Chapitre 4- 122, 1 kg

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Je monte une nouvelle fois sur la demoiselle de la salle de bain comme je la surnomme désormais.

La balance.

Elle seule donne la tonalité du jour, à nous les femmes. Elle a le pouvoir à elle toute seule de nous traiter de bombasse ou de gros tas juste avec quelques chiffres. D'embellir ou de détruire notre journée. Et là clairement, je sais que je vais passer une journée de merde.

Après l'altercation avec Ulrich, ses mots, son regard si froid, en rentrant chez moi, ne trouvant aucune oreille attentive à qui parler, j'ai choisi de confier mon chagrin à une autre entité devenue depuis très longtemps indispensable à ma vie de femme vide.

Mister Frigo.

Et là, c'est à un pot de Ben&Jerries Noix de pécan-chocolat que j'ai raconté mes malheurs d'où mes 500 grammes supplémentaires au compteur. Je redescends de cette diablesse que j'envoie d'un coup de pied se cacher sous le meuble du lavabo alors que j'entends Lila gratter à la porte :

— Maman ! J'ai envie de faire pipi !

Je m'empresse d'enfiler mon peignoir avant d'ouvrir à Lila qui entre dans la salle de bain d'un bond pour se poser sur le trône. Pendant qu'elle fait sa petite commission, je sens son regard me détailler de la tête aux pieds. Gênée, je me tourne à la hâte pour me brosser les dents quand j'entends ma gamine me dire de sa voix claire :

— Maman, t'es belle quand même !

Je retiens un sanglot. Moi qui m'attendais à ce que ma petite me fasse remarquer ce que j'ai dorénavant tant de mal à accepter, ce compliment sorti de nulle part vient couvrir de son brouillard tendre ma triste réalité.

— Merci, ma puce, articulé-je la voix chevrotante.

— Je suis trop contente de voir papa, change-t-elle de sujet en tirant la chasse d'eau. Je suis sûre que s'il te revoit, il va retomber amoureux de toi !

Je soupire de tristesse. Les paroles acerbes et le regard vides de Greg me reviennent mais se superposent à ceux de ce pseudo soldat dont la dernière image qu'il me reste est celle de ses billes bleues disparaissant derrière sa colère, l'eau croupie et des pétales fanés.

***

Je gare la Twingo dont le moteur pétaradant me fait craindre le pire chaque fois que j'en tourne la clé dans le barillet. L'appartement de Greg est situé dans un quartier chic, digne de la profession qu'il exerce. Cela ne fait que quinze jours qu'il est parti et déjà, les factures commencent à s'amonceler dans le logement de 75 m2 qu'il m'a laissé. J'ai conscience que d'ici quelques temps, je vais devoir reconfigurer ma vie entière et pas seulement le poids que m'a annoncé ma balance le matin. Je m'extirpe avec difficulté de ma bagnole, maudissant encore mes douleurs aux pieds qui me font penser que je suis une petite mamie à même pas trente ans.

Je jette un coup d'œil à mon portable et le relâche aussi sec dans mon sac. Pas de batterie. Je n'ai pas pu prévenir Greg de mon arrivée mais ça ce n'est pas grave. Lila qui trottine devant moi depuis que je l'ai détachée de son siège fait office de guide. C'est dingue comme cette gamine a une mémoire d'éléphant. En tout et pour tout, ce n'est que la troisième fois où elle rend visite à son père. Les deux premières fois, c'est ma Davina qui s'est chargée de la conduire. J'étais une loque durant cette période, tout juste capable de me rendre au boulot sans fondre en larmes dans les bras de la première personne qui me demanderait comme j'allais. Je me suis beaucoup reposée sur Davina qui a souvent changé les horaires d'ouvertures de son magasin pour me venir en aide.

— Maman ! Maman ! Dépêche-toi ! me hurle Lila déjà perchée sur les marches de l'immeuble.

C'est en sueur que j'arrive en bas des marches. Je me demande comment Lila a pu les grimper aussi vite. On pourrait me demander de monter le mont Everest, ce serait la même. Quand j'arrive enfin devant l'interphone et que je m'apprête à enclencher la sonnerie, la porte du hall s'ouvre comme par enchantement sur une petite mamie sortie promener son caniche. Lila n'attend même pas que la bonne femme soit sortie pour s'engouffrer dans l'immeuble. Paniquée, je tente d'en faire de même mais ma corpulence me fait bousculer la vieille qui s'offusque à la seconde. Je me retourne pour m'excuser maladroitement. Mais alors que je pense l'affaire réglée, je l'entends marmonner en sortant :

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