9-On ne le dit pas assez

2.1K 145 8
                                    

William

Un chasseur de têtes. Venu de Miami.
Laissez-moi rire.

  Mais le bleu a l'air on ne peut plus sérieux quand il me balance ça, un vendredi après-midi, dans les vestiaires, alors qu'il n'y a que nous deux.

  Je reconnais que je l'évite de plus en plus en ce moment. Ce n'est pas personnel, mais depuis que j'ai été convoqué par le proviseur, je ne peux même plus regarder un seul de mes amis en face. 

  Des résultats catastrophiques en histoire. C'est ce qu'on m'a dit. Je le savais déjà, sauf que je ne vais plus pouvoir jouer au basket selon mes parents si je ne corrige pas le tir. Et un bulletin de merde, ça n'attirera aucune université.

  À chaque fois que je croise Arthur dans les couloirs, je me rappelle son expression de fierté absolue quand je lui ai dit que j'allais jouer en NBA. Si je suis incapable de rendre concret mon propre but, comment puis-je encore le regarder dans les yeux ?

  Voilà que moi, le grand Will, je commence à cohabiter avec la honte. Et c'est encore pire que tout ce que je croyais, de s'apercevoir qu'on risque de ne pas être à la hauteur. Ça ne m'était encore jamais arrivé.
  C'est franchement horrible.

-Et je peux savoir, comment t'as convaincu ce David Christiansen de venir assister à une finale à Nice de sous-juniors ? demandé-je en enfilant un sweatshirt des Cavs.

-Je...Je connais quelqu'un qui le connait. Et ce Christiansen, c'est un ancien manager. Il a bossé avec Evan Fournier. Si jamais on gagne la finale, il pourrait appuyer ta candidature pour que tu puisse étudier aux States. C'est cool, non ?

  Cool ? C'est peut-être même le miracle inattendu que j'espérais en vain, depuis quelques mois.
  Je lui sauterais bien au cou, tiens, s'il n'était pas aussi frêle.

-T'es un petit génie, finalement, Arthur.

  Ce dernier rougit. Je ne comprends pas pourquoi ça l'excite autant de m'entendre dire son nom. Ni pourquoi ça me fait autant plaisir de le voir rougir.

  Je plie mes affaires dans mon sac. Peut-être que la vie n'est pas si pourrie en fin de compte. Je n'aurais pas dû douter comme ça. Les choses finissent toujours par s'arranger pour moi. Voilà un gros poids en moins sur les épaules.

-Will, je peux être franc avec toi ? commence le bleu d'une petite voix.

  Je déteste quand les gens utilisent ce genre de phrase. Rien de plus énervant.

-Si c'est pour me parler de...

-Bon. Écoute quand même. Ce Christiansen, c'est le mari d'une flic qui bossait dans mon ancienne ville, à Paris.

-Et alors ? dis-je en croisant les bras.

-Si je connais quelqu'un dans la police, c'est parce que mon père est en prison, Will. C'est pour ça que j'ai déménagé.

  Arthur semble éprouver des difficultés à me parler de ce chapitre assez douteux. Mais je ne lui ai jamais forcé la main, non ? Où il veut en venir ? Peut-être qu'il veut que je le réconforte parce que sa vie craint ?

-Si je te raconte ça, c'est parce que je sais que tu as des problèmes et que tu ne veux pas en parler. Mais je t'ai montré que j'avais confiance en toi, alors tu peux...

-Je t'arrête tout de suite, le bleu. Ton passé à la Bruce Wayne, je suis désolé, mais je ne vois pas pourquoi tu crois que tu peux m'en parler. Et c'est pas un secret, Sofia à dû te le dire : je ne veux l'aide de personne.

-Will, arrête de vouloir tout le temps faire  cavalier seul. Tu ne vois pas que ça te réussit pas ? Sofia m'a dit que t'avais un mauvais feeling avec l'histoire-géo, je peux peut-être t'aider...

  Je ne prends pas la peine de relever Sofia la balance ni de considérer son offre. Je balaye tout, tout, sans même y réfléchir.
  Le bleu n'a vraiment pas l'air bien. Son inquiétude lisible à trois cent kilomètres me pique un petit peu. Je n'aime pas trop le voir comme ça, je crois.
  Mais je n'ai besoin de personne. Je suis William DeMarcus.
  Je lui caresse la joue, avant qu'il se mette à pleurer et que tout parte en vrille.

-C'est gentil, Arthur. Mais tu ferais probablement mieux de te préoccuper de ton merdier.

  Il ferme les yeux et je retire ma main. Sauf qu'au moment où je crois que la crise est contrôlée, la porte des vestiaires s'ouvre violemment, et simultanément, je me prends une gifle. Une vraie de vraie.

  Alors que je me retourne vers le bleu pour lui demander ce qui lui prend tout à coup, Axel se jette sur moi. Je sais que c'est Axel, parce qu'il n'y a que lui sur cette Terre qui saute sur les gens de cette façon théâtralement impossible et douloureuse.

  Miraculeusement, je ne me heurte pas la tête au banc, ni à une chaise, façon Million Dollar Baby. Mon coude prend la moitié du choc, et mon dos l'autre.
  Je ne ressens pas de fêlure au bras, mais je vois rouge. Axel sait combien je ne veux pas être blessé, surtout en plein championnat.
  Mais il agit comme s'il voulait m'assassiner pour de vrai.

-Espèce de fils de pute ! Tu croyais que j'allais jamais le découvrir ?

  Il me hurle dessus, à la mort. Mon esprit fait le lien, tout seul. Sofia. Il sait pour Sofia.

-Eh, doucement mec. Je t'assure qu'il n'y a rien de mal qui...

-Rien de mal qui quoi ?!

  La situation dégénère rapidement. D'insultes en insultes, on se retrouve à se battre sans retenue dans les vestiaires, sous les tentatives vaines d'Arthur de nous séparer. C'est même carrément l'effet inverse, car Axel finit par le projeter dans la mêlée par mégarde sur l'un des casiers massifs en vieux métal.
  Ce qui s'ensuit est totalement irréaliste.
  Le casier qui vacille horriblement fort. Arthur qui s'écroule à deux mètres. Le casier qui penche en avant et s'abat d'une imminence terrifiante sur lui. Moi qui le pousse, dans le feu de l'action, hors de danger, pour me prendre de plein fouet le métal et tous les trucs que renferment ce casier de cent kilos, sur la cheville.

  Je ne crie pas. C'est comme si le choc avait été remplacé par une prise de conscience vitale.
  Je ne pourrais pas jouer.

  Pas avec ce craquement que je viens d'entendre.

  Arthur et Axel scrutent ma jambe avec horreur. Ils font bien. Ils viennent tous les deux de me voler mon avenir.
   Je crois que ça saigne. Mon Dieu, je saigne.

  Ce n'est plus un miracle qu'il me faudrait, à ce stade. C'est juste qu'il faut se rendre à l'évidence.

  Je ne jouerai pas la finale, qui a lieu dans moins d'un mois, en avril.

  Je ne serai pas présent lors de la remise des médailles, quelle que soit l'issue.

  Je ne serai pas transféré dans une université américaine.

  Je ne jouerai pas en NBA.

  Je ne serai rien. Et ça, ça fait probablement plus mal que tout le sang qui pourrait couler de ma blessure.

Swish, Will !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant