J'ai toujours pensé qu'il fallait être poli avec les inconnus. Pas forcément avenant, chaleureux, cordial ou enjoué, non. Mais poli. Avoir des bases, minimum. Un genre de principe, vous voyez ? Et comme c'est un principe, si je ne l'applique pas moi-même – c'est le principe du principe, on ne se les applique quasiment jamais à soi-même –, je mets un point d'honneur à ce que les autres l'appliquent lorsqu'ils entrent en contact avec moi. Les trois camés à la méthamphétamine qui peinent à respirer – volets costaux obligent – dans les douches sommaires de la prison maximum sécurité de San Quentin, non loin de San Francisco, l'ont réalisé un peu tard. Il faut dire que quand on me tombe dessus à cinq alors que je suis à poils dans des douches communes en train de me laver, j'apprécie moyennement qu'on essaie de me planter un stylo bic taillé en pointe dans le dos en guise de cadeau de bienvenue.
Sérieux, on a beau être entre taulards, je pense qu'on doit garder des principes. Comme par exemple ne pas se mettre des coups de stylo mortels dans le dos. Ça ne se fait pas. Les trois types qui jonchent le sol en ont fait les frais. Les deux copains qui les accompagnaient sont partis dès que j'ai signalé que leur guet-apens ne me plaisait pas. Je n'ai pas vraiment saisi le but de leur attaque : je viens d'arriver, je n'ai même pas eu le temps de choisir un gang qu'ils me sautent dessus ! Bon, après il y a cette légende urbano-carcérale qui dit que pour se faire respecter, il faut faire sauter les dents d'un gars plus grand et plus gros que vous, histoire de bien faire passer le message suivants aux autres : « je ne jouerai pas à la savonnette-qui-tombe dans les douches ». Je ne préfère pas vous dire où se trouve ma savonnette actuellement. Je sais juste qu'il faudra pas mal de temps pour qu'elle ressorte.
Je vérifie en attrapant ma serviette que personne ne nous a entendus. Les gardiens ont laissé faire ou sont en sous-effectifs, au choix. Il y a du sang qui se mêle à l'eau de ma douche, parce que j'ai pris le temps de me rincer et de me laver les cheveux. J'attrape le ruban noir qui me sert de lacet et noue mes cheveux sur le haut du crâne. J'ai les cheveux longs, bruns, presque noirs. La peau mate et les muscles qui vont avec mon mètre quatre-vingt-dix. Ça c'est pour les filles qui me lisent, s'il y en a, parce que je suis célibataire et que ça ne fait pas de mal. Un cliché de roman pour nanas ? Toujours mieux qu'un cliché tiré d'un roman de Steinbeck. Je croise deux détenus en rentrant à ma cellule : ils détournent le regard et rasent les murs, donc j'émets l'hypothèse raisonnable que les deux survivants du massacre ont manqué de discrétion. Ça m'arrange, dans un sens, je ne suis pas venu là pour jouer aux cartes.
Ah, parce que vous croyiez que je n'étais pas incarcéré dans l'une des plus grosses prisons des États-Unis de mon plein gré ? C'est parce qu'il vous manque encore quelques infos à mon sujet. Par exemple, je ne suis pas dans San Quentin sous mon vrai nom. Ou encore : le type qui devait entrer à ma place est un pédocriminel récidiviste qui va sans doute refaire surface sur les rives d'Alcatraz dans les semaines à venir. Contrairement aux apparences, j'avais franchement envie de rentrer à San Quentin. Presque autant que Brock Allen Turner avait envie d'entrer dans une université de l'Ivy League au lieu de purger trois mois de prison ferme pour viol. Que voulez-vous, la vie offre parfois un virage inattendu. Le père de Turner lui a évité de rester plus de cent jours en taule. Le mien a essayé de me tuer à la naissance. Chacun ses emmerdes.
J'entre dans ma cellule en soupirant. Pour le moment, les portes de mon bloc sont toutes ouvertes et nous avons le droit de déambuler dans l'allée qui les relie, surplombant une salle commune où les détenus se rejoignent pour discuter, jouer aux cartes, tuer le temps d'une façon ou d'une autre. Mon codétenu est un jeune type dégingandé qui a pris cinq ans sans sursis pour ventes et possession de drogues dures. C'était le fils d'un pharmacien. Je le fais flipper, ça m'évite d'avoir à faire la conversation. Il se trouve sur la couchette du dessus, en train de rêvasser. Comme la plupart des hommes incarcérés ici, il est dépressif. À mon entrée, cependant, au lieu de cesser de respirer, il se racle la gorge et se relève :
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Mircea Draculea
VampireMircea Draculea vit dans la Lumière, il a refusé de vivre dans l'Ombre avec les autres créatures et passe son éternité à jouer les justiciers sanguinaires auprès des humains. Mais lorsque son frère benjamin décide de réveiller la pire menace que l'...