Juste un soupçon

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Félix alluma l'eau qui se mit à jaillir par le pommeau surélevé, s'écrasant contre son corps transit et déjà trempé par la pluie. Un frisson de plaisir galopa contre sa peau et il ferma les yeux, profitant de la cascade presque brûlante qui enveloppait avec une brutalité tendre ses pauvres membres engourdis. Il pensait, encore et encore. A ce qu'il avait lu, au regard des siens... A lui. Avait-il été dupé par on ne sait quel procédé ? Comment une personne blessée pouvait-elle se servir de quelqu'un en parfaite santé ? Etait-ce juste son intention... ? Son cœur se pinça timidement, hésitant réellement à laisser paraître une once de faiblesse ; cette affection qui faisait lentement rougir son visage. Quelque chose qui l'avait frappé si fort à leur première rencontre, quand ils avaient plongés dans le regard de l'autre, muet et en proie à un même rejet de la société. Changbin était-il quelqu'un de mauvais ? Quelqu'un à fuir ? Ne l'aurait-il pas agressé pendant son sommeil alors ?

Un soupir franc franchit ses lèvres alors que ses sourcils se fronçaient, son bras droit appuyé contre la paroi de pierre qui lui faisait face, le visage baissé vers ses pieds. Une émotion forte le prenait au ventre quand il repensait au garçon, mais il ne devait pas se laisser aveugler par un ressentis. Et pourtant c'était trop dur de faire abstraction de la curiosité qui le dévorait alors qu'à chaque fois qu'il fermait les yeux, il pouvait sentir son souffle contre sa nuque et sa voix basse réclamer qu'il lui livre tous ses secrets. Un désir profond qui s'était allumé au moment même où il l'avait découvert dans cette rue. Félix ressentit un fourmillement au creux de son ventre, ses joues ayant rougis alors qu'il commença à secouer la tête dans tous les sens pour chasser cette pensée persistante. Il serait peut-être mieux qu'il l'évite à présent ? Ou son peuple entier finirait par le persécuter... Mais en avait-il quelque chose à faire ? Est-ce que les Phaos le gratifiaient d'autres choses que de leur désir répugnant, de leur indifférence et de leur jugement ? Avoir un véritable soutien n'était-il pas plus important ? Mais Changbin était-il vraiment quelqu'un de confiance ?

Une moue déconfite étira ses lèvres alors qu'il finissait par s'exclamer :

« - Ah ! J'en ai assez... Pourquoi ça me retombe toujours dessus... ? »

Félix se saisit de son parapluie posé contre la porte. Il l'avait toujours adoré mais maintenant il se demandait sincèrement s'il ne devait pas en changer ; ce dernier transparent étant décoré par une pluie de grosses étoiles dorées. Il avait passé l'âge de ce genre de motif ! Ou plutôt, il avait maintenant peur que l'on se moque de lui... De toute façon, hors de question de se laisser tremper par la pluie aujourd'hui ou il allait définitivement tomber malade.

Comme une ombre, il se promena sur les pavés de la cité, se rendant au travail alors que personne ne semblait lui prêter plus d'attention, l'animosité de la veille semblant retombée. Soulagé, il ne put réprimer un petit sourire, un gros poids glissant de ses épaules. Alors à ce moment, il aurait juré voir la lumière des pierres de la cité gagner en intensité pour passer d'un blanc ocre et fade à un blanc nacré presque éblouissant. Etait-il fatigué... ? Il secoua la tête négativement, continuant sa marche dans la rue.

Les maisons de la cité étaient simples, elles ressemblaient à des œufs dont la pointe se dressait vers le ciel pour la plupart. D'autres ressemblaient à des cubes avec un toit en argile blanche, argile en fait fabriquée à partir de cette même pierre d'étoile qui constituait toute la cité. Au centre de cette dernière se tenait une immense colonne dont on ne pouvait voir le sommet qui se perdait dans une nappe grise de nuage. D'immenses ponts la rejoignaient mais il n'y avait aucune entrée. On racontait que par le passé, les divinités traversaient la roche pour venir veiller sur les Phaos et pour vérifier que les Dhaos ne pénétraient pas la cité. Les Uranies utilisaient également la tour pour offrir des présents et des pouvoirs incroyables à leurs descendants. Mais un jour, le soleil rencontra la lune et l'on raconte que depuis, plus personne n'a emprunté les ponts. Les Phaos ne pouvaient pas traverser la paroi et tout contact avec les Dieux a cessé. Que disait la suite de la légende déjà... ? Tout en réfléchissant, Félix s'aperçut qu'il venait d'arriver devant le restaurant où quelques uns de ses collègues étaient déjà arrivés. Il les salua de manière assez brève avant de se diriger vers un jeune homme plus grand que lui, aux cheveux blonds comme le miel.

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