IV. Les Miroirs.
Elle a grossi. Dans le miroir des chiottes de l’école elle voit bien que son ventre n’est plus assez plat et que ses mollets sont trop épais, et elle sent le regard des autres filles s’attarder sur elles avec un ricanement moqueur. Salopes. Les salopes aux seins gonflés et aux jambes parfaites.
Acia relève les yeux vers le miroir. Elle chantonne sur un air de Janis Joplin, parce qu’elle a une voix qui la touche, qui la rend légère, et parce que c’est cet air là qui jouait le jour où elle a compris.
Il s’appelait quelque chose du genre Timothée ou Thiméo et il était beau, avec sa frange de cheveux clairs qui lui tombait devant son regard trouble aux yeux bleu foncés, avec ses fossettes sur le côté de son sourire. Ils étaient en sixième ou en cinquième, elle avait onze ans et lui aussi. Un samedi, son petit groupe était parti au centre commercial du coin et celui de Thiméo également : au final, ils s’étaient tous retrouvés dans un petit café qui servait des limonades et des boissons fraiches. Acia était partie lui parler avec une de ses amies, et il avait paru sympa, ouvert, en plus d’être simplement beau ; puis sa pote était partie draguer quelqu’un d’autre et Acia s’était retrouvée seule avec lui. Ils s’étaient assis sur un banc, quelque part, et il avait gardé sa façade de tombeur pendant quelques minutes encore.
Puis il était allé droit au but, louchant sur le petit décolleté timide d’Acia et ses jambes dévoilées par son short en jean : il s’était penché, attrapant ses lèvres entre les siennes, laissant courir sa main contre sa peau. Le contact avait duré deux secondes, le temps qu’il fallut à Acia pour s’écarter d’un bond. Il avait paru extrêmement satisfait, avec son petit air arrogant à la con et son sourire qui n’était plus charmant mais prétentieux.
Elle était partie. Déçue. Elle avait vagabondé quelques minutes, le temps de trouver un endroit un peu tranquille pour méditer ces derniers instants : elle finit par se glisser dans une cabine d’essayage d’une boutique, H&M ou une enseigne du même style. Elle s’était laissée glissée le long du miroir, passant une minute ou deux allongée contre la surface glaciale, bercée par les airs de rock connus qui passaient en boucle : puis elle s’était retournée, ses yeux chocolat lui renvoyant son regard abattu. Une toute petite fissure sillonnait le coin du miroir, et elle avait passé son doigt, lentement, sur la faille.
Nous sommes des impressions, des reflets, des miroirs aux contours faiblement esquissés par notre physique, notre démarche, notre sourire, notre aura, ou notre réputation ; un dessin vague dont on peu tomber amoureux, une illusion, une couverture pour ce qu’il y a derrière la surface lisse et parfaite de la glace. Ce qui se cache derrière le reflet de ce que nous souhaitons laisser paraître, ce que nous dissimulons derrière nos visages impassibles et nos yeux vides d’émotions.
Acia avait compris. Thiméo avait laissé paraître une faille dans la surface de son miroir, lui dévoilant une partie de ce qu’il était vraiment, brisant le charme du faux, de l’illusion dont elle était amoureuse bêtement.
" I can't take it no more baby,
And furthermore, I don't intend to,
I'm just tired of hanging from the end of a string, honey,
You expect me to fight like a goddamed mule."
Et Janis Joplin qui criait de sa voix brisée, défoncée, rocailleuse, et effroyablement belle, à te niquer le cœur et te foutre en l’air l’âme.
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Le Chaos Des Êtres
Teen FictionIl n'y a pas d'indulgence. Il n'y a que les barrières morales que nous nous sommes dressées. Il n'y a que la douleur, le physique, le sexe, la drogue, l'adolescence qui nous brise quand elle est censée nous redresser enfin pour que l'on voit le mond...