Quattro

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Le trajet du retour s'avéra plus facile et me parut bien plus agréable du moins, jusqu'à ce que ma tête ne se mette à me lancer horriblement et que je sois prise de violents vertiges. Paniquée je freina brutalement ce qui produisit un grincement épouvantable.
Le coeur au bord des lèvres, je discerna à peine Elio rebrousser chemin vers moi, ne faisant pas plus attention lorsque ce dernier me fit descendre de selle, posant mon vélo sur le talus :

« - Calme toi, respire Solange. » dit-il à mon oreille alors que, me soutenant par les épaules il m'installait sur une herbe que je devinais fraîche sous mes fesses. Je l'entendis s'assoir à coté de moi, sa main décrivant de larges cercles maladroits dans mon dos pour me détendre. Après un moment je parvins à retrouver un souffle régulier et, ouvrant doucement les yeux je fus surprise de ne plus voir le monde tournoyer et, de constater que je me trouvais au bord d'une rivière bordée d'arbres, comme dans une autre dimension :

« - C'est magnifique ici ! murmurais-je pleine d'admiration, plus pour moi que pour Elio.

Retirant sa main de mon dos, ce qui me créa aussitôt un sentiment de solitude, il répondit :

- C'est mon endroit à moi tu vois, une sorte de cachette... »

Je voyais parfaitement ce qu'il voulait dire, petite j'avais moi aussi un lieu où j'allais toujours seule, qui n'appartenais qu'à moi et, je saisis alors ce que cela devait représenter pou lui de m'avoir emmener ici même s'il s'agissait d'un cas de force majeur. Aussi, passais-je ma main sur la poche arrière de mon short:

« - Tiens, c'est pour toi...A cause de l'autre jour, lâchais-je sans le regarder, lui tendant simplement le petit paquet de papier soie. Il le prit, je l'entendis déchirer l'emballage pendant que je me perdais dans la contemplation du miroitement de la rivière puis, plus rien. La panique me gagna, c'était certain, Elio devait me prendre pour une idiote, il devait même détester mon cadeau, il...

- C'est...Merci... » soupira-t-il d'une voix enrouée coupant court à mon monologue intérieur.

Etonnée je me tournais vers lui et l'observais : les yeux brillants Elio fixait la chaîne argent agrémentée d'un médaillon en forme de note de musique que j'avais acheté pour lui à la boutique de souvenirs. L'idée m'était venue lorsque j'avais repensé aux partitions qui jonchaient le sol de sa chambre et, je souhaitais aussi par ce geste enterrer définitivement la hache de guerre entre nous. Mon attention sembla le toucher car il dut s'essuyer les yeux dans la manche de son t-shirt, avant d'enfin plonger son regard noisette au fond du mien :

« - C'est pas si mal alors ? demanda-t-il
Hochant la tête, le sourire aux lèvres je répondis :

- C'est pas si mal. »

*

8 juillet 1984

« - Solange ! Aspetta un minuto !* » m'interpella Agnese alors que je sortais de la maison.

Levant les yeux au ciel, dissimulant mal mon exaspération j'attrapais l'horrible chapeau de paille ornée d'un ruban rose qu'elle me tendait. En effet, depuis qu'elle avait eu vent de l'insolation qui m'avait indisposé au cours de ma promenade à vélo, Agnese s'était mis martèle en tête de ne plus me laisser déambuler sans protections.

Me forçant à sourire, j'enfonçais l'affreux couvre-chef sur ma tête et, ce n'est qu'une fois sous le couvert des arbres -hors de sa vue- que je l'ôtais, m'installant confortablement sur l'herbe grasse. J'ouvris le livre qu'Hector m'avait prêté, bien décider à lézarder jusqu'à onze heures, moment que j'attendais avec impatience car nous devions nous rendre à la lagune.

Mais, c'était sans compter sur l'éternelle effervescence qui régnait au sein de la villa des Bartoli où , ces derniers, accueillaient toujours volontiers divers cousins ou amis vivant dans les environs. Cette joyeuse smala, toutes générations confondus, venait, je dois l'admettre, grandement animer la vie paisible que l'on menait ici. Et, ce fut donc sans surprise que je vis un volant de badminton atterrir non loin de moi, suivit d'un Elio en nage et légèrement échevelés qui accourait d'entre les pins pour le récupérer :

« - Hey ! Tu viens jouer ? Mes amis sont arrivés ! Me proposa-t-il plié en deux, ses mains sur ses genoux alors qu'il peinait à retrouver son souffle.

Feignant théâtralement d'être ennuyé par sa présence, j'agitais le livre -à peine entamé- devant mon visage voulant qu'il comprenne que j'aspirais à tout, sauf inutilement me fatiguer et transpirer avant notre sortie.

- Oh allez, tu as toujours la tête dans les bouquins, viens ! insista-t-il, me donnant de petits coups de raquette dans le dos.

- C'est l'hôpital qui se fout de la charité, pensais-je en soupirant.

Mais Elio était tenace et, comme je ne réagissais pas il brailla en me frappant cette fois le haut du crâne :

- Met ton chapeau ! Scemo ! **»

Ses dernières paroles me firent bondir car en plus de l'insulte, à laquelle je réagis pour la forme, il savait à quel point je détestais porter ce canotier :

- « Viens ici ! » m'écriais-je faussement en colère, lui courant après.

Je tenta de saisir sa raquette pour le jeter à terre, mais il était agile, esquivant chacune de mes tentatives avec une aisance déconcertante. Et, trop occupée à nos chamailleries je ne vis pas que, ne cessant de m'asticoter, Elio m'entrainait malgré moi vers le terrain de sport.
A bout de souffle, je me retrouva à l'orée d'une vaste pelouse piquée d' un filet de tennis, auprès duquel un groupe de jeunes discutaient, écoutant sur un boombox Self Control, l'un des tubes de l'été.

Demeurant d'abord interdite au bord du terrain, je dus pourtant me résoudre à me joindre à eux comme ils me dévisageaient tous :

« - Ok, gente, prestatemi la vostra attenzione *** ! Je vous présente Solange ! » lança Elio à la cantonade tandis que je m'asseyais entre deux inconnues, m'efforçant d'avoir l'air sociable en entamant timidement la discussion avec les trois seules filles de la bande.

Je fis ainsi la connaissance de Monica, une belle brune très maquillée qui ne cessait de remonter son bustier ; Tea au visage poupin encadré de deux tresses sombres qui contrastaient avec l'azur de ses yeux et Carmen, une blonde douce et discrète qui m'inspira aussitôt la plus sincère sympathie. Elles m'apprirent qu'une soirée dansante se tiendrait le lendemain soir au village, me suppliant d'y aller :

« - Allez, viens ! Il y a de l'alcool et la musique est super ! précisa Tea avant d'ajouter complice en me désignant un jeune homme bronzé aux cheveux de jais gominés, En plus, c'est mon frère qui fait les cocktails, il nous sert toujours double doses...

- Chi sta vincendo ?**** cria soudainement Monica, interrompant notre échange.

Elio et un blond à la carrure d'armoire à glace entrechoquèrent leur raquette en riant, visiblement heureux d'avoir remporté la partie.

- Tu n'as qu'à accompagner Elio, ce sera mieux si vous êtes là tous les deux. » fit gentiment remarquer Carmen en portant la paille de sa citronnade à ses lèvres.

Observant distraitement les garçons qui disputaient un nouveau match je réfléchis, finissant par convenir qu'une petite fête ne pourrait pas me faire de mal. Après tout, même si j'étais venue à Rizzi pour travailler, je pouvais bien m'autoriser une sortie et profiter un peu :

« - Ok, je serais là. » dis-je en souriant franchement, réellement euphorique à l'idée du programme exotique et festif qui m'attendait.

*

Aspetta un minuto* = Attend une minute

Scemo** = Idiote

Ok, gente, prestatemi la vostra attenzione *** ! = Ok, les gens, je voudrais votre attention !

Chi sta vincendo ?**** = Qui est en train de gagner ?

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