Chapitre 1 : Do

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D'un ordre sec, l'orchestre dut se taire, et la chanson dans sa tête se brisa au passage en milliers de petits morceaux qui percutèrent les parois de sa boîte crânienne.

Il avait choisi un samedi exprès pour se préparer à cette éventualité.

- Je suis désolée Luka. Tes sentiments me touchent beaucoup, mais j'aime un autre garçon.

On aurait dit qu'un requiem abandonnait ses sons pour prendre chair et vie sur le visage de Luka.

D'accord, peut-être qu'il le savait, qu'il l'avait toujours su, qu'il aurait dû oublier le chemin des passions qui ne mène trop souvent qu'à la désillusion.

Et en l'écoutant parler, elle semblait avoir choisi ses mots depuis si longtemps déjà que Luka crut un instant qu'il allait mourir à ses pieds, et que c'eût été une belle mort.

Mais il resta en vie. Il dut donc subir la terrible épreuve de masquer son affliction pour essayer de ne pas attirer d'akuma.

Il étendit ses lèvres, et son âme se déchirait de haut en bas. Il bafouilla qu'il comprenait, que ce n'était pas grave, mais son cœur venait de se faire transpercer de la plus horrible des manières. Il avait vu dans les paroles de Marinette une telle étendue de regret véritable qu'il ne put même pas lui en vouloir ; c'était sûrement le pire à supporter. Par la douceur de sa sincérité, elle ne lui avait donné aucune raison valable d'éteindre la passion qu'il avait pour elle.

C'était tellement injuste.

Vraiment, Luka aurait voulu mourir à cet instant-là. Pour ne plus avoir à la croiser quand elle viendrait sur son bateau répéter avec les Kittys section, pour ne plus tomber amoureux de son rire lors des discussions, pour ne plus s'imaginer ce qu'il voulait dans ses cheveux bleu corbeau ; il voulait disparaître pour ne plus avoir à penser à son existence, pour devenir juste une ombre sans volonté qui suivrait la sienne comme un chemin évident, quitter ce plan d'existence-là et se métamorphoser en une idée fugace, et ainsi ne plus endosser le triste rôle du meilleur ami amoureux de l'héroïne.

Parce que tout, tout sauf l'absence.

Il ne pensa même pas à la supplier d'y réfléchir. Luka l'aimait malheureusement encore trop pour lui infliger pareille pression. Marinette avait tout simplement fait son choix.

Luka décida de ne pas l'écouter se confondre en excuses. A la place, il s'abandonna au refrain familier qui le traversait jusqu'au squelette, celui de tous leurs moments passés ensembles, du plus anodin au plus intime : la complicité, les contacts, les regards, les taquineries, tout ce qui avait progressivement conquis son cœur, les rencontres, les frôlements d'épaule, les moments de doute, les sérénades qu'il ne se lassait pas d'inventer pour la séduire, quand il avait été là pour elle, quand elle avait été là pour lui.

Il préférait se plonger immédiatement dans des souvenirs heureux, plutôt qu'avoir à vivre celui qui sera sûrement le plus douloureux à se remémorer.

La vérité était que tout était si merveilleux près de Marinette, tout était si vif et coloré. Peut-être alors avait-il eu trop d'audace à vouloir désirer s'approprier cette princesse du bonheur. Peut-être avait-elle raison de ne pas le choisir lui, peut-être que, galvanisé de sa joie de vivre et de toutes ses qualités qu'il verrait tous les jours de trop près, il serait devenu fou pour les habitants de la Terre.

Au final, peut-être que c'était mieux ainsi. Après tout, quand on est un ami, on n'a pas à craindre la rupture ou ce genre de choses. On évite les souffrances irréparables, le vide laissé par l'être aimé et les plaies de l'amour dément. On reste soi-même et indépendant.

Marinette lui proposa de venir à la boulangerie pour lui offrir une pâtisserie. Luka refusa poliment avant de lui dire au revoir. Avant de tourner les talons, elle eut un geste cruel : elle embrassa sa joue, comme autrefois.

Le garçon la regarda s'éloigner en silence.

A un certain stade, elle ne pouvait plus le voir. Il se permit donc de pleurer. Immobile dans sa silhouette stoïque, les poings serrés, il laissa ses larmes faire leur chemin, l'une après l'autre, dans un son d'échec qui en entraînait toujours une de plus.

Injuste, c'était injuste de la part de la vie de ne pas être aimé par celle qu'on aime. C'était aussi éprouvant, traître, attristant, malheureux, affligeant, atroce et lancinant. Pas étonnant que 70% des chansons, des romans et des contes parlaient d'amour malheureux.

Le jeune musicien se sentait misérable d'avoir orné son espérance amoureuse de tant d'idéaux, si c'était pour qu'elle s'écrase aussi pitoyablement au sol comme mêlée à une tempête de grêle. Brisé, il se sentait brisé. Il sentait que sa vie entière était ébréchée.

Deux minutes plus tard, Luka tourna les talons à son tour, las d'être debout alors qu'il voulait quitter le monde tangible. Le jeune homme n'avait plus qu'une envie, c'était s'enfuir sous sa couette pour laisser la déception le rendre infirme.

Une fois sous la mer de tissu, il se creusera la tête à essayer de chercher le mot qui rendra le plus compte des milliers de sensations qui parcourent son corps ; ce sera le concours de celui qui se fera le meilleur miroir de son malheur, le reflet le plus réaliste de son affliction.

Mais il ne le trouvera pas, cet assemblage de syllabes de désespoir, il s'énervera et se dira qu'aucun mot n'est assez fort pour exprimer sa peine, il pleurera encore, renverra toute personne voulant entrer dans sa chambre, car ce sera dans son droit d'être égoïstement souffrant.

Enfin, après une heure ou deux, il n'aura toujours pas trouvé le terme dont il souhaiterait l'existence, il se souviendra qu'il n'a jamais été doué avec la langue, alors il prendra sa guitare et jouera jusqu'à ce qu'il aille mieux.

Puis il passera à autre chose. Sa mère l'appellera pour manger, ses amis l'inviteront à sortir, il aura un contrôle à réviser, il ira faire les courses avec sa sœur. La vie le rappellera peu à peu à l'ordre, et il n'aura plus le droit d'être triste. Et quand il sera adulte et marié, il repensera à cette belle histoire d'amour inachevée, comme l'une de ces vieilles chansons qui nous reste et que l'on n'oublie jamais vraiment.

Mais pour l'instant, encore si près du moment où il avait tant souffert, il poussa la porte de son bateau, les larmes encore vaillantes et les pensées bien sombres.

La suite se passa fidèlement à ce qu'il avait imaginé.

Voilà. Une étape était passée, et après toutes les épreuves, on avait l'habitude de penser que tout ce qui ne tuait pas nous rendait plus fort pour la suite.

Mais dans son égoïsme d'adolescent torturé, Luka ne reprit pas espoir aussi rapidement. Il ne voulait pas être aussi commun. Alors voilà, jusqu'à ce qu'il tombe amoureux une nouvelle fois, la vie ne serait pour lui que la succession des jours ; et il souhaiterait au fond qu'elle fut brève, si jamais rien ne venait, car pareille amertume devrait être interdite.

Dans la langue de Mozart - Lukadrien (MLB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant