Le plus profond soupir que n'avait jamais poussé Kagami s'échappa de ses lèvres, ce midi à onze heures cinquante-trois, en face d'un banc vert du parc Louis XIII.
- Dîtes-moi que je rêve...
Elle mit la main au front pour soutenir sa tête, en gardant l'autre sur la sangle de l'épée japonaise qu'elle portait à l'épaule. Dur pour ses yeux exigeants de supporter la scène. Sur le banc, une Marinette toute penaude avait défait ses couettes et mangeait une glace, le dos courbé au-dessus des cuisses serrées, avec plus de lenteur que le passage des nuages dans un ciel lourd.
Dur de la reconnaître. Elle portait une expression que Kagami ne lui avait jamais connue : celle de ne pas en avoir.
Des yeux étrangers qui se poseraient sur elle diraient que cette jeune personne a l'air de porter sur ses épaules tous les malheurs du monde, et qu'elle les porte depuis longtemps, si longtemps qu'ils avaient inscrit sur son visage la lassitude des lourds fardeaux de l'âme. Ses cils étaient humides, ses joues pâles, mais ses pupilles fixées sur le sol restaient éteintes, et son visage immobile. Quand ses lèvres s'ouvraient et que la cuillère touchait le plat de sa langue, que le goût froid de la myrtille repeignait son palais et dégringolait au fond de sa gorge, des larmes lui apparaissaient au coin des yeux, et elle serrait le cornet de la glace en tremblant.
Très dur aussi de dire à quel point Kagami avait pitié. Difficile de dire dans quelle mesure elle avait pitié, si c'était de la pitié compatissante ou méprisante, si Marinette lui apparaissait comme une adorable petite chose ou une pauvre mortelle geignarde. Ce qui était certain, c'était qu'elle craignait fort qu'un akuma ne fonce sur elle et ne change sa seule amie en "Folledingueaucoeurbriséquivoustiredessusavecsaglace".
Kagami finit par s'avancer. Elle se planta devant Marinette.
- Tu vas pleurer encore longtemps comme ça ? lui demanda-t-elle.
Marinette ne levait pas les yeux. Elle continuait de manger.
- Ta glace est presque toute fondue, ajouta Kagami. Tu devrais manger plus vite.
Une brise passa, sans déranger les coiffures des deux filles qui n'eurent même pas l'air de remarquer son passage.
- Marinette, répéta-t-elle plus fort, regarde-moi. C'est Kagami.
Grand silence. Marinette restait comme si elle n'avait vu personne. Ses seules réactions, c'était de ne pas en avoir. Elle avait l'air d'être perdue en elle-même dans un endroit inatteignable.
Kagami fronça les sourcils. Ne pas répondre, d'accord, parler peut être fatiguant ; la voix sommeille quand on est malheureux. Mais ne lever pas même la tête ? Ne pas faire de signe ? Ne pas considérer la personne en face ? Kagami trouvait cela irrespectueux. On ne pouvait pas dire qu'elle-même excellait dans les relations sociales, mais la politesse était une vertu que son éducation japonaise lui avait fait apprendre par cœur ; et devant cet outrage monumental fait au plus noble des arts de l'homme, son orgueil était irrité.
Kagami recula, prit son épée et la brandit en perçant le vent. La pointe vint se mettre entre la glace et le visage de l'impolie déprimée, puis sous son menton. Kagami le souleva de force et leurs yeux se croisèrent :
- Regarde-moi, Marinette Dupain-Cheng, fit-elle d'une voix tranchante.
Le corps de Marinette, devant cette vision, connut un tel sursaut que la glace faillit lui échapper. Elle poussa un cri de surprise. Elle voulut se rejeter en arrière, chercha à reculer comme pour fuir, mais comme elle était assise, son dos se cogna au dossier en faisant trembler sa colonne vertébrale. Kagami s'était attendue à plus de théâtralité de la part de son amie originale, mais elle n'obtint qu'un regard de souris martyrisée.
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Dans la langue de Mozart - Lukadrien (MLB)
FanficMarinette a rejeté Luka, Ladybug a rejeté Adrien. Les mots sont décidément un langage bien cruel. Peut-être que ce qu'il leur faut, c'est la langue de Mozart. Une langue que les deux garçons semblent parler avec passion.