Chapitre 20 ~ Can music save your mortal soul ?

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Les oignons dans la poêle se dorent en projetant des gouttes d'huile autour de la petite gazinière que j'ai installée cet après-midi. Cela fait longtemps que j'aurais dû reprendre une hygiène de vie normale. Certes, Almia est une distraction de taille, et j'ai du mal à me contenter d'une vie classique, mais rien ne m'empêche de garder certains aspects, je pense que cela ne peut nous faire que du bien. Aujourd'hui, je veux tenter quelque chose de nouveau pour nous. En cette soirée si spéciale pour la plupart, je voudrais que pour une fois nous ne soyons pas totalement en marge du reste du monde, que nous fêtions ensemble ce 31 décembre.

Depuis que je connais Almia, je n'ai pas pris un seul repas correct. Je ne vis que de collations pour ne pas lâcher. Alors pour finir cette année où elle est apparue dans ma vie, j'ai prévu quelque chose d'osé pour nous deux. Je regarde par la fenêtre, profitant du ciel clair et de l'air étonnamment doux cette année. Vous me prendrez sûrement pour un fou... mais elle devient si consistante, si tangible... Voilà, je voudrais que mon premier repas soit aussi le sien. Son corps, renforcé par notre amour fusionnel, nos innombrables baisers, enflammé par les moments de discorde et enlacé au plus fort de nos sentiments, est devenu presque vivant. J'espère qu'elle pourra manger avec moi.

La cuisine n'est plus une habitude pour moi, alors je fais de mon mieux avec une recette facile. Je tente de confectionner une sauce avec des légumes pour accompagner un basique plat de pâtes. Le bonheur simple de faire quelque chose de concret, d'utile, pour Almia et moi, se ressent dans mon attitude. Mon humeur est si positive que je me fais peur à moi-même. Koridwen vient se frotter à ma jambe, alléché par l'odeur qui nous met tous les deux l'eau à la bouche, pour tenter de s'attirer mes faveurs et de piocher ensuite dans le plat. Je ris de bon cœur avant de saisir mon téléphone pour lancer de la musique entraînante. Ma joie a besoin de s'échapper. Je saute dans tous les sens en hurlant des paroles plutôt approximatives. Cela n'a aucune importance.

Le dîner que je cuisine commence à fumer plus qu'il ne devrait et je baisse l'intensité de la plaque de cuisson.

La playlist s'enchaîne, j'imagine Almia arriver. Je nous vois nous étreindre, je lui volerais un baiser. Une chanson, alors déclenchée aléatoirement, ferait étinceler ses yeux, lui rappelant des souvenirs heureux. Elle saisirait mes mains et nous nous mettrions à tournoyer dans ce petit studio débordant de notre euphorie. Elle ouvrirait les lèvres pour recouvrir la musique de mots connus par cœur, et moi, muet d'admiration et d'amour, je l'observerais la larme à l'œil, le sourire au coin de la bouche. Une odeur particulièrement appétissante nous ferait simultanément tourner la tête vers le plat. Je nous servirais et, timide, apeurée par une probable déception, elle hésiterait à tenter cet acte si audacieux.

Je suis sur le point de la voir fondre de bonheur en redécouvrant la sensation de la nourriture onctueuse dans sa bouche, le goût si simple et pourtant si intense de légumes, d'épices, les larmes coulant sur ses joues malgré elle, lorsque je constate que la nuit est tombée et que la lune brille dans le ciel. Aussitôt, je panique. Elle me prévient toujours lorsqu'elle pense peut-être risquer la moindre minute de retard pour limiter mon inquiétude.

D'emblée, je coupe cuisson et musique, préférant garder toutes mes facultés centrées sur mon problème.

Je me connais. Si elle n'est pas arrivée d'ici une demi-heure, la crise de panique sera là. Je respire à une cadence insoutenable pour mes poumons, espérant en vain calmer la boule que j'ai au ventre, qui me plonge en asphyxie. Je triture mes doigts, les faisant craquer les uns après les autres. Koridwen tente de ronronner pour me calmer, il ne m'est d'aucune utilité. Les minutes s'écoulent, impassibles.

Quarante minutes. Je ne tiens plus. Ma vision se trouble, ma langue devient sèche, mes mains tremblent. Ma poitrine secouée de soubresauts, espoir de respiration, ne tarde pas à se changer en cris rauques. Je tente de relever la tête, d'étirer mes lèvres d'un sourire. Je n'en suis pas capable. J'ouvre la fenêtre pour faire entrer l'air glacial du soir afin de m'aérer l'esprit. Dehors, tout est calme. Presque trop. Il devrait au moins y avoir des gens dans la rue. Bon sang, un samedi soir ! La nuit du Nouvel An ! Personne de sortie ! C'est impossible. Et pourtant, je ne vois pas un chat.

Paris a décidé de me laisser seul face à mon désespoir, hein ?

— Espèce de lâche !

Je hurle à m'en déchirer les cordes vocales.

Un instinct, chant murmuré par mon subconscient, me dit qu'elle ne rentrera pas. Je l'ignore. L'espoir fait vivre, dit-on. La question est, combien de temps ? J'ouvre la fenêtre dans un espoir insensé de m'aérer l'esprit. Une bourrasque gelée pénètre dans le studio. Je me recroqueville sous la lumière blafarde des étoiles. Tout autour, la capitale semble figée dans le temps. Capitale de la mode, mondialement connue, tant de fioritures... Pour le moment, je ne vois que des blocs de béton grisâtres, dans lesquels les gens s'entassent au vu du coût de la vie.

Le premier flocon de l'hiver descend alors du ciel, léger et d'un blanc immaculé. Il se pose auprès de moi. Le regard vide, je le contemple. Le froid ambiant et la fine couche de neige tombée des rares nuages survolant la ville gèlent mes sentiments à leur source, au plus profond de mon âme. Je continue d'observer leur danse aérienne et silencieuse jusqu'à ce que mes yeux se ferment d'eux-mêmes, la fatigue refaisant surface. Je n'ai pas le souvenir d'avoir fait quoi que ce soit pour me protéger de la température avoisinant 0° avant que l'inconscience me submerge, m'entraîne avec elle... Est-ce ça la mort ? L'espoir a-t-il atteint ses limites ? Si seulement...

AfterlifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant