SCENE VI

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5h22 avant la fin


C'est un couloir, dans les hauteurs de la maison. La lumière n'est pas allumée. Harry avance dans l'obscurité. Il connaît le chemin par coeur. Il pourrait le faire les yeux fermés.

Il n'est pas retourné dans le salon. Il est seulement passé par la cuisine, pour prendre une bouteille. Il a bu un peu, assis dans les marches du grand escalier, avant de monter à l'étage. La musique s'est définitivement tue. Il n'entend que des voix étouffées, parfois un rire plus haut qu'un autre. Sûrement sont-ils en train de faire un jeu de carte.

Il ne veut pas voir sa mère. Il ne veut voir personne. Cette histoire d'esprit... Il n'y croit pas. Mais quand même. Ce qu'il a ressenti, dans la chambre... C'était bizarre. C'était comme... être aspiré. Par le courant d'air froid. Il sait qu'il hallucine, que tout ça est stupide. Mais malgré tout, il ne veut plus voir personne. Surtout pas Mathilde et les autres. Des abrutis. 

Il est bien dans le noir.

C'est pour ça qu'il est monté.

Pourtant, il réalise vite qu'il n'est pas seul.

Une silhouette se découpe devant la grande fenêtre du fond du couloir. Harry hésite puis s'avance, lentement. Curieux malgré lui. 

C'est un garçon. Il est habillé tout en noir. Son visage est extrêmement pâle à la lumière de la lune, comme celui d'Harry, sûrement.

GARÇON : Bonsoir.

HARRY : Salut.

Il s'approche encore. Le garçon a les mains dans les poches de son jean noir. Il n'a pas l'air d'avoir fait beaucoup d'effort pour son déguisement, pourtant, Harry lui trouve une aura fascinante. Ce sont ses yeux sûrement, très pâles, très clairs. Bleus. Ses cils sont très longs, noirs et épais. Et ses pupilles ont la forme allongée de celles d'un chat.

HARRY : J'aime beaucoup tes lentilles.

Le garçon sourit. Il ne répond pas. Il tend seulement la main, et Harry lui passe la bouteille.

GARÇON : Qu'est-ce que c'est ?

HARRY : Je ne sais pas.

GARÇON : Tu bois quelque chose sans savoir ce que c'est ?

HARRY : Oui. Je voulais juste boire.

GARÇON : Pourquoi ?

Harry le fixe quelques secondes. Il n'aime pas qu'on lui pose des questions, d'habitude. Les gens font toujours preuve, à son égard, d'une curiosité malsaine. Mais ce garçon a l'air différent. Harry se sent bien quand il le regarde. Alors il hausse les épaules et murmure :

HARRY : Parce que ma mère me l'a interdit. Et aussi parce que j'ai envie d'être assez soûl pour faire des choses stupides.

Le garçon se met à rire. Son rire est étrange. Harry le trouve beau. Il porte la bouteille à sa bouche, et avale une gorgée. Une goutte d'alcool se faufile entre la commissure de ses lèvres et vient rouler jusque sous son menton. Quand il abaisse la bouteille, ses yeux brillent d'une lueur différente.

GARÇON : Tu es Harry, n'est-ce pas ?

HARRY : Oui.

GARÇON : J'avais hâte de te rencontrer.

HARRY : Pourquoi ?

Le garçon sourit légèrement puis lui rend la bouteille. Sa main reste sur celle d'Harry.

GARÇON : Est-ce qu'il faut une raison à tout ?

HARRY : Je ne crois pas.

Harry sourit à son tour. Il porte la bouteille à ses lèvres. La main du garçon toujours sur la sienne. Leurs deux corps se rapprochent à cause du mouvement.

GARÇON : Pourquoi est-ce que ta mère t'interdit de boire ?

HARRY : Parce que je prends des médicaments.

GARÇON : C'est dangereux ?

HARRY : Je ne sais pas. De toute façon, je ne les ai pas pris depuis trois jours.

GARÇON : Pourquoi ?

HARRY : Parce que j'en avais marre de ne plus ressentir de colère. 

Il lâche la bouteille. Elle est vide. Les doigts du garçon sont entrelacés aux siens. Il le fixe dans l'obscurité, et ses yeux de chat sont liquides et brillants.

GARÇON : Est-ce que tu as une maladie grave ?

HARRY : C'est une maladie qui fait peur aux autres.

GARÇON : Pourquoi ?

HARRY : Parce qu'il ne la comprenne pas.

Harry baisse les yeux. Il regarde la main du garçon dans la sienne. Sa tête tourne un peu.

GARÇON : Est-ce que tu en as peur, toi aussi ?

Harry réfléchit quelques instants. Il n'avait jamais pensé à ça... Pourtant, la réponse lui apparaît assez clairement. Il hausse les épaules. Les yeux ancrés dans ceux du garçon.

HARRY : Non. Je n'ai jamais eu peur de moi-même. Seulement de ce que les autres sont capables de me faire... Tu es vraiment beau, tu sais ?

Le garçon se met à rire. Il baisse légèrement la tête, et il murmure.

GARÇON : Je suis Louis.

HARRY : J'adore ce prénom.

LOUIS : Merci.

Ils se fixent à nouveau en silence. Harry sent quelque chose de différent, dans l'atmosphère qui les entoure. Quelque chose d'étrangement sérieux. La main de Louis dans la sienne est lourde, soudain. Mais ce n'est pas une lourdeur qui lui déplaît. Seulement quelque chose qui rend le moment présent bien plus épais. Et Harry le sent, le sait. Il est attiré par lui. D'une façon inexplicable et brutale. Alors, il murmure dans le silence.

HARRY : Est-ce qu'on pourrait passer la fin de cette soirée ensemble, Louis ?

Et Louis hoche la tête.

Quelques secondes plus tard, ils poussent la porte de la chambre d'Harry, et disparaissent.

Dans le couloir, seule la bouteille vide reste au sol.

Un courant d'air la fait rouler un peu, jusqu'à ce qu'elle se tape contre le mur.

Alors, définitivement, plus rien ne bouge. 

THE DEVIL IN MY BRAIN (whispering my name)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant