Gouffre

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Obscurité.
Pas un seul rayon de lumière. L’obscurité totale. Je me sens ici depuis une éternité. Combien de temps que je suis dans ces abîmes ? Peut-être un instant. Qu’en est-il de mes sens ? Suis-je vivant ? Je deviens fou.
Des bribes de souvenirs refont surface. Je me suis pris de nombreux coups, peut-être que j’en prends encore en ce moment. Cependant, ces derniers, qui me projetèrent maintes fois au sol, finirent par perdre de leur efficacité.

Vu toutes ces manifestations, une chose est sûre : j’ai perdu connaissance.
Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, ils étaient bien plus nombreux que moi. J’ai agi par impulsion, sans penser au lendemain. Mais, qu’aurais-je pu faire ? Etre esclave de ses sentiments est la nature qui caractérise le plus l’être humain, et je n’y échappe point. Je croyais que je valais bien mieux que ça, je pensais être différent. Cela m’importe peu à présent, le processus est déjà en marche, même si je ne m’y retrouve pas.
Tout ceci me rend nostalgique et me fait remémorer cet instant où on n’avait pas de soucis à se faire.

Je me souviens qu’un jour, avec Kean – un vieil ami – et Angela, nous étions allés à la fête foraine. Je n’avais pas l’habitude de traîner dehors, je ne sortais que par nécessité car vu ce que je voyais au infos, le monde extérieur était synonyme de panique. Or la réalité était invraisemblablement opposée à ce que je croyais.
Ce fut une expérience incroyable : entre les cris infantiles pris d’une forte peur mélangée à une excitation débordante dans les montagnes russes, les annonces venant de divers stands et les jeunes amoureux sur la grande roue, j’y avais trouvé le calme total, encore, mieux, un havre de paix. Pour la première fois de ma vie, je me sentais en sécurité.
Tout d’un coup, Angela appela mon cher ami d’enfance de manière très inquiète :

-Kean, Kean ! Un miracle est en train de se produire !

-Qu’il y a-t-il de si surprenant de venir dans une foire ? se demande-t-il, agacé

-Regarde Ham, il sourit jusqu’aux oreilles.

Les deux se mirent à me dévorer des yeux. Ils ne voulaient rater aucune miette de cette scène captivante, unique qu’était de me voir heureux. Inquiet aussi à son tour, Kean me fit une tape sur l’épaule – ce qui me fit sortir de mon voyage onirique – et me demande :

-Hé, mais qu’est-ce qui peut bien se tramer dans ta tête pour être aussi heureux ?

-Je ne sais pas, je ne m’attendais pas à ce que ce soit comme ceci. C’est tellement beau et différent de ce que je regardais à la télé que j’en perds mon latin.

-C’est normal.  Ces médias sont contrôlés par des milliardaires. Alors, ils ont pour habitude de prodiguer des informations superfétatoires, mais surtout hyperbolisées, ne cessant point d’apeurer le peuple. Elles n’ont qu’un seul but : faire gonfler leur pécule.

-Ah bon ?

-Oui, répond-il en souriant.

-Superfétatoires, hyperbolisées, pécule… en voilà, des mots compliqués. D’où sors-tu ces histoires ?

-D’un documentaire, vu ces mots compliqués, ils devraient avoir raison.

-Arrête avec tes théories farfelues, tu vas finir par enlever son sourire !

-Tu ne comprends pas ! Il a besoin de connaître la vérité !

-Hum, c’est plus du pessimisme que de la vérité que t’essaies de transmettre, dit-elle en ricanant.

-C’est la vérité ! V-R-I-T !

-Tu viens d’épeler un mot qui n’est même pas français, là !

-Arrête de te moquer de moi !

-Mais j’ai rien dit, pourtant !

-Les gars, arrêtez, vous allez me tuer ! dis-je en riant comme un fou.

Les deux s’arrêtèrent de se disputer, puis se mirent, encore une fois, à contempler ce moment rare.
Après avoir savouré des churros, on a dû se séparer pour retrouver nos routines respectives. Après le beau temps, revoilà la pluie. Heureusement pour moi, maman est déjà dans son lit. Je peux dormir avec la conscience tranquille.

Je croyais que ces moments passés dans ces attractions suffiraient pour rendre nos liens aussi solides qu’un roc. Toutefois, le rêve ne devient réalité que quand il s’agit de celui des autres.

Kean était du genre à s’entendre avec tout le monde. Il prenait du plaisir à raconter tout ce qu’il voyait à la télé. Même quand il ne la regardait pas, il inventait des histoires, plutôt concrètes, pour impressionner les gens. Il avait toute la vie devant lui. Malheureusement, ce dernier fut diagnostiqué de la « MPOC », la maladie pulmonaire obstructive chronique. Ses parents, étant en déficit financier, ne purent rien faire pour leur enfant, comme quoi un malheur ne vient pas seul. Il perdit la vie à l’âge de douze ans. Je ne pouvais pas les blâmer de la perte de mon ami, ils devaient plus souffrir que moi en voyant leur impuissance.

Et Angela, la seule témoin de mon bonheur encore en vie, finit par oublier qui j'étais. Ma mère, elle aussi, m'a laissé tomber, et ce depuis longtemps. Je me sens si s-

Que se passe-t-il à présent !? Mes pensées s'évaporent une à une. Mon corps ne répond plus et mon cerveau, ma plus grande arme dans ce combat inconscient pour la vie, la mienne, finit par m'abandonner en s'éteignant.

LOST IN THE MISTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant