Vêtue de sa longue robe tissée dans la noirceur des ténèbres, la Faucheuse s'arrêta devant la maison de la prochaine âme sur sa liste. Elle leva les yeux vers la vieille bâtisse. Elle savait qui elle venait chercher ce soir-là. C'était un petit guerrier. Elle était déjà venue le voir quelques mois auparavant, mais il s'était s'était si bien battu qu'elle n'avait pas eu le courage de l'emporter dans l'immédiat. Aussi, elle lui avait laissé un peu de répit.
Oui, c'était un bon guerrier, mais tous guerriers tombent un jour. Elle avait attendu le bon moment. Ses maîtres avaient joué avec lui, lui avaient montré leur amour et il avait même accepté les caresses de quelque visiteur. Oui, c'était le jour parfait pour l'emmener.
La nuit était tombée depuis plusieurs heures lorsqu'il La vit. Du coin de son œil unique qui ne voyait plus très bien, il aperçut la grande toge noire de la Mort.
« C'est l'heure d'y aller. »
Il accepta son sort sans rechigner. Il s'était bien battu et avait profité du sursis ; à présent il était fatigué. Lentement, il se leva et sortit dans le jardin. Il alla se cacher derrière les grands yuccas, là où il pourrait partir à l'abri des regards. La Mort attendit qu'il trouve le bon endroit pour s'allonger, Elle savait qu'il n'était pas facile de tout quitter. Mais des voix fusèrent dans la nuit noire. Le petit guerrier entendit sa famille l'appeler, le priant de revenir au chaud. Il distingua son nom, vit des lumières fouiller les branches dans l'espoir de le trouver, reconnut le bruit de sanglots étouffés.
Il leva le regard vers la Mort.
« Ils me cherchent... »
Elle ne céda pas.
« C'est l'heure, petit guerrier. »
Il tourna la tête vers les voix qui l'appelaient. Ses oreilles retombèrent d'un air attristé.
« Mais je n'ai pas eu le temps de dire au revoir à tout le monde... »
La Faucheuse hésita un instant. Elle n'était pas censée faire ça, seulement la mine accablée du petit guerrier lui serra le cœur. Après tout, il s'était bien battu.
« D'accord », accepta-t-elle avant de disparaître.
Lentement, il sortit des buissons pour retrouver les siens. Il était faible ; même si elle n'était plus à ses côtés, la Mort continuait de le guetter.
Au petit matin, il s'allongea sur le grand tapis du salon, celui dont il avait grignoté les coins petit, celui où il s'allongeait parfois le soir en compagnie de sa famille. Son ami de toujours s'installa sur le canapé à quelques pas de lui, ne le laissant pas seul un instant. Ses maîtres vinrent le voir un à un. Ils le caressèrent, lui rappelèrent à quel point ils l'aimaient. Certains le remercièrent pour le temps passé à leurs côtés, d'autres le rassurèrent. Tous lui souhaitèrent bonne chance.
Quand le dernier humain s'éclipsa, la Faucheuse refit son apparition.
« Tu as eu le temps de dire au revoir à tout le monde ? »
Le petit guerrier n'avait plus la force de répondre et ferma l'œil.
La Mort l'aida à se relever. Tout d'un coup, il sentit l'énergie le parcourir de nouveau et le mal-être le quitta définitivement. Mais il n'y avait pas que ça : sa vue était de nouveau parfaite et il voyait aussi bien qu'au début de sa vie.
La Faucheuse ouvrit une porte donnant sur un long tunnel noir qui paraissait sans fin. Bien qu'il ne fut pas rassuré, le petit guerrier La suivit à l'intérieur sans protester. Après quelques pas, il se retourna pour jeter un dernier regard en arrière. Il pouvait toujours apercevoir le salon où il avait grandit et son grand frère qui dormait sagement sur le canapé. Il allait lui manquer... Ils allaient tous lui manquer.
Le petit guerrier baissa la tête vers le sol et reprit son chemin, le pas traînant.
« Est-ce qu'ils vont m'oublier ? »
La Mort avançait sans hésitation. Le tunnel ne menait qu'à une porte dont on pouvait tout juste distinguer le contour.
« Non. Tu auras toujours une place dans leurs cœurs. »
Cela le rassura quelque peu. Ils continuèrent leur chemin en silence et, bientôt, arrivèrent à leur destination. Malgré la pénombre, la Mort remarqua l'air abattu de celui qu'Elle accompagnait.
« Ne soit pas triste, petit guerrier. Je sais que cela ressemble à une fin, mais ce n'en est pas une. »
Il releva les yeux vers Elle, son regard brillant de curiosité.
« Qu'est-ce que c'est, alors ? »
De sa main décharnée, la Mort tourna la poignée et poussa la porte. Une vive lumière se déversa sur le petit guerrier, l'enveloppant d'une chaleur douce et rassurante.
« C'est un nouveau départ. »
❁❁❁
Il est rare que j'écrive des textes aussi court, seulement j'en ai ressenti le besoin lorsqu'un de mes chiens nous a quitté il y a quelques jours de ça. Même si l'on avait été prévenu qu'il ne lui restait pas longtemps, on n'est jamais vraiment prêt pour ce genre de choses.
Je l'ai connu pendant plus de la moitié de ma vie, et ça me brise le coeur de savoir qu'il ne sera plus là pour m'accueillir quand je rentre, pour me consoler quand je suis triste, qu'il ne se frottera plus à moi comme un gros chat de vingt kilos, qu'il ne me demandera plus jamais de jouer à la balle avec lui, et toute ses petites choses qu'il faisait quotidiennement.
Je me console en me disant qu'il a eu une belle et longue vie (presque 13 ans le pépére, quand même) et qu'il n'a jamais manqué d'amour. Au moins, il a pu dire au revoir à tout le monde, et il est parti paisiblement et au chaud (ce qui est quand même mieux que d'aller s'enterrer tout seul au fond du jardin en pleine nuit comme il avait prévu de le faire)
Bref. C'est triste, mais la vie continue. Mon petit guerrier s'est bien battu et il a le droit à son repos à présent. Heureusement, j'ai deux autres loulous à la maison (un vieux pépé de presque 14 ans et un tout petit bébé de deux mois) qui sont là pour me remonter le moral.
Si vous avez des animaux chez vous, faites-leur des poutous. Ils méritent tous des tonnes de poutous.
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[RB] Le monde n'était pas prêt.
RandomJ'ai parfois besoin d'exprimer mes pensées profondes, toutes aussi stupides, étranges et inintéressantes soient-elles. Alors, est-ce que le monde est prêt à les entendre ? Probablement pas. Mais est-ce que le monde s'en fout ? Définitivement.