( Le destin )

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Blanc.

Blanc ( blanc, LUX, échos, aerargyrum ).
Tout était irrémédiablement blanc.
Et tout cela était consternant.

Thorn avait erré un bon moment à travers ces épaisses nappes duveteuses, à la recherche d'un moyen de sortir de cet endroit. Il devait retrouver Ophélie.

Réfléchissant, analysant, calculant, statistiquant, algorithmant bref... mathématisant chaque éventualité, chaque chance de pouvoir se sortir d'ici... en vain.

Combien de temps s'était-il écoulé depuis le début de son périple ? Était-ce le matin sur Babel ? Le soir peut-être ? Il aurait facilement pu quantifier ce temps si celui-ci ne s'était pas arrêté net autour de lui, dès son entrée dans l' Envers .

De toute évidence, le lieu dans lequel il se trouvait présentement n'était pas comme les autres.

Lorsque Thorn était amené à analyser une situation ( ce qui arrivait souvent ) , peu de détails - fussent-ils insignifiants - échappaient sa réflexion.
Dans le cas précis, il était on ne peut plus déstabilisé : tout lui semblait absurde ( à commencer par la teinte verdâtre que sa peau avait pris, et cette cicatrice-ci sur sa tempe gauche, pourquoi avait-elle changé de côté ? Et cette autre-là ? ... ) ; mais comme Ophélie, il avait fini par comprendre :
l' Ancien monde.

A défaut d'être déjà coincé dans un corps trop grand qui - à l'instant précis - était également dépourvu d'une quelconque symétrie, Thorn se trouvait à présent coincé dans l' Ancien monde.

Ce monde antérieur à la Déchirure était passé de l'autre côté de la trame spatiale dès lors que l'Autre avait déstabilisé le cours de l'Histoire.
Il s'était dématérialisé : en se désintégrant alors en aerargyrum, ce monde était devenu un monde parallèle inconnu de tous.

C'était le verso du Monde.

Au cours de ses recherches à travers ce gloubiboulga d'aerargyrum, l'ex-intendant était parvenu à la considération suivante : la matière qui constituait cet espace utopique pouvait se transformer , se modeler indéfiniment lorsque la situation le nécessitait.

Thorn en avait fait l'inédite expérience lors de l'épisode du puits : un puits  de plusieurs mètres de profondeur, entièrement constitué d'aerargyrum - mais invraisemblablement réaliste - lui était apparu comme par magie.

Ce puits était étrange, il défiait curieusement les lois gravitationnelles, si bien qu' Isaac Newton en personne en aurait eu des céphalées.

Thorn s'était approché avec méfiance de cet abîme.
Celui-ci lui inspirait à la fois une profonde abjection et une crainte palpable : à ce moment précis, il pouvait sentir ses griffes frémir, se hérisser, prêtes à agir en conséquence si la situation l'y obligeait. Qui sait, l' Autre se cachait-il peut-être à l'intérieur ? Après tout, il se trouvait sur son territoire, avait songé Thorn.

À la place, il y avait trouvé sa cousine.

À la place, il y avait trouvé sa cousine

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Quel étrange lieu de rencontre !

À l'accoutumée , les familles font
connaissance avec leur nouvelle descendance à la maternité, en compagnie de tous leurs proches, impatients de découvrir le nouveau né endormi paisiblement dans son couffin.

Non. Lui avait choisi ( plutôt « subi », en fait ) de rencontrer sa cousine... au fond d' un puits.

Décidément, on allait d'absurdité en absurdité dans cet endroit.

Cette rencontre inattendue avec Victoire avait néanmoins eu le bénéfice de réprimer sous silence une émotion qui lui était auparavant inconnue. De ce refoulement était alors né un sentiment nouveau, à l'intérieur de cet homme habituellement maussade : celui-ci portait désormais un regard nouveau sur les choses. Il se sentait d'un coup prompt à surmonter toutes les épreuves. Il était plus déterminé que jamais. Il était plus désireux que jamais de retrouver Ophélie.

Thorn ne l'aurait jamais avoué explicitement, mais ce contact avec Victoire lui avait fait un bien fou.
Qui aurait cru qu'une mioche de 89 centimètres, aussi frêle qu'un flocon polaire face à un ours des glaces , aurait eu autant d'impact sur une personne telle que lui ?

Oui. Il le ressentait.
Dorénavant, il n'aurait plus à subir la dictature de ses griffes.
Cette ère-là était révolue.
Finalement, l' Ère des Miracles existait-t-elle peut-être bel et bien, en fin de compte ? ( Interprétée sous un tout autre angle, du moins, que sa description originelle trapuscritée dans un vieux bouquin pour enfant ... ).

Victoire désormais envolée , Thorn de nouveau esseulé.
Celui-ci se retrouvait une fois de plus seul  et isolé ( non pas que cela le dérangeât ).

Contre toute attente, cette solitude fut de courte durée ( d'une échéance de 30 000 millisecondes, pour être plus précis ).
Thorn aimait la précision.

C'est avec tout autant de clarté que la nappe d'aerargyrum, qui représentait l'instant précédent la silhouette féminine de Berenilde, s'évapora pour ensuite se rematérialiser en un énorme miroir gravitant à travers cet espace mi-air, mi-terre ( si on peut appeler cela de la « terre » ) .

Il y avait, derrière cet apparition nouvelle, une bonne raison, tout comme l'avait été l'apparition du puits, du berceau, et de sa tante.

Thorn n'était plus certain de rien, ces derniers temps, mais l' idée que ce miroir n'était pas apparu par inadvertance résonnait en lui comme une évidence.

Il apprécia de pouvoir enfin appliquer sa logique mathématique sur un phénomène aussi surnaturel que celui-ci : tout était calculé, tout était millimétré, tout était prévu - et ce, depuis le début.

Thorn aurait un rôle à jouer dans l'Histoire, et il aurait un rapport avec ce miroir.

Lui qui ne se fiait initialement qu'à la science des probabilités... il fut contraint revoir ses plans d'une manière plutôt radicale : peut-être devait-il - en plus des analyses combinatoires, des fonctions de masse et autres procédés mathématiques complexes - apprendre à faire confiance à un phénomène en qui il n'avait jamais voulu croire jusqu'à présent ?

Même sans avoir besoin d'un écho d'avance pour écarter de toute réticence cette hypothèse , et même si elle allait à l'encontre de ses principes, il y croyait de plus en plus.

Les dés... ses dés, étaient bel et bien jetés.

Le destin en avait décidé ainsi.

【 𝐋𝐀 𝐏𝐀𝐒𝐒𝐄-𝐌𝐈𝐑𝐎𝐈𝐑  】𝐒𝐄𝐐𝐔𝐄𝐋 𝐃𝐔 𝐓𝐎𝐌𝐄 𝟒  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant