmes du peuple et éloigner les menteurs et mauvais esprits. Les Dhaos. Si proches et pourtant si différents... Personne ne savait grand-chose sur eux, si ce n'est qu'ils apportaient la mort elle-même avec eux, perchée sur leur épaule tel un rat immonde. A cette pensée, le garçon fut secoué d'un frisson d'angoisse alors que son teint pâlit, imaginant l'une de ses créatures. Etait-il possible de s'en débarrasser ? De s'en protéger au moins ? Visiblement, oui... Il n'avait jamais eu à les affronter...
« - Félix ! Je ferme !, hurla une voix forte, faisant tressaillir l'interpelé,
- J'arrive ! » répondit-il en faisant volte face et en commençant à courir à travers les cuisines, la grande salle vide pour débouler en trombe dans le petit hall d'accueil de l'établissement.
Les deux collègues échangèrent un sourire, leur supérieure ayant déjà quitté les lieux et ne pouvant les empêcher de se réjouir de la journée de repos qui les attendait. Leur chemin se séparait là, et le roux devait ainsi rentrer seul.
Se mettant en marche, il laissa son regard flâner sur la myriade d'astres qui allumaient le ciel, bien moins gros que les lucioles qui s'affairaient dans le vallon, mais assez magnifique pour accaparer son regard luisant.
Quelque chose sembla alors lui frapper la tête, telle une immense fatigue. Le jeune serveur s'arrêta quelques instants pour reprendre ses esprits, ses jambes minces vacillant sous lui. Ses yeux dans lesquels s'allumait une certaine détresse balayèrent la foule, dans un appel à l'aide muet. Sa mâchoire crispée l'empêchait de dire ne serait-ce qu'un mot, son petit nez se retroussant instinctivement : c'était insupportable, comme si on l'avait drogué... Ses prunelles accrochèrent alors le regard sombre d'un jeune garçon, de son âge environ ? Ce dernier était assis par terre, contre le mur du bâtiment qui longeait le chemin pavé, se tenant le genou dans une grimace douloureuse. Et plus rien. Plus aucune fatigue ne semblait l'accabler, alors qu'il se perdit dans le regard de cet inconnu. Aucun des deux n'osait bouger, l'homme par terre le dévisageant, la bouche entrouverte. Mais était-ce ça ? Une bouffée de chaleur vint étouffer Félix, ses joues s'empourprant ardemment alors que son vis-à-vis l'admirait sincèrement. Le temps semblait s'être figé, alors que tout deux continuaient de s'observer, curieux, silencieux, en proie à mille questions. Le visage du blessé était long et également très fin, balayé par de longues mèches brunes qui auraient presque pu dissimuler ses yeux si elles avaient été ne serait-ce plus longues que de quelques millimètres. Cette contemplation mutuelle aurait pu durer pendant encore un bon moment, mais le noiraud baissa précipitamment la tête, visiblement rongé par la gêne. Et la culpabilité. Mais Félix l'aurait-il su ? Jamais, bien évidemment. Et alors que ce dernier se paraît de son plus doux sourire, l'inconnu se releva rapidement, sans même lui jeter un dernier regard, et s'enfuit en boitant, disparaissant dans la foule rapidement.
« - Hey ! » tenta Félix, désemparé et se lançant à ses trousses.
Mais le brun demeurait introuvable, il avait beau courir et regarder partout, il n'y avait plus personne. Le serveur se décomposa alors, planté en plein milieu de son peuple qui dessinait un large cercle autour de lui pour l'éviter, personne ne comprenant ses cris soudains, le jugement se lisant sur leur faciès grotesque.
« - Où es-tu... » murmura-t-il, ayant encore du mal à accepter qu'un boiteux ait pu le distancer et disparaître aussi facilement.
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J'espère que ce petit début vous plaît ! Ce n'est pas très long mais j'espère néanmoins que c'est une bonne introduction :)
N'oubliez pas de laisser un petit commentaire si cela vous a plus, je pense poster la suite la semaine prochaine !
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Change my world
FanfictionDeux peuples qui s'opposent. L'un vivant dans la luxure et le luxe, contre l'autre qui se dissimule, qui se cache et qui trouve refuge parmi ceux qui les fuient. Félix est un jeune homme dans la force de l'âge qui aspire à une autre vie, qui n'a jam...