Dans un futur très lointain, sur une planète particulière...
"J'aime son parfum. Il est si doux, si agréable. Son odeur m'emplit la tête et m'apaise les nerfs à la manière d'une drogue. Quand je le caresse, je sens chaque petit détail qui ressort de sa peau lisse. Ses couleurs, il y en a pour chaque nombre. Le bleu profond, le vert calme, le rose sensuel, le violet enivrant, le jaune resplendissant. Je les compte, je les fais glisser entre mes doigts, je les admire, les observe, les contemple, les recompte. J'aime ses chiffres sur l'écran de l'ordinateur. J'aime m'attarder sur les courbes des deux, des huit et des zéros. J'aime la longueur et la finesse de l'un. J'aime l'argent."
Dans les couloirs du rez-de-chaussée d'un des plus hauts gratte-ciel de la ville, un jeune assistant court à en perdre haleine. Il se rue vers l'ascenseur et appuye frénétiquement sur le bouton. Tout en massacrant l'interrupteur, il lit un panneau accroché à ses portes ; EN PANNE. L'information peine à se frayer un chemin parmi ses neurones bouillonnantes, pleines de panique, de stress et surtout de peur. Lorsqu'il réalise enfin, il jure et court vers les escaliers. Quelques secondes trop tôt. Alors qu'il avale les premières marches, les portes de l'ascenseur s'ouvrent et deux enfants assis sur un banc à l'accueil rient de leur mauvaise blague. Le jeune homme, terrifié, tente de maintenir son rythme soutenu dans son ascension vertigineuse, mais ralentit gentiment et s'arrête en nage au cinquième étage. Les mains posées sur ses cuisses et la tête penchée, il lâche une petite phrase au milieu de sa respiration saccadée.
« Plus... que... 23 étages. »
Il se redresse et repart à l'assaut de son ascension. Le personnel qu'il croise le regarde avec pitié. Ou alors avec beaucoup de curiosité. La feuille dans sa main, griffonnée de mots, est pliée et un peu humide. Alors qu'il est sur le point de s'attaquer aux marches du neuvième, il aperçoit en contrebas, dans l'espace central, l'ascenseur qui s'ouvrent pour cracher quatre personnes. Abasourdi et à la limite de craquer, il dévale les escaliers vers les portes qui se sont fermées et appelle désespérément l'engin. Mais l'ascenseur ne le respecte pas et continue sa course. Il attend, perd patience et repart s'attaquer aux marches. Une minute trop tôt. Il est déjà à l'étage suivant lorsque les portes s'ouvrent. L'employé de l'ascenseur sort sa tête dans le couloir à la recherche du client désireux de ses services. Personne. Les portes se referment et un appel du premier le fait descendre.
Les marchent se succèdent, les escaliers se succèdent, les étages se succèdent, 10.. 11.. 12... 13... 14.... 15.... 16...... 17....... 18....... 19....... 20......... 21........ En temps normal il les aurait grimpé calmement. Mais l'urgence de la situation ralentit le temps et semble pomper ses énergies. 22........ 23....... 24....... 25...... 26.... 27.. 28.
Trop beau j'y suis arrivé ! Il remet rapidement ses cheveux et son costume en place. L'effort l'a épuisé et amoché. Tant pis. Sans frapper, il déverrouille la porte à l'aide de sa carte et déboule dans le bureau de son supérieur.
-Patron ! On est dans la merde y'a un imprévu c'est le....
Il reste la bouche ouverte, la fin de phrase au bout des lèvres. Manifestement, il a interrompu une partie de jambe en l'air entre son supérieur et la jolie secrétaire. L'air devient subitement très lourd. Rouge, la bouche toujours ouverte, il pose la feuille avec empressement sur le bureau et sort aussi vite qu'il est entré.
21:35. Les derniers employés quittent le bâtiment. A la fenêtre de son bureau du vingt-huitième étage, un homme fume sa neuvième cigarette en moins d'une heure. Une heure qu'il attend le rappel du patron. Il l'avait prévenu que c'était urgent. Mais le vieux avait commencé le décomptage d'argent de l'un de ses coffres. Une passion dévorante. Et rien, ni personne ne peut l'interrompre en plein décomptage d'argent de l'un de ses coffres. La sonnerie retentit. Il éteint rapidement sa clope, prend son cellulaire, son manteau, puis sors de la pièce avec empressement pour rejoindre le boss. Il prend l'ascenseur et appuie sur le bouton 99. L'engin décolle mais s'arrête au trente-cinquième. Il se maintient debout et laisse échapper un soupir.
Le patron avec tout son blé, il devrait investir dans un deuxième ascenseur ce con.
Le ding retentit et les portes s'ouvrent. C'est la jolie secrétaire qui entre. Elle le voit, lui fait un sourire et appuie sur le bouton du premier.
Et merde !
L'ascenseur prend toujours l'étage le plus proche. L'engin descend. La gêne ne fait pas long à emplir le petit espace clos.
C'était quand même un beau coup! Dommage que ce crétin d'employé ait fait irruption si tôt !
Il mate discrètement son postérieur.
L'ascenseur stoppe sa descente et la fille sort sans un regard en arrière. Les portes se referment et il patiente tranquillement. Les étages défilent. Il tapote la barre métallique et chantonne un petit air. Il s'accorde vaguement à la musique classique qui flotte dans la cabine. Quand il y a du monde, prendre l'ascenseur relève de l'exploit, souvent il est trop chargé. Sans compter que si l'on voudrait se rendre à un étage lointain, il faudrait une chance inouïe pour l'atteindre un jour. Le boss dit, que ça oblige les gens à faire du sport. Un beau parleur. Mais pas vraiment un modèle. Il a en effet investi dans un deuxième ascenseur. Mais privé. Et il ne fait que du premier au 99ème étage. Le ding retentit et les portes s'ouvrent. Il entre dans un couloir et se dirige jusqu'à la porte du fond. Il toque et entre dans le grand bureau du patron. C'est une vaste pièce recouverte d'un plancher en bois. Des meubles sobres occupent l'espace et une immense baie vitrée en arc de cercle offre une vue imprenable. Les vitres permettent de voir l'extérieur mais pas l'intérieur. L'homme d'affaire le plus puissant de l'île y observe la ville, tel un rapace dans son nichoir scrutant des proies en contrebas.
-Monsieur ?
Seul le silence lui répond. L'homme prostré devant la fenêtre se retourne simplement et va s'asseoir à son bureau. Il tapote ses doigts sur le bois du meuble, la tête appuyée sur son autre main et le regard fixé sur une chose que seul ses yeux semblent percevoir. Son employé se racle la gorge et tente de parler. Mais le son s'étouffe et ne parvient pas à sortir. Un sentiment de mal être l'emplit. Pourtant c'est un homme arrogant et fier. Un symbole de confiance en soi, admiré et craint par la société. Mais ce grand homme grassouillet le tient en respect, et il n'ose faire un mouvement sous ses yeux si ce dernier est dans ses pensées. La crainte est le sentiment qui domine. Les personnes ne comprennent pas. Ils voient cet homme d'affaire puissant sur les affiches, ou parfois sur un plateau télé. Il est perçu comme un gaillard bon-vivant et joyeux. Ils ne savent pas. Cet homme à l'apparence de grand-père inoffensif a un vrai côté malsain. Et il doit lui annoncer quelques mots terribles griffonnés sur un papier. Son fils n'a pas pu prendre l'hélicoptère. Son fils n'est plus joignable. Son fils est en danger de mort. Il sait que c'était l'idée du boss. Qu'en théorie le gamin ne risquait presque rien. Mais les gouttes froides de la peur coulent sous ses bras et le long de son cou.

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Les prisons de feu
Short StoryUne entreprise de spéculation immobilière envoie un de ses employés estimer le potentiel d'une forêt protégée, aux arbres à dimensions titanesques. Alors qu'ils sont sur le point de quitter les lieux, un hélicoptère explose créant ainsi le début d'u...