Cette nuit-là, ni Thomas ni Alice ne dorment.
Chacun dans leur coin de la ville, leur maison, leur chambre, ils tapent sur un clavier électronique avec une frénésie mal contenue. Ils écrivent leurs joies et leurs passions, leurs rires et leurs larmes, leurs souvenirs et leurs rêves.
Ils se découvrent.
Thomas raconte comment il voudrait voyager. Tout lâcher et partir marcher dans les forêts canadiennes, les steppes mongoles et les villes indiennes. Il ne l'a jamais dit à personne, parce qu'un rêve comme ça est fou, est risqué, presque impossible à mettre en place. Mais Thomas sait que s'il y a une personne qui peut comprendre, c'est Alice.
Alice sourit. Il en est sûr lorsqu'elle lui écrit de foncer, de partir avec son sac à dos et de revenir sans le sou mais avec un sourire.
En retour, elle lui parle de ses dessin. Alice aime dessiner, comprend Thomas. Plus qu'une activité, c'est une part d'elle-même. Vous ne pouviez pas avoir l'un sans l'autre.
Il lui demande des photos.
Il se sent courageux, entraîné par la conviction qu'Alice croit en lui. Thomas se sent invincible. Pour la première fois, il a l'impression qu'il peut choisir sa vie. Qu'il a retrouvé le gouvernail de son existence.
Il lui demande les photos.
Elle hésite, son cœur bat la chamade. Il le sait, parce que le sien aussi. Mais il ne va plus s'arrêter parce qu'il a peur, plus maintenant. Au contraire, il va aller plus fort, plus vite, plus loin. Il va pousser sa chance jusqu'à ce qu'elle marche.
Il le dit à Alice, comment elle change sa vie, chaque jour. Comment elle redessine déjà le contour de ses journées, comment il pense à elle. Il lui dit tout, et il a peur lorsqu'aucun message n'arrive plus.
Thomas a pris un risque. Il a parié son cœur, sans espoir de le récupérer intact s'il perd.
S'il te plaît Alice. Rend-le intact. Cela mettrait tellement de temps à le recoller, un puzzle sans modèle ni dessin final. Cela ferait tellement, tellement mal. Ne laisse pas tomber maintenant.
Et puis, il reçoit une photo. Son cœur bondit comme un kangourou surexcité dans sa cage thoracique.
Un message l'accompagne, et Thomas ne peut qu'imaginer comment les doigts d'Alice ont tremblé alors qu'elle tapait les lettres. Une courte phrase, un avertissement, une supplique, une menace.
Ne te moques pas.
Il ouvre la photo. C'est un enfant tenant un ballon par une ficelle. Le ballon représente un cœur, et il flotte haut, sans protection, à la merci de n'importe qui. Il est un peu cabossé, ce ballon, un peu abîmé. Au loin, dans le coin de la page, Thomas distingue des formes armées d'objets tranchants. Couteaux, fusils, arcs et flèches.
Il dit à Alice que rien n'atteindra le cœur s'il vole assez haut. Il lui décrit la cachette des nuages, le nid des étoiles. Il lui dit que là, le ballon sera en sécurité.
Alice lui envoie un autre dessin.
Thomas se reconnaît instantanément. C'est un portait de lui. Lui qui rit. Ses joues sont plissées, et il penche n peu la tête en arrière.
Alice écrit un commentaire.
Je peux l'envoyer loin... Ou je peux trouver quelqu'un qui en prendra soin.
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Alice
General FictionThomas aime Alice. Mais Alice ne regarde pas Thomas, Alice est perdue dans son monde. Alors Thomas va l'y rejoindre.