Bien installée à l'arrière de la Golf cabriolet des Bartoli , je regardais défiler le paysage qui, de campagne asséchée se mua bientôt en un splendide littoral où l'immensité bleu de l'Adriatique se confondait avec le ciel :
« - Beau spectacle, hein ? souligna Hector en engageant la voiture dans un virage serré.
- C'est magnifique ... » soufflais-je pour moi-même tout en collant mon nez à la vitre afin, de ne pas en perdre une miette.
Elio qui somnolait à l'avant son walkman vissé sur les oreilles, ne revint à la réalité que lorsque nous nous garâmes sur le parking qui surplombait la langue de sable lentement dévoilé par la lagune.
« - Allez mangeons ! Ho fame ! *» déclara le père de famille en ouvrant sa portière, aussitôt imité par son fils et moi.
Et, tandis que tous deux sortaient le panier à pique-nique du coffre, je pris un instant pour me délecter du panorama ensoleillé qui s'offrait à moi : le parking qui surplombait légèrement la plage se poursuivait en un long ponton de bois qui avançait, d'abord sur le tapis touffus des roseaux avant, d'atteindre l'eau transparente.
Nous mangeâmes assis dans les hautes herbes, savourant nos sandwichs à la pancetta et appréciant sur nos peaux moites la tiède caresse de la brise salée. Autour de nous voletaient quelques mouettes affamées qui ponctuaient notre conversation de leurs cris stridents.
Au moment du dessert, Hector nous délaissa brièvement souhaitant prendre un expresso dans le restaurant côtier situé à l'entrée du parking :
« - Ragazzi je ne serais pas long, à tout de suite !** » dit-t- il en se levant, époussetant son bermuda couvert de miettes.
Je l'entendis seulement s'éloigner, foulant les hautes plantes alors que, gardant les yeux clos je goûtais à la douce chaleur du soleil sur mon visage. C'est pourquoi j'eus un léger sursaut lorsque, les fins doigts de pianiste d'Elio effleurèrent mes oreilles, plaçant doucement son casque et m'inondant aussitôt des notes entrainantes de Paris Latino, musique que j'adorais.
Une vague de bonheur monta en moi, émue je me tournais vers lui mais il ne me vit pas, imitant la posture que j'avais jusqu'ici: yeux fermés, visage tendu vers le ciel.
Alors, demeurant silencieuse je le détaillais, tentant de graver à jamais dans ma mémoire ses traits réguliers où quelque chose d'enfantin subsistait ; ses boucles ébènes qui oscillaient sur son front et ses longs cils sombres qui apportaient une touche de délicatesse -presque de fragilité- à son profil d'éphèbe.
*
Etendu sur une bâche noire, le corps figé en une pose lascive la Vénus de bronze à qui il manquait le bras droit rutilait au soleil. Les courbes étaient voluptueuses, féminines et bien qu'elles soient ainsi exposées au yeux de tous, il n'y avait aucune vulgarité dans cette œuvre. C'était simplement un vrai kanon, tel que les Romains toujours si perfectionnistes, avaient sus les ériger par l'art, en modèle absolu :
« - Regardez cette patine ! Ce brillant ! s'extasia monsieur Bartoli, laissant courir ses doigts sur la chevelure de la statue.
- Selon moi elle devrait dater du IV ème siècle avant Jésus-Christ, nous expliqua l'archéologue qui avait présider aux recherches.
- Ca me paraît juste, marmonna Hector en réfléchissant, elle ressemble quelque peu à la version grec de la Vénus de Capoue. »
Tandis qu'ils devisaient, je m'accroupie aux côtés d'Elio qui, son walkman autour du cou caressaient distraitement les contours charnus de la bouche de la statue.
(Ellipse)
Allongée sur mon lit tout enroulée dans un drap de bain, je goûtais au bien-être qui m'envahissait alors que je venais de prendre une douche bien chaude, cédant la place à Elio. Ce dernier fit d'ailleurs irruption dans ma chambre :
« - Tu peux frapper ! m'indignais-je en resserrant ma serviette autour de moi alors que, gêné il se tournait vers le mur.
- Je...bah excuse moi mais je devais prendre des sous...
- Vas-y, soupirais-je, m'asseyant sur le bord du matelas. Il s'approcha, attrapant sans hésiter sur l'étagère me surplombant, un roman de Stendhal qu'il ouvrit en plein milieu, retirant plusieurs billet de milles lires.
- Tu caches ton argent dans Le Rouge et le Noir ? demandais-je, luttant pour ne pas éclater de rire.
Reposant le livre il se renfrogna un peu, visiblement vexé :
- Je ne vois pas où est le mal ! Claironna-t-il avec un sourire narquois, m'agitant ses espèces sous le nez, J'ai un rendez-vous donc je prévois.
- Bon Don Juan, va te préparer ! blaguais-je en le poussant hors de la pièce, tenant ma serviette d'une main alors que, comme il claquait la porte il me cria de derrière celle-ci :
- Eh ! Ne vole pas mon argent !
- Basta ! *** »
Seule debout face à la porte, je me sentie soudain frigorifiée -ce qui n'avait rien d'étonnant au vu du peu de tissu que je portais- mais, au froid du corps s'ajoutait celui de l'âme.
Je mangea peu ce soir là.
Le dîner était pourtant bon mais je n'avais pas grand appétit et, bien que les parents Bartoli avec qui je conversais comme Elio était sortit, firent tout pour m'égayer, je demeurais assez amorphe ce qui les inquiéta :
« - Tu n'as pas une autre insolation, piccola ?**** me questionna Agnese d'une voix soucieuse, passant affectueusement sa main dans mes longues tresses.
Hector assis dans le canapé du salon en feuilletant son journal répondit à ma place, m'ôtant une épine du pieds :
- Mais non, elle va bien c'est l'air de Venise qui nous à tous fatigué. »
Ne voulant pas les ennuyer plus longtemps et, me sentant effectivement en forme pour dormir, je montais.
*
Allez mangeons ! Ho fame ! * = Allez mangeons ! J'ai faim !
Ragazzi je ne serais pas long, à tout de suite !** = Les enfants je ne serais pas long, à tout de suite !
Basta ! *** = Oh assez !
Tu n'as pas une autre insolation, piccola ?**** = Tu n'as pas une autre insolation, ma puce ?
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CMBYN
Fanfiction28 juin 1984 Quand je repense à l'été 1984 et à la palette d'émotions qui m'a alors habité, il me paraît évident que tout ce qui allait se passer au cours de ces huit semaines, coulaient de source. Mais, à l'aube de mes dix-neuf ans, je ne pouvais p...