Chapitre 5

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Nos regards se croisent de nouveau, il fronce légèrement les sourcils puis détourne la tête. M'aurait-il enfin reconnu ?

Le directeur prend la parole, rompant le silence qui menaçait de s'installer.

"— M. Dermanis, je vous présente M.Penniman.

Ce dernier s'empresse de le reprendre :

– Vous pouvez m'appeler Mika, M. Penniman ça fait vieux.

Je souris à Mika d'un air gêné, de ce sourire pincé que l'on adresse aux gens que l'on connaît un peu, mais pas assez pour entamer une discussion. Quant à lui, il me répond par un sourire franc, plein de joie. Si je doutais qu'il m'ait reconnu, maintenant je suis sûr que non. Étrangement, je trouve ça encore plus gênant. D'un autre côté, qui aimerait savoir que son probable futur patron se bourre la gueule à en vomir sur les passants ? Certainement pas moi.

On suit le directeur vers son bureau, avec un passage obligatoire par l'ascenseur. Plus personne ne parle et la petite musique d'ambiance est le seul son venant briser le silence. Elle me donne envie de danser comme un pingouin. En imaginant la scène, je me retiens difficilement de lâcher un rire, en retenant ma respiration, mais je commence rapidement à manquer d'air et je ne peux pas m'empêcher de tousser puis de reprendre ma respiration comme un asthmatique. Les deux hommes présents se retournent mais le "ding !" indiquant l'ouverture des portes retentit et ils sortent devant moi. Je les suis, gêné. Voilà encore un truc dont je me souviendrais toute ma vie et qui viendra me hanter pendant mes insomnies.

Nous prenons place sur les fauteuils que M.Orwell nous présente :

— Asseyez-vous, je vous prie.

On s'exécute sans poser de questions, et il fait de même, en joignant ses mains sur la table.

— Bien. Alors, monsieur Penniman, je suppose que vous avez déjà lu le CV de M.Dermanis, je vous l'avais fait parvenir.

— Oui, évidemment, on ne serait pas là sinon... répond Mika d'un ton sarcastique.

Je toussote, me retenant encore de rire.

M.Orwell reprend la parole, en s'adressant toujours au bouclé, imperturbable, comme s'il n'avait pas noté le sarcasme de sa réplique :

— Vous pouvez peut-être expliquer votre fonctionnement, et vos attentes quant à ce poste, à monsieur Dermanis. Dit-il en faisant un signe de la tête dans ma direction.

— Hum, oui, bien sûr... Alors... Par où commencer... Il fronce les sourcils et se mord la lèvre, perdu dans ses pensées. 

*Ow... bg le mec finalement...* OUHLA ANDY CALME TOI, C'EST PAS LE MOMENT. Il remarque à cet instant que je le regarde avec des grands yeux, ce qui ne fait que renforcer son froncement de sourcils. Je toussote et essaye de retrouver un comportement normal. Je me retrouve à rougir devant lui, ça va finir par devenir une habitude d'enchaîner les bourdes avec cet homme. Bon, même si avoir envie de rire n'est pas une bourde en soit, mais si je commence à me taper des barres en plein tournage on va pas aller très loin. Et à force de toussoter ils vont croire que j'ai attrapé quelque maladie exotique, bien que niveau maladies exotiques, Londres ne laisse pas de grandes possibilités, si ce n'est aucune.

Il prend alors la parole :

— Hum, bon, alors, heuu... Je ne suis pas encore connu, et je doute que je le sois vraiment un jour mais je tiens à ce que tout soit parfait, quitte à devoir recommencer les prestations de nombreuses fois... Je suis assez perfectionniste... Heuuu, par rapport à mes attentes, il n'y en a pas en particulier, je ne connais pas le métier donc ce sera plutôt à toi et le reste de l'équipe de me conseiller par rapport aux prises de vue. Oh, heu du coup tu seras avec trois autres cameramen pour avoir différents angles, mais tu sais comment marche une équipe, vu que c'est ton job, enfin tes études, bref... T'as compris... 

Il s'interrompt quelques instants, avant de reprendre :

— Je tiens à faire le point assez régulièrement avec l'équipe, histoire de savoir où les montages en sont, et caetera. Ces films pourront servir pour plus tard, et, au pire, ils seront pour ma mère. Fait-il avec un petit sourire gêné et une pointe d'amusement dans la voix.

Il lâche un petit rire, tandis que ma tête de décompose. Je vais travailler pour un salaire de misère, tout ça pour qu'il refile uniquement les vidéos à sa mère ? Il remarque mon air déconfit et paraît instantanément inquiet.

— Eh ! Je rigole hein ! Ils vont vraiment servir à ma carrière !

Je rougis -pour la deuxième fois déjà, ça commence à bien faire- et baisse le regard, m'insultant mentalement. Je prends toujours tout au premier degré, je suis vraiment con. Je lui souris timidement en m'excusant, on va essayer de repartir à zéro, hein. Même si je risque pas d'oublier qu'il a pourri mon t-shirt. Ça va le poursuivre longtemps ça...

— Désolé... C'est mon premier entretien, je suis un peu stressé...

Pourquoi je raconte ça moi ? Je me désespère. Vraiment. J'ai envie de me baffer. Je relève les yeux vers lui et remarque qu'il fait une drôle de moue, comme s'il ne savait pas comment réagir. Il reprend maladroitement la parole :

— Et, humm, pour une bonne cohésion d'équipe, je pense qu'il est important de passer un peu de temps ensemble, alors quelques soirs, on organise des trucs pour se retrouver après le boulot... Tu n'y vois pas d'inconvénients j'espère ? Après si tu ne veux pas venir je comprends, mais ce serait cool d'apprendre à se connaître...

Il me demande ça d'un air timide, presque gêné par cette condition loin d'être habituelle.

Il est vraiment en train de me dire qu'on va devoir se faire des petites soirées ? D'un côté c'est sympa comme idée mais si je m'entends pas avec sa troupe ? Et si j'ai pas envie de sortir et de voir des gens ? Je devrais quand même y aller ? Enfin, c'est pas comme si j'avais une multitude d'offres d'emplois non plus... Et avec un peu de chance ils seront tous sympas ? Mais s'il ne le sont pas ? Et s'ils ne m'aiment pas ?

Je réponds alors en lui lançant un faible sourire, pour cacher mon conflit intérieur :

— Non, non, ça ne me gêne pas, au contraire... Hum, sinon... Il y a d'autres choses que je dois savoir sur mon futur boulot ?

Je lui lance un regard taquin, un peu timide, avec un sourire en coin et il y répond par un grand sourire joyeux, comprenant que j'accepte de travailler avec lui. Je me détends tout de suite, il n'a vraiment pas l'air méchant.

***

Bon. Finalement cet entretien ne s'est pas si mal passé... Et j'ai un emploi ! C'est le plus important non ? En plus, Mika a l'air vraiment gentil, et vu ce que je connais déjà de lui, on ne doit pas s'ennuyer en sa compagnie.

En plus du fait que le travail qu'il me propose est vachement plus intéressant que le chômage, on ne va pas se mentir. Et qu'il est vraiment mignon quand même.

— Bref, reste maintenant à prévenir tout le monde", dis-je encore à haute voix en prenant mon téléphone.

Voilà que je recommence à parler tout seul, la folie me guette.

Je décide de faire un message groupé :

"Hey! J'ai obtenu le poste! Je suis pris !! Je commence en janvier prochain. Oh, j'ai pas précisé, c'est un CDI, donc si tout se passe bien je devrais garder ce poste un petit bout de temps. On verra plus tard comment tout ça évolue. J'ai vraiment hâte de commencer ! En plus Mika (le chanteur) a l'air super sympa."

Je ne juge pas nécessaire de préciser que j'ai déjà rencontré cet homme auparavant, après tout, ils n'ont pas besoin de savoir qu'il s'agit de l'homme m'ayant vomi dessus en sortie de boîte il y a de ça quelques mois déjà.

"Grrmblmblmbleuuuuu..."

Je... C'était vraiment mon ventre ça ? Oh mon dieu, il est déjà 15 heures, tu m'étonnes que j'ai faim ! J'envoie rapidement le message et commence sans plus tarder à me faire des pâtes. Les pâtes c'est la vie. C'est rapide à préparer, c'est bon, et ça nourrit. Que demander de plus ?

Tiny Little LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant