Chapitre 1

12.7K 651 48
                                    

     Un an déjà que ma sœur, dépressive, a mis fin à ses jours en sautant du haut de cette falaise, ai-je songé amère. Gagnée par un désespoir saisissant, j'ai avalé les derniers calmants de la boîte de médicaments que j'ai balancée sur le siège passager, à côté de mon sac à main et d'un pack de bières entamé. Durant une nuit agitée, frappant contre le klaxon, hurlant après la vie, je me débattais avec mes démons. Je pestais contre ce mal insidieux, cette putain de maladie qui avait emporté ma sœur chérie, me laissant seule et démunie pour affronter un quotidien anxiogène et effrayant. Avec elle à mes côtés, je pouvais soulever des montagnes. Sans elle, sans cette personne que j'aimais plus que tout, je coulais, je me noyais.

Déterminée à en finir, je suis sortie de la voiture pour affronter le vent froid et irritant qui me bousculait. La pluie, un véritable déluge, me frappait le visage. Chaque grêlon sur ma peau était une douleur contre laquelle je résistais. Dans cette tempête, j'ai eu l'impression d'entrevoir le bout du tunnel. Celui qui me délivrerait de cette existence futile, de mon inutilité sur cette terre, d'un manque d'amour profond et oppressant que je subissais chaque jour.

J'ai avalé le fond de ma bière et m'approchant du vide d'une falaise aux contours sinueux, j'ai pris une grande inspiration. Je me suis penchée pour regarder plus bas, sans rien apercevoir. Poussée par le vent, j'ai reculé en m'effondrant sur le sol. Lâchant, la bouteille de bière vide, je me suis recroquevillée sur moi-même avant de trouver le courage de ramper au bord de la falaise pour difficilement me relever. J'ai tourné la tête et regardé derrière moi. Plus rien ne me retenait. Il était temps.

Temps de sauter.

- Saute ! Saute ! Saute ! Saute ! ai-je braillé en titubant pour me donner du courage.

J'ai hésité en pleurant lamentablement sur mon sort. Puis, sans crier gare, j'ai pris de l'élan pour m'élancer dans le vide. Un vide froid, glacial, hostile. Happée dans un abîme, mon corps a comme glissé dans l'eau qui m'a enveloppée de ses douces ailes. Des ailes d'un blanc nuancé de bleu. Le genre de bleu timide, doux, un bleu magnétique aussi fou que magnifique. Ces ailes qui m'entouraient ont tourbillonné et moi avec, il me semble. J'ai tourné comme une gosse dans un manège. D'ailleurs, des souvenirs heureux me sont revenus durant cet instant de grâce qui m'attirait, seconde après seconde, au fond de l'océan.

Dans l'eau étrangement tiède, je me suis débattue. J'ai agité les bras et les pieds. Ballottée, j'ai senti l'eau me transporter pour me cogner contre les rochers. Elle me signifiait que mon geste était mal, que jamais je n'aurais dû succomber à l'appel des sirènes. Je n'ai plus trouvé la force de me battre contre l'océan, j'étais sienne. Je lui appartenais.

Malgré les ballotements, je succombais toujours à la douceur d'une matière délicate qui me protégeait comme pour m'empêcher de me heurter trop brutalement aux rochers qu'il me semblait, je ne faisais qu'effleurer. Sur le moment, j'ai pensé être morte, dans ma bulle.

Loin de la réalité, je me suis réveillée au bord de la plage, dans le sable mouillé. La pluie ne tombait plus. Les vents violents se sont transformés en de douces brises. Un homme, penché sur moi, terminait de réaliser un massage cardiaque qu'il alternait avec du bouche-à-bouche. J'ai toussé et recraché l'eau contenue dans mes poumons en roulant sur mon flanc. J'ai cru vivre une sorte de résurrection, un moment horriblement douloureux. Rapidement en levant la tête, j'ai compris que je n'étais plus en haut de la falaise, mais bien en bas. Je n'ai pas réussi à aligner deux mots.

Des ailes. J'ai cherché des ailes ! J'étais certaines d'avoir vu ces ailes dans l'eau. Une illusion ? La folie, l'effet de l'alcool.

Déboussolée, je bredouillais des semblants de phrases sans queue ni tête au jeune homme qui sous les rayons de la lune me portait secours. Il m'a aidée à me relever et constatant que je vacillais sur mes deux jambes m'a retiré ma veste, mes chaussures et m'a portée. Je ne saurais pas dire combien de temps cela lui a pris pour atteindre une maison dont les spots aveuglants ont éclairé son perron à notre arrivée.

Bleu Magnétique (EN PAUSE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant