III. Et la fumée encore et encore.

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III. Et la fumée encore et encore.

Le bahut était plus petit que son ancienne école, quelques cent dix élèves de seconde pour quatre classes environ. Les salles de classes étaient plus petites, plus lumineuses, l’ambiance plus familiale, moins violente, moins propice à la concurrence.

Acia avait rencontré tout le petit groupe de filles. Elle était restée collée à Lou tout du long, et cette dernière, à sa grande surprise, avait parue contente de l’accueillir dans le groupe. C’était une belle fille, très tactile, qui ne cessait de rire, de parler, d’ajouter quelque chose, une touche personnelle. Il apparut qu’elle habitait pas loin d’Acia, tout près de l’endroit où habitait Violette.

Cette dernière était de corpulence étonnamment fine, dotée d’une taille minuscule soulignée par des formes marquées. Les garçons la dévisageaient au passage, bien plus que toutes les autres. Elle s’en fichait clairement, ne leur accordant pas le moindre regard. Violette avait les cheveux déteints, et ils tiraient vers le magenta, une couleur qui soulignait parfaitement ses yeux presque noirs. Elle était discrète, intelligente, et constamment perdue dans ses pensées. Les autres filles semblaient la regarder avec un certain mépris, une incompréhension pourtant indéniablement teinte de jalousie. Là encore, Violette se contentait de suivre le groupe, de se taire, et d’observer celles qui parlaient d’elle. Elle s’en foutait et ça se voyait dans son regard, dans ses vieux joggings et ses t-shirts courts, ses écouteurs aux oreilles et son maquillage qui cernait ses paupières.

Un moment, Acia se retrouva seule à seule avec elle, puisque les autres s’étaient déplacées pour rejoindre le groupe de mecs, dans le coin le plus reculé de la cour, qui discutaient en groupe, l’air faussement décontracté. Violette n’avait pas bougé d’un poil et Acia non plus.

-       - T’aimes bien, le groupe 

      - Ça fait franchement qu’une journée que j’y suis, j’en sais trop rien. C’est pas trop moi, tout ça, mais j’aime bien Lou, et vous avez toutes l’air sympa.

-      - Tissu de conneries, rit Violette, et Acia rit aussi car c’était vrai, elle avait dit n’importe quoi pour ne pas vexer son amie. La vérité, c’est que t’es comme moi. Tu t’en balances pas mal de leurs normes et leurs discussions et leurs évènements, leurs parents en or et leurs problèmes de mecs à la con. T’es comme moi, t’es pas pareille mais tu te tais et tu suis parce que c’est toujours mieux que de se retrouver seule avec ses pensées, ça finit toujours mal, en général avec un rasoir au-dessus du lavabo et la douleur qui coule le long de l’évier.

Acia n’avait rien dit. Elle avait contemplé les yeux noirs, les yeux de pierre. Elle avait sourit. Elle s’était blottie contre Violette, avec un sentiment de réconfort qui lui réchauffait le cœur.

Au bout d’un moment, cette dernière brisa leur étreinte pour sortir un paquet de cigarettes. Acia avait déjà fumé, une fois ou deux. Elle ne savait pas trop ce que c’était, crapoter, ou avaler, ou aspirer, alors elle faisait comme elle pouvait le plus discrètement possible et c’était très bien comme ça, on lui foutait la paix. Elle a prévenu Violette et celle-ci lui a dit qu’elle ne l’obligeait pas, que c’était comme elle voulait.

Alors Acia suit parce que c’est ce qu’elle a toujours fait. Parce qu’elle a quatorze ans et que Violette a des yeux trop noirs et des pulls trop larges, qu’elle la comprend, qu’elle est la première à savoir alors qu’elle n’a rien eu à expliquer. Violette allume la cigarette. Elle inspire. Largement. La fumée rentre dans sa gorge et elle la recrache, mais délicatement, comme une œuvre d’art qu’on a peur de briser. Elle libère la fumée et celle-ci virevolte doucement dans l’air, en spirales nettes, un panache blanc opaque.
Et Acia prend la clope entre ses doigts trop fins, et les cendres rougissent petit à petit, consumant le tabac lentement, détruisant le papier blanc et brun. Acia pose la cigarette entre ses lèvres. Elle aspire, pour que ça aille bien tout au fond de sa gorge, et elle relâche le tout lentement, en essayant d’avoir l’air naturel, décontractée, sexy comme Violette qui s’en fout et qui est belle.
Acia se retient de tousser. Elle en reprend. Elle sent l’odeur âcre du feu et la chaleur qui remonte le long de ses doigts avec des picotements occasionnels. Elle voit la beauté de la fumée, la beauté de ce qui tue entre ses lèvres entrouvertes et elle en reprend et elle admire. Violette s’en rallume une et le grésillement imperceptible résonne dans ses oreilles et elle aime ça, elle aime le danger et l’odeur et l’arrière-goût au fond de la gorge. Comme un nouveau départ, enfin.

Le Chaos Des ÊtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant