Les recueils d'Aajin

Chapitre 1 : Le jeu de carte

Six mois plus tôt

Je descends les escaliers et me retrouve face à Allen. Nous nous regardons en silence. Il sait que j'ai a lui parler et attend que je prenne la parole.

Ce forgeron s’est installé a Grandpré, un village de province. Il est brun, grand à large carrure et musclé par son métier. Même si à première vue, il parait intimidant, il est attentionné et toujours prêt à aider les autres. Je vis avec Allen depuis qu’il m’a recueilli, il y a maintenant un an, quand je suis arrivé dans ce monde. Il m’a trouvé évanoui en forêt alors qu’il coupait du bois pour sa forge. Comme je n’avais rien pour vivre et nulle part où aller, il m’a proposé de devenir son apprenti. Je l’aide tous les jours à la forge, en entretenant le foyer ou dans la fabrication. En échange, il m’offre un toit, trois repas par jours et de l’argent de poche. Mais un an est passé de puis lors et j’ai décidé de partir pour la capitale, Faradom. Je romps alors le silence qui s’est installé.

« Allen, je vais partir »

Il me regarde d’un air surpris mais je sais qu’il redoutait ces paroles. Il me considère comme le fils qu’il n’a jamais eu.

« Je savais que tu partirais, mais je n’aurais pas pensé que tu me laisserais si tôt, seul avec ma forge » me dit-il avec une pointe de tristesse.

Il sourit légèrement, mais ce sourire reflète sa mélancolie. Je me sens coupable de partir après tout ce qu’il a fait pour moi.

« Où vas-tu aller ? »

« Je part pour Faradom. Là-bas je pense m’engager dans l’armée, je manie assez bien l’épée. »

Dans mon monde d’origine, je participais à plusieurs compétitions nationales de kendo. Grâce à Allen, je peux m’entraîner régulièrement à l’épée. Il m’a forgé un katana, fine lame, d’une soixante-dizaine de centimètres. Parfois, il sort une vieille lame du grenier et viens m’apprendre quelques bottes. Contrairement à ce que je pensais en voyant sa large carrure, il est aussi rapide qu’un éclair. Il mêle si bien sa vitesse à sa force que je ne peux lui tenir tête plus d’une minute en combat. Néanmoins ses cours restent rares et une voile de tristesse couvre ses yeux le reste de la journée, comme si un passé douloureux refaisait surface. 

« Avant de venir m’installer ici et devenir forgeron, je parcourrai le pays. J’ai voyagé à travers le monde entier, et rencontré de nombreuses personnes. L’une d’elles m’a confié quelque chose qui a changé ma vie. J’aimerais te donner à mon tour ce qui m’a été transmis. Suis-moi. »

C’est l’une des seules fois qu’Allen fait allusion à son passé avant de s’être installé à Grandpré. Nous montons l’unique escalier de la maisonnette pour arriver au grenier. Je n’y suis que rarement allé, mais je sais qu’Allen y entrepose tous les objets qui lui appartenait avant de devenir forgeron. Nous arrivons là-haut et nous nous frayons un chemin à travers un bazar de males et d’armoires en tout genre jusqu’à un coffre en bois de pin cerclé de fer, fermé par un énorme cadenas. Il le déverrouille et soulève le haut du coffre dans un grincement aigue. A l’intérieur y sont rangés quelques vêtements en tissus, des parties d’armures, une épée et une pochette en cuir. Il prend la pochette et me la donne.

« Prends-la, elle te sera plus utile qu’à moi, rangée dans ce coffre. »

Je l’ouvre et sort ce qui s’y trouve à l’intérieur. J’en tire des fines cartes en acier. Sur la plupart d’entre elles y sont dessinés des motifs spéciaux. Sur certains, ils représentent des éléments comme le feu, l’air ou la terre. Sur d’autres, ces motifs sont plus complexes et les quelques-unes restantes sont restés vierges.

J’en prend une entre les doigts. « A quoi servent ces cartes ? » 

« Ce sont des cartes magiques. L’ensemble a reçu le nom de Aajin il y a bien longtemps, lorsqu’il fut scellé. Les cartes te permettent d’utiliser la magie. Tu devras les choisir en fonction de ce que tu souhaites invoquer. Seulement, tu ne peux pas les utiliser seules. Tu devras les déposer sur ton arme, elles s’y fixeront. Après, sert toi de l’arme. La magie sera alors libérée. Les cartes jouent le rôle des portails magiques qu’utilisent habituellement les mages pour l’invoquer. Ce sera donc ta propre énergie magique qui sera consommée lorsque tu ouvriras un portail. Fais donc attention à ne pas trop en ouvrir en même temps, tu pourrais être gravement blessé si tu puises trop dans tes réserves. »

J’en reste bouche-bé. La magie est très rare dans le monde, seule une personne sur mille est capable de l’utiliser. Je fais partie de l’une des neuves cent quatre-vingt-dix-neuf autres personnes incapables de s’en servir. Un artefact permettant à n’importe qui de l’utiliser se vendrait à prix d’or, alors pourquoi ne pas le vendre ? Pourquoi me le donner ?

« Tu n’es pas quelqu’un d’ordinaire » continue-t-il, comme s’il lisait dans mes pensées. « Tu apprendra à te connaitre au long de tes voyages, et tu comprendras pourquoi je t’ai confié ces cartes. » 

Je ne sais pas comment le remercier. Le cadeau que me fait Allen est d’une valeur inestimable. Il me regarde et me sourit chaleureusement. 

« Merci ! » dis-je avant de lui rendre son sourire. Je n’ai rien à lui offrir en retour, mais c’est le mieux que je puisse faire.

C’est alors qu’une personne frappe à la porte d’entrée de la maison avant de crier « monsieur Allen ? La diligence est arrivée ». Il est temps pour moi de partir. Nous descendons du grenier et je cours récupérer mes affaires de voyage avant de sortir de la maison. Une diligence attelée par deux chevaux s’est arrêtée devant l’entrée. Quand nous sortons le cocher nous jette un regard mauvais, du haut de son siège. Il a l’air de nous reprocher d’avoir été trop long. Il aperçoit mon katana à l’épaule et s’écrit à mon adresse « les armes doivent rester hors de la diligence ». Je dépose donc mon katana sur le toit, à côté de ma valise contenant les quelques habits que je transporte. Je monte dans la diligence, mais encore sur le seuil de la porte, je m’arrête et me retourne face à Allen. 

« Je deviendrai quelqu’un dont tu pourras être fier. »