Sixième partie

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Il pleuvait. Le ciel gris plongeait la ville dans un crépuscule incertain suite aux nombreux éclairs qui l'assiégeaient. En courant, Sōichiro et Kyōko, gloussant gaiement comme deux enfants qui venaient de follement s'amuser, atteignirent l'immeuble du jeune homme où celui-ci vit de loin sa meilleure amie, Ayumi. Elle était debout dans un coin du rez-de-chaussée, où l'averse n'arrivait pas à avoir accès, dans un joli manteau et les cheveux libres, mais curieusement secs. « Ayumi ! pensa-t-il. Elle a dû me pardonner et se rappeler que je lui avais donné rendez-vous ici hier soir. Après tout, elle ne sait pas vraiment garder rancune longtemps ! » En cinq secondes, ils la rejoignirent tous les deux, trempés jusqu'aux os. « C'est quoi ça ? s'exclama la meilleure amie du jeune homme avec une voix de canard assez comique. Ce n'est pas du tout raisonnable ! » Ils continuaient de rire, même si Kyōko le faisait en se mettant à avoir par la même occasion une allure moins enjouée que celle de son nouvel ami.

- Ayumi, présentait-il, Kyōko ; Kyōko, Ayumi.
- C'est quoi ça ? reprit encore Ayumi, provoquant la surprise de celui qu'elle est venue voir. Ce n'est pas du tout raisonnable !

Sōichiro ne saisit par la raison pour laquelle Ayumi semblait ignorer l'adolescente. Il s'apprêtait à lui parler quand il fut interrompu soudainement.

- Sōichiro, annonçait sérieusement Kyōko, elle ne me voit pas.
- Quoi...

D'un seul coup, il se retrouva complètement plongé dans le noir : ses yeux étaient fermés. Il se mit à souhaiter tout, mais pas ce qu'il craignait déjà de découvrir. Tout, mais pas cette vérité qui vint lui sauter dessus, confirmation de ce qu'il redoutait le plus. Il ouvrit ses paupières et reconnut, sans avoir besoin de lumière en cette nouvelle aube, le lieu où il s'était couché après avoir dit au revoir à Xiang et après avoir appelé Ayumi pour s'excuser. Le déni aurait était le premier réflexe de n'importe qui à sa place mais Sōichiro était conscient que malgré tout, il devait alors admettre ce que voulait signifier tout cela : ce n'était qu'un rêve. L'erreur de livraison, l'appel téléphonique et surtout, Kyōko ; aucune de ces choses n'était réelle. Il n'avait jamais reçu de paquet qui était en fait destiné à quelqu'un d'autre, il n'avait pas effectué d'appel téléphonique vers un numéro inconnu, il n'avait pas eu la visite d'une drôle d'adolescente avec laquelle il avait fini par passer le reste de sa journée. Il referma les yeux, écrasé. Tout ceci n'avait été que le fruit de son imagination. Kyōko, cette fille de quinze ans délurée, totalement bavarde et parfois sage à sa façon, cette jeune Kyōko n'était nul autre qu'un être créé de toute pièce par son subconscient sans qu'il n'eût pu le réaliser. Elle avait l'air, pourtant, si vivante pour lui ! Il était surpris par les capacités que possédait le cerveau humain, mais apprendre que ces instants d'euphorie étaient entièrement fictifs l'avait anéanti. Lui qui croyait avoir trouvé une nouvelle personne qui l'appréciait à sa juste valeur devait à nouveau faire face à sa solitude. C'était trop dur pour lui. Il fut si déboussolé qu'il se replia tristement sur son divan, attendant le cruel levé du soleil qui aurait ôté davantage toutes ses espérances par sa simple venue. Récupérant son téléphone pour avoir au moins connaissance de l'heure qu'il était, il constata l'arrivée d'un nouveau message une heure après qu'il eût passé son dernier appel : « Ne me fausse pas compagnie pour demain à dix-huit heures en bas de ton immeuble ? » Ces quelques mots rendirent son visage un peu moins maussade. « Je tiens toujours mes promesses. Tu me connais ! » renvoya-t-il. Tout était réglé entre sa meilleure amie et lui ; et c'était cette toute petite conversation via leur clavier qui éclaira légèrement ce réveil décevant. Le garçon de dix-neuf ans, qui s'étendit de nouveau sur le divan en souriant, ne le remarquait pas encore, mais une nouvelle page de sa vie s'écrivait puisque c'était la première fois, depuis bien longtemps, qu'il s'écoulait autant de temps sans qu'il n'eût pensé à la rousse qui lui avait brisé le cœur quelques mois plus tôt. C'était un progrès latent pour lui, qui avait dans son esprit d'autres réflexions sur lesquelles s'était déjà portée sa concentration toute entière.

Quatre mois plus tard, en pleine journée, Sōichiro et Ayumi étaient assis dans un salon de coiffure. Ils discutaient l'un en face à l'autre, en rigolant parfois, si bien qu'il arrivait que quelques personnes les dévisageaient ; pourtant, ceci était le cadet de leurs soucis.

- Ma pause est finie ! fit la jeune fille en se levant.
- Et la mienne aussi j'imagine, déclara Sōichiro en se tenant également debout dans un uniforme composé d'un haut blanc (manche courte) qu'il avait dépareillé à l'aide d'un pantalon noir.
- Je te raccompagne ?
- Si ça ne te dérange pas !

Elle le prit par la main et marcha avec lui vers la sortie, attirant les foudres de tous les hommes présents dans les lieux vers son meilleur ami.

- Comment va Xiang ? demanda-t-elle
- Il va bien, répondit-il. Je crois que malgré tous les efforts que j'ai pu faire pour dominer mon caractère dernièrement, les choses resteront les mêmes entre lui et moi. Nous ne sommes juste pas faits pour être amis tous les deux.
- Ah bon ! En parlant de ça, c'est vrai qu'il y'a eu beaucoup de changements depuis les vacances ; quelle en est la cause mon ange ?
- J'ai juste vécu une expérience qui m'a fait comprendre que tout n'est pas aussi sombre qu'on pourrait le penser et qu'il faut parfois essayer de voir le bon côté des choses !

Il regarda autour d'eux avant de réaliser leurs mains jointes.

- Tu risques de me créer des problèmes à force de m'appeler tout le temps mon ange et me tenir comme ça ! signala-t-il en souriant.
- On s'en fiche ! s'exclama Ayumi. Les gens peuvent bien penser ce qu'ils veulent ! Et puis, j'ai un copain non ? Et toi aussi d'ailleurs !
- Pardon ?
- Je veux dire, une copine !
- Je répète encore : pardon ?
- Je veux re-dire, une potentielle copine !
- Je re-répète : pardon ?
- Ne joue pas les innocents Sōichiro ; tu ne vas pas me dire qu'il n'y a rien entre cette Maya et toi ?
- Ce n'est qu'une collègue de travail !
- Ouais, une collègue de travail hyper jalouse ! Tu n'as pas remarqué comment elle me regarde à chaque fois qu'elle nous croise tous les deux ? J'ai l'impression qu'elle se retient de me trancher la gorge !
- Arrête, tu exagères !
- En plus, je sais qu'elle t'intéresse aussi vu la façon dont tu la fixes également.
- N'importe quoi !

Ils se stoppèrent devant les portes du salon Yumi, qui devait être sûrement le salon dont la jeune fille était propriétaire, ce qui expliquait pourquoi elle ne portait pas d'uniforme.

- Si si ! démentit-elle. Tu as la bouche ouverte, les yeux qui pétillent,...
- Tu sais que c'est maintenant moi qui ai envie de te trancher la gorge en ce moment ?

Elle éclata de rire et il sourit en essayant de lui tourner le dos pour se cacher. « Mais avoue au moins que j'ai raison, recommença-t-elle, parce que explique-moi la raison pour laquelle tu travaillerais dans un salon de thé et précisément celui-là ? À moins que... » Elle l'examina avec attention.

- Sōichiro, s'énerva-t-elle, ne me dis pas que tu essayes encore de revoir l'autre ?
- Quelle autre ? lui retourna-t-il.
- Celle dont je n'ai plus envie de prononcer le nom après ce qu'elle t'a fait !
- Tiens, je l'avais oubliée celle-là !
- Et... Grâce à qui ?

Elle avait repris son ton espiègle et le jeune homme comprit où elle voulait encore en venir. Il secoua la tête, en signe de désespoir.

- Vaut mieux que je reparte ! souffla-t-il.
- Mais tu ne m'as pas répondu : pourquoi ce travail et pourquoi ce salon de thé ?
- Disons que... C'est un endroit très spécial pour moi.
- Hmmm ! souriait-elle. Juste deux syllabes : Ma-ya. Ah !

Elle lui lança un baiser et se retourna en gloussant tandis que Sōichiro resta là, les lèvres étirées presque jusqu'aux oreilles.

Sōichiro entra dans une pièce qui ressemblait à un vestiaire et attrapa un tablier rose se trouvant parmi ses affaires quand il aperçut un objet, recouvert par le tissu qu'il venait de prendre : c'était le casque rouge qu'il avait payé quatre mois auparavant. Il se mit à l'admirer car sans doute, le souvenir de Kyōko et de la folle journée qu'il crut avoir passée refaisaient surface dans son esprit. Un sourire mélancolique s'afficha sur son visage. « Je ne t'oublierai jamais Kyōko, dit-il, le souvenir d'une journée de rêve qui m'a appris croire en moi et à aimer la vie ! » Et il ressortit de là, nouant le tablier rose autour de ses hanches.

Fin.

Journée de rêve d'un désaxéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant