Chapitre 1 ~ Dans la nébuleuse j'ai cru voir ton ombre sur le papier

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8h02. Mardi 27 janvier 2026. La voilà. À la seconde près ! Je dois avouer que je suis impressionné. Cette fille est réglée comme une horloge.

Tous les jours, à la même heure, elle sort de chez elle, prend le bus qui passe au coin de la rue moins de trente secondes plus tard, descend douze arrêts plus loin, ce qui équivaut à environ une trentaine de minutes, pouvant varier en fonction des embouteillages, et arrive à sa petite agence de mannequinat. Elle en ressort à 11h55 pour éviter la foule de personnes qui la suit à partir de midi vers cette petite boulangerie de quartier. Sur un banc, dans le parc situé à deux minutes de là, elle mange la part de quiche achetée, et retourne travailler à 12h45, après avoir fait le tour du parc à pied. Elle ne ressort pas avant 17h30, heure à laquelle elle reprend son bus dans l'autre sens pour rentrer chez elle.

Le soir, elle sort très rarement. Parfois le week-end, jamais en semaine. Elle est assez solitaire, ne connaît pas grand monde, n'a pas de copain, d'amis proches, ni de famille dans le coin.

Vous devez sûrement vous demander comment je sais tout cela ?

Tout d'abord, ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas. Je ne veux ni la violer, ni la draguer, ni la cambrioler, ni quoi que ce soit d'autre ou de plus étrange encore.

Pour bien commencer, je me nomme Sam Merlioz et si je sais tout ça sur elle, c'est pour la simple et bonne raison que j'habite parfaitement en face de chez elle. C'est-à-dire que ma fenêtre se trouve face à la sienne, séparées par la ruelle où j'habite depuis une petite décennie.

Heureux vainqueur d'un prix littéraire il y a maintenant plus d'un an, je vivais des recettes de cette histoire en tentant en vain de retrouver l'étincelle de l'inspiration qui guidait autrefois mes pas. Quand les mois ont commencé à s'accumuler, j'ai réalisé que je ne pouvais plus espérer ainsi que le miracle refasse effet, et qu'il couvre le papier seul, avec ma main comme intermédiaire. Je suis sorti de chez moi et de mon rêve, prêt à trouver un travail bien plus ennuyeux à mes yeux, mais qui aurait le mérite d'être une réelle source de revenus. L'air frais paraissait plus morne, ce matin-là. Sûrement une conséquence de ma résignation. Néanmoins, fidèle à mes habitudes d'écrivain en quête d'inspiration, j'observais les gens qui partageaient mon bus.

C'est comme ça que j'ai posé le regard sur elle, la première fois. Toute rationalité oubliée, j'ai aussitôt abandonné mes recherches pour suivre ce virage étrange que ma vie venait de prendre. C'est comme si mon cœur d'artiste marquait un premier battement douloureux après une trop longue attente. Convaincu que j'avais enfin reçu le souffle créatif que j'attendais, j'ai passé deux jours à noircir le papier, ignorant les appels de mes parents qui croyaient encore à mon idée de travail stable. En relisant mes notes, le troisième matin, et en les trouvant particulièrement fades, j'ai compris deux choses. L'écriture n'était pas revenue à moi comme par magie ; et il fallait que je retrouve cette fille. La seule chose que je savais sur elle était que nous empruntions le même trajet ; cela me suffisait.

En une semaine, je l'avais croisée à nouveau, et je découvrais avec bonheur qu'elle empruntait tous les jours le même trajet que moi. Elle pour son agence, moi pour mon petit studio d'écriture que j'aime appeler "mon cocon". Heureux hasard ou signe du destin, l'unique fenêtre de la minuscule pièce donne sur le parc où elle aime se promener.

— C'est bien beau tout ce que tu nous racontes, Sam, mais il nous manque le principal !, me direz-vous. Son nom !

Il m'en aura fallu du temps pour réussir à me le procurer, d'ailleurs. J'avais beau connaître chaque aspect de sa vie, il me manquait cela.

Un jour, elle a oublié son parapluie dans le bus. Un parapluie rose, parfaitement plié. J'étais le seul à avoir remarqué qu'elle l'avait laissé. Alors je suis allé dans son agence le lui rendre. L'accueil était vide, donc je suis rentré dans le premier couloir qui s'est présenté à moi, à la recherche d'une quelconque personne qui aurait pu m'aider. À cet endroit, seul un bureau était fermé et de la lumière émanait de sa serrure. J'ai toqué et sa voix cristalline m'a proposé d'entrer. Je lui ai tendu son parapluie, elle m'a souri, surprise, m'a remercié, puis a baissé les yeux sur son ordinateur, me faisant comprendre qu'elle m'avait déjà oublié et qu'il était pour moi l'heure de partir. J'ai quitté ce bureau aussi silencieusement que possible, tel une ombre, et ai fermé la porte.

N'importe qui aurait été dépité que rien ne s'ensuive, pas la moindre discussion. Pour ma part, j'avais ce qu'il me fallait. Son nom était gravé sur une plaque dorée, épinglée sur le bois.

Almia Fersetta. Plutôt joli, non ? Et original. Si je ne l'avais pas rencontrée, j'en aurais fait une héroïne de roman.

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