Chapitre 5 : Destruction.

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Je suis rentrée chez moi pour l'été. J'avais fait rapidement mes adieux à mes camarades, heureuse de retourner chez moi. Ma sœur cadette n'était toujours pas rentrée de manière " définitive ", comme moi. A la maison, nous avions quatre chambres et deux salles d'eau pour 9 personnes, 7 enfants et mes parents.  Les deux dernières avaient douze mois de différence et d'ailleurs la dernière était encore à l'hôpital depuis sa naissance. Elle était une très grande prématurée. Ce jour là, nous avions eu beaucoup de chance, bien qu'en foyer à l'époque, j'avais appris la naissance de ma soeur puis plus tard les circonstances de cette naissance précoce et les risques auxquels nous avions réchappé. Je n'avais encore jamais tenue ma soeur, mais je l'avais vue à travers une vitre. Seuls mes parents pouvaient la voir, la toucher. J'avais treize ans.

Pour être honnête, j'adorais les enfants. J'adorais m'occuper d'eux. J'avais commencé à pouponner alors que j'avais dix ans. Mon deuxième frère, le cinquième des enfants de ma mère moi comprise, a été le premier dont j'ai pu m'occuper véritablement. Ça a été une révélation. Je voulais m'occuper de bébés, d'enfants. Je voulais être Éducatrices Jeunes Enfants : travailler en crèche ou en pouponnière. Je n'avais que dix ans quand le métier que je voulais faire s'est imposé à moi. Oui, je voulais travailler avec ceux qui me répugnaient. Alors faut se dire que EJE c'est s'occuper exclusivement d'enfants de la naissance à six ans, pas au delà. Moi c'est les zéro/ Trois ans dont je voulais m'occuper. Il n'y aurait ainsi aucun effet " miroir " et quand bien même je me sentais capable de les affronter. J'étais en paix avec moi même, avec mon vécu. J'avais mûri.

Enfin bref, j'allais entrer en quatrième au collège quand je suis revenue chez moi. J'en étais à mon neuvième établissement. Ma petite soeur, la dernière, avait fini par rentrer et nous étions ainsi presque tous là.

Beaucoup trop de pressions pour ma mère qui n'avait pas su se faire à cette grossesse l'ayant appris tardivement (deux ou trois semaine avant l'accouchement prématuré) alors qu'elle avait déjà une fille en bas âge et d'autres enfants à charge. Elle a plongé lentement dans l'alcool et mon père d'adoption, celui que je qualifie de père au quotidien depuis que j'ai quatre ans, a commis des actes de violences conjugales. J'ai baigné là dedans, je protégeais les plus jeunes de cette violence, essayais de défendre ma mère qui se mettait en danger. Un soir, mon père a eu peur pour nous j'imagine, ou bien il était lasse de voir ma mère ivre. Il a appelé la gendarmerie, mais ils ne voulaient pas se déplacer ; il n'y avait pas de sang. Je n'ai pas été assez réactive, je consolais les petits. Il l'a frappée, il y a eu du sang, les autorités sont venues la chercher.

Le lendemain, mon père m'a demandé de sécher les cours pour m'occuper des deux dernières pendant que les trois autres allaient à l'école. Il a bataillé pour trouver une nounou, pensant que ma mère allait enfin accepter de se faire soigner. C'était au dessus de nos moyens, alors nous avons dû passer devant les tribunaux et nous avons été retirés à notre famille. Tous, sans exception.

Une aussi grande fraterie ne peut qu'être séparée. Il a été décidé ce qui suit:

La deuxième restait dans sa famille d'accueil avec des droits de visite sans hébergement tous les quinze jours.
La troisième avait intégré un foyer quelques mois plus tôt. Elle avait appris ce que son père biologique avait commis et cela l'avait énormément perturbé. Elle resterait dans ce foyer avec des droits de visite avec hébergement tous les quinze jours.
Les deux garçons iraient ensemble dans une famille d'accueil d'urgence dans un premier temps avant de trouver quelque chose de durable. Ils auraient des droits de visite avec hébergement tous les quinzes jours.
Les deux dernières iraient dans une pouponnière provisoirement avec les même droits de visites.
Quant à moi, je retournais en foyer avec les même droits que les autres.
Nous avions également tous droit à une partie des vacances scolaires.

Ces placements étaient censé être provisoire. Ma mère avait promis de se faire soigner. Mais elle n'en a rien fait. Il a fallu un drame, quelques mois plus tard pour qu'elle se ressaisisse mais ce serait alors trop tard.

Nous sommes tous partis et je comprenais pourquoi. Pourtant, aujourd'hui une part de moi en veut à ma mère. Une part de moi est morte durant l'année et demi qui s'en est suivi. Ma relation avec ma mère, avec mon père et avec mes frères et sœurs a été détruite. Elle ne sera plus jamais la même, même encore aujourd'hui.

Comment une relation fusionnelle, une famille a pu se briser après la détresse légitime d'une mère surpassée ? Ça se résume à une phrase que la juge a dit me concernant un an et demi plus tard :

" Il semblerait qu'en vous retirant à votre famille (elle me vouvoyait) j'ai commis une erreur. Je vous ai mise d'avantage en danger. "

Elle a énuméré les raisons, les choses qui faisait qu'elle concédait son erreur devant l'ensemble de ma famille : mes parents et mes six frères et sœurs. Mon chagrin, ma peine, ma douleur, mes cicatrices. Tout ce que j'avais enduré a été étalé là, alors qu'en dehors de mes parents, ils ignoraient tout.

Ça a été comme une condamnation. Une étiquette.

Je pensais avoir vécu le pire et pourtant je n'avais rien vu.

J'allais devenir pour mes proches autre chose qu'une jeune fille soucieuse de sa famille. J'allais devenir pour mes sœurs autre chose qu'un modèle. J'allais devenir pour mes frères un excuse à des comportements dangereux.

J'allais enfin me poser la bonne question : Ne peut-on pas essayé de mettre les enfants dans des structures adaptées à leur comportement, leur raison d'être retirés plutôt que de nous mélanger?

Adolescente violée à plusieurs reprises.
Adolescente enceinte d'un viol et qui a avorté à quatorze ans.
Adolescente violentée, harcèlée.

Voilà à quoi j'allais ressembler.

Ma véritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant