Lundi 21 septembre 2026
Le cocktail est prêt. J'ai réduit en poudre tous les cachets que je possède, en espérant qu'ils soient assez dangereux. J'ai vidé mes boîtes, remerciant les fabricants qui en mettent toujours plus que ce qu'il nous faudra, car je ne peux rien acheter. Tout le monde s'en rendrait compte. J'ai l'impression que le monde entier arrive à lire en moi, et je ne supporte plus de vivre comme si mon masque de bonheur feint était perméable à leurs regards inquisiteurs. Je ne veux pas qu'ils tentent de m'empêcher d'aller au bout. Je ne veux pas qu'ils me fassent hésiter.
La poudre blanche ressemble à une farine quelconque, mais je sens son aura. Elle m'attire.
Je ne sais même pas pourquoi je continue à écrire ici... Ça n'a plus le moindre sens. D'ici quelques heures, je ne serai plus là.
***
Toujours moi. J'angoisse. Je suis perdue. J'étais si sûre, et me voilà, écrivant encore dans ce stupide cahier. Qu'est-ce que je fais là, putain ? Je... je ne sais même pas... je crois que... il me faut encore du temps. Je ne peux pas partir maintenant. Je ne suis pas prête.
Je vais attendre demain soir. Je n'ai pas encore mis l'eau dans mon somnifère funeste, il pourra attendre aussi longtemps qu'il le faudra.
Un dernier lever de soleil et je m'endormirai pour toujours. Demain...
J'ai l'impression que je devrais me sentir mal, au fond du trou, l'âme desséchée et le cœur meurtri. J'en suis incapable. Mes parents ont trop bien atteint leur but. Me voilà machine, automate sans sentiments. Je suis incapable de ressentir quelque chose. Enfin, mis à part le vide. Cet abîme en moi, si sombre, si profond, insondable, je le sens. Il est là, je le sais. Il tente de me faire tomber en son sein, mais je ne veux pas d'une éternité de tourments, perdue dans ce malheur. Car oui, ç'en est sa source. D'où pensais-tu qu'il venait, cher journal ? Son origine n'est autre que toute cette souffrance qui me bouffe depuis toutes ces années. Je l'ai laissée s'installer, et maintenant c'est elle qui me remplace totalement. Nolan, ce monstre, qui m'a laissée. J'aurais pu mourir que ça ne lui aurait rien fait. Talya, que j'aurais pu aider si j'avais été aussi généreuse, gentille avec le monde entier, serviable, souriante. Même la mort ne pourra pas me faire oublier ce qu'elle a fait pour moi, ce soir où elle m'a sauvée. Aucune personne sur cette planète ne vaut un centième de ce qu'elle était. Je donnerais tout pour la revoir. Elle est la seule qui ait vraiment été là pour moi, qui m'ait connue, comprise et acceptée comme je suis.
J'ai mal. Si mal... Je suis décidément trop fatiguée pour tout, alors adieu cher journal. Demain est un autre jour. Le dernier.
Merci d'avoir été là. Tu serviras sûrement à quelque chose si on cherche à comprendre ma mort.
Je n'y crois pas. Si seulement... si j'avais osé lire ce foutu journal... Almia... elle... Almia serait...
Almia vivrait encore.
Un rire nerveux s'empare de moi. J'essaie de me convaincre :
— Non... Quand même pas...
Koridwen vient alors s'asseoir nonchalamment sur mes jambes croisées au sol. Il ronronne, comme une affirmation de ma piètre tentative pour me rassurer. Il regarde ensuite le journal d'Almia que je tiens entre mes mains. Ses yeux sombres, cerclés de son pelage noir reviennent ensuite me fixer. Ses pupilles, plus grandes que jamais, ont une once de reproche. Il... il me blâme d'avoir lu son journal ?!
Je vais le tuer.
Mes lèvres sont pincées, ma mâchoire crispée et mes muscles contractés. Ma respiration s'accélère et s'approfondit tandis que mon regard enflammé le fusille. Je hurle, ma voix atteignant des décibels que je croyais m'être interdits.
— Elle est morte ! Morte, tu comprends ça ?! Non ? Alors arrête de me fixer comme si tu pouvais me juger ! Elle ne reviendra pas ! Jamais ! Et toi, tu m'accuses de lire son journal !? Mais ce que tu ne comprends pas, c'est que je l'aime. Elle était tout pour moi et elle n'est plus là ! Alors oui, j'ai besoin de comprendre la raison de son acte ! J'aurais pu la sauver, alors que tu n'as rien fait !
La colère brouillant ma vue, j'entends une voix gutturale me répondre :
— 𝕄𝕒𝕚𝕤 𝕥𝕦 𝕟'𝕒𝕤 𝕣𝕚𝕖𝕟 𝕗𝕒𝕚𝕥, 𝕊𝕒𝕞 ! ℂ𝕠𝕞𝕞𝕖 𝕥𝕦 𝕝𝕖 𝕕𝕚𝕤, 𝕥𝕦 𝕒𝕦𝕣𝕒𝕚𝕤 𝕡𝕦 ! 𝕋𝕦 𝕒𝕦𝕣𝕒𝕚𝕤 𝕡𝕦, 𝕞𝕒𝕚𝕤 𝕖𝕝𝕝𝕖 𝕖𝕤𝕥 𝕢𝕦𝕒𝕟𝕕 𝕞𝕖̂𝕞𝕖 𝕞𝕠𝕣𝕥𝕖 ! 𝔸𝕝𝕠𝕣𝕤, 𝕕𝕚𝕤-𝕞𝕠𝕚... 𝕕'𝕒𝕡𝕣𝕖̀𝕤 𝕥𝕠𝕚, 𝕢𝕦𝕚 𝕖𝕤𝕥 𝕝𝕖 𝕡𝕝𝕦𝕤 𝕔𝕠𝕦𝕡𝕒𝕓𝕝𝕖 𝕕𝕖 𝕟𝕠𝕦𝕤 𝕕𝕖𝕦𝕩... ℂ𝕖𝕝𝕦𝕚 𝕢𝕦𝕚 𝕟𝕖 𝕡𝕠𝕦𝕧𝕒𝕚𝕥 𝕣𝕚𝕖𝕟 𝕗𝕒𝕚𝕣𝕖 𝕠𝕦 𝕔𝕖𝕝𝕦𝕚 𝕢𝕦𝕚 𝕒𝕧𝕒𝕚𝕥 𝕝𝕖 𝕡𝕠𝕦𝕧𝕠𝕚𝕣 𝕕𝕖 𝕔𝕙𝕒𝕟𝕘𝕖𝕣 𝕤𝕠𝕟 𝕕𝕖𝕤𝕥𝕚𝕟 ?
Je suis aveugle. Et fou. Mais ne l'ai-je pas toujours été ?
— Non... Non ! Ce n'est pas moi ! Je ne... je...
— 𝕋𝕦 𝕧𝕠𝕚𝕤 ? 𝕋𝕦 𝕟'𝕖𝕤 𝕞𝕖̂𝕞𝕖 𝕡𝕒𝕤 𝕔𝕒𝕡𝕒𝕓𝕝𝕖 𝕕𝕖 𝕥𝕖 𝕕𝕖́𝕗𝕖𝕟𝕕𝕣𝕖 𝕥𝕠𝕚-𝕞𝕖̂𝕞𝕖. 𝕋𝕦 𝕖𝕤 𝕡𝕚𝕥𝕠𝕪𝕒𝕓𝕝𝕖, 𝕊𝕒𝕞. 𝕋𝕦 𝕟𝕖 𝕝𝕒 𝕞𝕖́𝕣𝕚𝕥𝕒𝕚𝕤 𝕡𝕒𝕤 ! ℂ'𝕖𝕤𝕥 𝕡𝕠𝕦𝕣 𝕔̧𝕒 𝕢𝕦'𝕖𝕝𝕝𝕖 𝕖𝕤𝕥 𝕡𝕒𝕣𝕥𝕚𝕖 ! 𝔼𝕝𝕝𝕖 𝕖́𝕥𝕒𝕚𝕥 𝕥𝕣𝕠𝕡 𝕓𝕚𝕖𝕟 𝕡𝕠𝕦𝕣 𝕥𝕠𝕚 !Je pleure de rage et sens quelque chose m'envahir. C'est inqualifiable. Je perds tout contrôle et toute clarté. Mon corps se déchaîne.
Des bruits sourds et des railleries toujours plus violentes me parviennent par bribes. Puis le silence. Si apaisant pour mon esprit torturé. Mais les secondes secoulent, et ce silence devient oppressant.
— Koridwen ... ?
Je n'obtiens pas de réponse.
— Kori ? Tu es où, là ? Réponds ! Miaule ! Fais quelque chose !
Rien.
Ma vue s'éclaircit et je parcours le studio du regard. Pas la moindre trace de cet animal. La pièce n'est pas bien grande pourtant, et rien n'est ouvert sur l'extérieur.
Une heure plus tard, après avoir retourné chaque meuble, mes draps, vidé mes placards, j'abandonne. Koridwen a disparu. Envolé. Comme s'il n'avait jamais existé. J'en reste bouche bée. Je lance un dernier regard sur la pièce dérangée et quelque chose attire mon attention. Des pages ouvertes. Une écriture que je reconnais. Un nouveau texte.
Je saisis délicatement le journal d'Almia, son chat oublié, et découvre, les yeux ébahis, que quelques pages après l'annonce de sa mort, du texte couvre à nouveau le papier.
Salut Sam...
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Afterlife
De TodoEt après, après la mort ? Voici la question existentielle par excellence... Sam, écrivain dans l'âme depuis toujours, observe les gens pour nourrir son imagination. Et Almia sera sa future cible. Ensemble, ils trouveront la réponse, ils sauront enfi...