Chapitre 8

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« En vous remerciant, bonne fin de journée à vous.

Le défilé des clients ne cessait pas, depuis des heures. C'était la période, il le savait, durant laquelle commençait le bal des cadeaux de fin d'année. Les étiquettes bipaient sans s'arrêter sur le comptoir de la caisse, les antivols cliquetaient et claquaient en tombant, désactivés et défaits, dans les caisses sous les ordinateurs. Ses épaules, à force des mouvements répétés, en devenaient douloureuses, et Théo glissa rapidement une main dans le col de sa chemise, pour presser les muscles stressés et endoloris. Le client suivant déposait déjà une flopée de vêtements en boule sur le comptoir. Il se redressa aussitôt. Ton sourire, Théo, ton sourire, merde.

-Bonjour, dit-il.

Le client eut à peine le temps de lui répondre qu'une main se posait sur son épaule, et il leva les yeux sur la jeune femme qui prenait sa place. Ses longs cheveux sombres relevés sur sa nuque dans un chignon lâche, elle arborait sur sa poitrine le badge de manager qui lui avait été récemment remis.

-Je m'en occupe, prends ta pause, puis occupe-toi des cabines d'essayage, d'accord ?

-Super, merci.

L'immense magasin de vêtements, populaire auprès de la clientèle, désemplissait rarement durant ces périodes de fêtes. Les gens semblaient, soudain, ne plus avoir de travail et erraient entre les rayonnages durant des heures quel que soit le jour de la semaine. Que ce soit pour eux ou pour leurs proches, ils repartaient les mains pleines, le compte en banque vidé.

Alors, quand la porte de la salle de repos se referma derrière lui, étouffant le bruit des cintres, des voix, des pas de ses collègues, Théo soupira et se laissa tomber sur une chaise. Le thermos de café était toujours là, à disposition sur la petite table, froid à cette heure avancée de l'après-midi. Mais là, ses mains passant sur son visage brûlant de l'intense activité du magasin, la fatigue le rattrapa rapidement et il fit fi de l'état du café, vidant le thermos dans une grande tasse qu'il enfourna dans le micro-onde. Ce serait imbuvable, assurément, mais il en avait besoin. L'anse tournait sur le plateau, l'hypnotisant durant les trente secondes qui réchauffaient approximativement la boisson. Ce serait à peine correct. Ce serait tout juste suffisant.

Suffisant, et dans son crâne, cette notion tourna tout autant que le plateau de verre dans le micro-onde. Un peu à son image. Ça tournait, brassait de l'air, tentait d'attraper le chaud, soufflait le froid, et finalement, qu'y gagnait-il ? Un café qui n'en était que plus amer et imbuvable.

Était-il devenu ainsi, au fil des derniers mois ? Jusqu'à en être difficilement fréquentable ?

Depuis une semaine que la soirée au Manoir Pourpre avait eu lieu, Théo n'avait pas eu beaucoup de nouvelles de ses amis. Il n'avait pas forcé le destin, non plus.

Pour Richard, il avait bien compris que ce n'était plus la peine d'essayer quoi que ce soit. Quelque chose s'était rompu ce soir-là, c'était indéniable. Peut-être même avant, s'il prenait en considération tout ce qui avait été orchestré. Il était impossible d'organiser ce genre de choses au dernier moment. Une soirée mémorable, avec un final dans les bras d'un type embauché pour le baiser. Au sens propre du terme. Restait à savoir si, du point de vue de Richard, il s'agissait d'un geste affectueux ou d'un coup de couteau. Théo avait du mal à définir ces choses-là quand l'homme entrait dans l'équation. Mais s'il prenait en compte le fait qu'ils se connaissaient, alors il n'avait plus rien à espérer de sa part. Encore moins un retour, et quant à des excuses, ce serait de l'ordre du rêve.

Durant ces cinq jours, ils avaient tous endossés de nouveau leurs casquettes d'employés, de retour dans leur quotidien. Théo avait à peine donné signe de vie durant ce laps de temps, répondant aux messages les moins personnels, évitant sciemment ceux qui posaient des questions sur son attitude évasive et lointaine. Kyle était, avec Richard, le seul à ne pas avoir donné de nouvelles, à rester silencieux depuis la soirée.

Ma femme s'appelle Eric [Passion au Manoir Pourpre 1] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant