Chapitre 3 : Conflit d'intérêt ou incompétence ?

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On dit souvent que les mêmes schémas se répètent inlassablement, qu'un parent ayant eu une enfance difficile verra ses enfants passer plus ou moins par le même chemin. Que ce soit de manière consciente ou non, certaines erreurs, certaines situations se répètent inévitablement. Enfin inévitablement, pas vraiment, il y a aussi des parents qui, bien qu'ayant un lourd passif dans leur jeunesse, sans sortent remarquablement bien, sans trop d'encombre, en épargnant à leurs progénitures de vivre des choses similaires... 

Ma famille fait partie de celles qui voient leurs destins étrangement similaires. Est-ce parce que, privée d'amour et d'un véritable modèle parental, certaines erreurs se sont reproduites comme un calque d'une vie plus jeune ? Je l'ignore... Toujours est-il que ma mère, pour des raisons qui lui sont propres et que je ne dévoilerai pas, a, elle aussi, connu les foyers d'accueil lorsqu'elle était plus jeune. 

J'ai intégré l'un de ces foyers. Etant devenue trop âgée pour le premier, j'avais onze ans et trois mois, j'avais intégré une structure beaucoup plus grande, beaucoup moins accueillante de l'extérieur. Froide et austère, elle comportait en son sein plusieurs groupes, contenant tous une douzaine d'enfants. Un groupe pour les trois/six ans, un groupe pour les six/ dix ans, un groupe pour les onze/ quatorze ans et un groupe pour les quinze ans et plus. Cela représentait beaucoup de nouveauté pour moi, encore une autre école ( la septième école ), une nouvelle structure avec encore plus d'enfants, plus de personnalité, de nouveaux encadrants. Je savais, en intégrant ce foyer, que ma mère avait déjà vécu ici, c'est la seule chose qui m'a rassurée : savoir que ma mère avait foulé ces lieux et qu'elle ne m'ait pas trop exposé le négatif. C'était une fois de plus une structure mixte, je partageais une fois de plus ma chambre et ma salle de bain avec une parfaite inconnue et le fait d'être nouvelle a fait de moi une curiosité. Ayant intégré les locaux durant les vacances estivales, le foyer était plus ou moins vide de monde, et c'est vraiment à la fin des vacances, quand tous les pensionnaires et éducateurs sont arrivés, que j'ai vu que j'étais devenue une sorte d'attraction. Les garçons se bousculaient pour pouvoir parler à la nouvelle que j'étais, déclarant, pour certains, leur flamme alors qu'ils ne me connaissaient pas. 

J'avais été en colonie de vacance et le " hasard ", avait fait que des jeunes filles, plus jeunes que moi et donc pas sur mon groupe, avaient été à la même colo. J'avais glané des informations comme je pouvais, découvrant ainsi qu'une fille faisait plus ou moins partie de ma famille. Elle était la fille de mon premier bourreau et troisième compagnon de ma mère. Le père de ma sœur. Je ne considérais pas cette fille comme une demi sœur, ni même comme un membre de ma famille, mais je me disais que je serais ainsi moins seule. Aucune des filles n'étaient dans mon groupe, pas même elle. Durant cette colonie, l'une des filles a perdu sa mère, et j'ai ainsi connu mon premier élan d'empathie je crois, envers un membre de l'extérieur de ma famille. J'ai toujours été généreuse, pensant avant tout à ma famille qui grandissait de plus en plus, ma mère attendait son sixième enfant, mais rarement avec ceux de l'extérieur car j'étais très renfermée... Cette " petite " m'a pourtant bouleversée par son courage et sa force de caractère, si j'avais eu à perdre ma famille si jeune, ma mère surtout, jamais je ne m'en serais relevée ! Pourtant elle, elle l'avait fait, les larmes aux yeux et néanmoins le sourire aux lèvres pour rassurer son petit monde. Elle était brave et j'avais hâte de la retrouver, pour pouvoir prendre soin d'elle. Elle n'avait pas de sœur, aucune autre figure féminine dans son entourage, je voulais être là pour elle, pour l'aider ! 

Je n'ai pas retrouvé cette petite, pas à mon arrivée en tout cas, mais à la rentrée, je me suis aperçue  que son frère aîné était dans mon groupe, et qu'il était l'un des seuls à ne pas m'avoir traitée comme un monstre de foire. J'ai aussi pu constater que les groupes ne communiquaient pas vraiment entre eux, ce qui faisait que je n'avais pas encore recroisé les filles de la colonie, ni même cette petite, avant qu'elle ne saute dans les bras de son frère à la sortie du bus scolaire. Je devais me faire une raison, je ne pouvais rien faire pour elle, pas même être son amie, on ne pouvait pas communiquer sans se voir. 

La fille dans ma chambre, quant à elle, m'en faisait voir de toutes les couleurs sans que personne n'interviennent malgré mes multiples signalements. Elle volait mes vêtements pour me les rendre déchirés et imbibés d'urine de chat, je ne compte plus le nombre de fois où j'ai retrouvé ma brosse à dents dans les toilettes, du dentifrice dans mon shampoing. Elle cachait mes affaires scolaires, lisait mon journal intime, et j'ai même dû couper ma longue chevelure par sa faute. C'est des bêtises d'enfants me direz-vous, et vous avez raison ! Seulement, je me faisais gronder et punir à cause d'elle, je vivais ma situation comme une véritable injustice et quand une des éducatrices s'y ai mise, j'ai commencé à mon tour à me rebeller allant jusqu'à décevoir le garçon qui me consolait, me faisait rire, me changeait les idées... Une sorte de grand frère que je n'aurais jamais. 

L'éducatrice en question, je l'ai appris plus tard, avait connu ma mère, dans ce même foyer, quelques années plus tôt. Non, je ne m'en doutais pas, je ne trouvais pas qu'elle faisait si vieille... Nous l'appellerons " Dents de Cheval " un petit clin d'œil à mes anciens camarades qui l'appelaient comme ça. Elle avait littéralement des dents de cheval, bien en avant, bien usées, allant du noir au jaune, même son haleine était affreuse ( petite vengeance personnelle et lâche ? Peut-être...) 

Donc, Dents de Cheval, devait beaucoup en vouloir à ma mère et m'en faisait baver à moi. Non, je ne me victimise pas, oui je lui en ai fait baver aussi, mais seulement après qu'elle ait commis à mon encontre quelque chose que je qualifierai d'honteux et dégradant. 

Au départ, ce n'était que des insultes. Dent de Cheval aimait me comparer aux prostituées et ne se gênait pas pour m'insulter du mot en quatre lettres commençant par P et se terminant par E, bien à l'abris des oreilles de ses collègues. Avais-je le comportement, les manières, le style d'une fille de joie ? Non, j'étais même tout l'inverse ! Seulement, j'aimais mettre du mascara, rien que du mascara sans autre artifice que du gloss transparent. Aujourd'hui je mets bien plus de maquillage et je ne ressemble toujours pas à ce qu'elle voyait en moi. Si elle me voyait, elle ferait sans doute une syncope. Mais ses multiples insultes et critiques visant à me détruire, je ne vois pas d'autres mots, n'ont pas été responsable de ma rébellion. Non, elle avait fait bien pire ! Nous savons tous ce que c'est que d'avoir une gastro-entérite, ce besoin impérieux d'aller aux toilettes, tout le temps, quand bien même vous êtes comme moi  et essayez de vous retenir jusqu'à être chez vous. Vous voyez ? Imaginez votre ventre qui gargouille, vos fesses qui se serrent, les sueurs froides, la douleur ? Ok je vais pas faire un dessin, vous imaginez. En rentrant du collège, après m'être dandiné dans le bus sous les regards amusés des inconnus, j'ai couru jusqu'au foyer, par extension jusqu'à ma chambre pour me rendre aux toilettes. La porte close. Soit, ça arrive, je rebrousse donc chemin, me tenant le ventre, me dandinant et demande gentiment à Dent de Cheval de m'ouvrir la porte. Oui gentiment, je devais le respect aux adultes, quand bien même eux ne me respecteraient pas paraît-il. Elle a refusé. Je lui ai expliqué la situation, mais elle refusait toujours. Alors oui, d'admet avoir haussé le ton à ce moment là, je n'en pouvais plus. Qu'est-ce qu'elle voulait prouver ? Elle aurait été occupé, pourquoi pas et encore, dans ce genre d'urgences elle prêtait ses clés aux autres enfants, mais elle ne faisait rien, elle attendait simplement la relève ! Alors je me suis mise en colère, et ça l'a fait sourire. Je pleurais tellement j'avais mal au ventre, et j'arrivais de moins en moins à me retenir. Elle a rit et s'est enfin levée quand, devant d'autres enfants, j'ai commencé à souiller mes vêtements. Des vêtements blancs cassés qui plus est. Ce n'est que lorsque l'odeur lui a enfin prouvé que j'étais malade, quand tout le monde se moquait de mon incontinence, qu'elle a enfin daigné m'ouvrir. J'ai par la suite dû tout nettoyer à la main, sans protection, les toilettes, mes vêtements, et la partie du couloir où apparaissaient les traces de mon passage. Humiliant. Pendant longtemps les autres se sont moqués, pendant longtemps j'ai été rejeté par sa faute, elle m'insultait depuis le départ, elle avait insulté ma mère ouvertement quand elle me parlait d'elle, et maintenant ça ? Je peux vous jurer qu'à partir de ce jour je n'ai eu plus aucun respect pour Dents de Cheval. 

Et puis je suis partie, moins d'un an après mon arrivée. Pas à cause de mon comportement, qui était devenu difficile, mais parce que j'ai demandé à me rapprocher géographiquement de mes parents... 

Oui, je n'ai pas précisé, je n'étais pas toujours dans le même département qu'eux, et même si le trajet était long, je ne pouvais pas trop m'en plaindre, certains étaient à plusieurs centaines de kilomètre de leurs parents ! J'ai même connu, plus tard, un adolescent, qui n'était pas dans le même continent que sa mère ! 

Ma demande acceptée, j'ai donc intégré un nouveau foyer, plus prêts de mes parents, ignorant ce qu'il se passerait ou non, mais j'étais bien décidé à ne plus me laissé faire, à ne plus me faire humilier...

Ma véritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant