Introduction : Quand les vautours s'en mêlent

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« Bonjour, m'sieurs dames, qu'est-ce j'peux faire pour vous ? »

- Bonjour, nous sommes reporters pour PFM TV. Auriez-vous quelques minutes pour discuter avec nous ?

- Hein ? Attendez, j'entends rien avec la flotte. J'arrive. »

Franck referme la fenêtre de son bureau, attrape sa veste et son parapluie, puis sort du bâtiment et se dirige vers le portail électrique.

« Hé ! Pas besoin de secouer comme ça ! C'est verrouillé. Qu'est-ce vous voulez ? »

M'énervent déjà ceux-là ! Toujours à mettre le nez dans qu'est-ce qui les r'garde pas. Foutus journalistes. Dès qu'il y a un macchabée, paf ! V'la qu'y rappliquent.

« Excusez-nous, nous ne vous dérangerons pas longtemps, répond la femme avec un large sourire en lâchant rapidement les barreaux de métal. »

Elle a beau essayer de m'appâter avec son joli minois, j'reconnais parfaitement sa tête de requin. Et qu'elle a les dents longues ! C'est pas à un vieux singe comme moi qu'on apprend à faire des grimaces ! C'est ça qu'on dit, hein ?

« J'ai pas trop le temps. J'suis débordé.

- Ah oui ? Vous travaillez ici depuis longtemps ?

- Vingt-trois ans.

- Ça se passe bien ?

- Hein ? J'comprends pas la question. En général ? Ou vous voulez parler de la morte ? Parce que dites-le si c'est ça, hein ?

- C'est sûr que ça a dû beaucoup vous affecter. Vous connaissiez personnellement la victime ?

- Non. Enfin, pas vraiment. C'était une bonne femme polie et bien comme il faut. Elle disait toujours bonjour. Bref, vous savez ce qu'on raconte ! Y'en a des biens, quoi ! »

La journaliste hausse un sourcil interrogateur. Franck sent le rouge lui monter aux joues.

Mais qu'est-ce j'en ai à faire de lui causer à celle-là ! Punaise ! En plus, elle m'a piégé. Comme si j'avais envie de parler de ça.

« Et m'faites pas dire c'que j'ai pas dit, hein ? C'était juste une phrase comme ça, OK ? Vous allez pas le noter, ça, hein ? »

- Quand l'avez-vous vue pour la dernière fois ? »

Mais pourquoi il bouge pas ce piaf ? Allez, ouste !

D'un coup de pied, Franck tente de faire fuir le pigeon étrangement immobile sous la pluie battante, près du portail. L'oiseau, sans s'en effrayer, s'élève un court instant d'un mouvement d'ailes pour se poser quelques dizaines de centimètres plus loin seulement.

« Heu, j'sais pas. Il y a trois jours j'dirais. Ou lundi, p't'être.

- Elle avait de bons rapports avec ses voisins alors ? Vous aviez l'air de suggérer qu'elle était cordiale.

- Ouais. Enfin, elle l'était avec moi. J'crois qu'elle s'entendait pas trop avec M. Bertrand. C'était le type d'en dessous de chez elle.

- Vous savez pourquoi ? »

Mais il va partir ce pigeon, oui ?

Dans un mouvement brusque du parapluie, Franck tente une nouvelle fois de faire fuir l'animal. Ce dernier s'envole alors et atterrit finalement sur un des piliers qui encadrent le portail.

« Hein ? Ah, non. J'sais juste qu'il pouvait pas la piffer. Après, il a un sacré caractère, M. Bertrand.

- Il y a moyen qu'on se mette à l'abri pour discuter ? »

Machinalement, Franck approche son badge de détecteur.

« Peut-être que vous pourriez nous montrer un peu la résidence ? Et aussi comment vous travaillez ici ? »

Immédiatement, il interrompt son geste. La femme lui offre son plus beau sourire. Mais ses yeux trahissent son empressement et son impatience. Franck n'a peut-être pas fait beaucoup d'études, mais il connaît la nature humaine, et cette femme ne lui aspire vraiment aucune sympathie.

« Désolé. Pas de visite. Ordre de la police. C'est une propriété privée ici. Faut respecter la vie des gens. Bonne journée.

- Monsieur, s'il vous plaît. »

Franck tourne les talons et regagne son bureau. Avant de s'asseoir sur sa chaise, il jette un coup d'œil en direction du portail. La femme se dispute avec son compagnon. Sur le pilier, le pigeon semble regarder Franck qui sent soudainement les poils de ses bras se dresser. Parcouru le temps d'un instant d'un désagréable frisson, le concierge reboutonne le haut de sa chemise.

Sacré pluie.

Alors que la voiture des journalistes quitte l'entrée de la résidence, Franck voit l'animal s'envoler.

Pas normal, ce piaf.

L'homme s'assoit dans son fauteuil et attrape sa tasse de café à peine tiède. Bien installé devant son ordinateur, il relance enfin son émission préférée. Encore trois heures à tuer avant de boucler la journée.

Contes de la Fin des TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant