Chapitre 5

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Ils n'en reparlèrent pas. Anthony n'eut pas besoin d'une seconde séance, puisqu'ils avaient fait trainer cette unique soirée en longueur, écoutants plusieurs disques, laissant Ezra se reposer un peu entre deux albums, et produisant un grand nombre de croquis.

Lorsqu'il reçut sa note (et une excellente note, d'ailleurs), il revint avec des chocolats à la librairie pour remercier son modèle, et Ezra en fut véritablement ravi.

"Je suis heureux de ce petit sacrifice, si tu as eu autant de succès, mon cher garçon.
-Tu ne veux pas voir le résultat?
-Oh, surtout pas!"

Anthony savait qu'il ne devait pas être vexé, puisqu'Ezra appréciait généralement son art, mais qu'il était trop gêné pour ça. Il décida d'oublier l'incident (tout en gardant les souvenirs de la soirée ou il l'avait dessiné, précieusement, pour les nuits ou il ne pouvait s'empêcher de penser à lui) et de continuer.

Pâques approchait. Ses notes étaient bonnes, ce qui lui garantissait de ne pas avoir de problème à passer en deuxième année, et ils avaient déjà convenu qu'Anthony pouvait laisser ses affaires à la librairie pour ne pas tout devoir déménager pendant l'été.

Mais Ezra, lui, semblait changer. Son caractère jovial s'était fait soudainement plus sombre, sans qu'il puisse expliquer ce qui causait ce tracas.

"Ce n'est pourtant pas juste après la séance de dessin..." expliquait-il à Daphné, seule oreille attentive dans les environs. Bee était là aussi, mais iel ne cessait de consulter l'écran de son téléphone.

"Par contre je connais quelqu'un qui a changé d'humeur depuis cette séance..." sous-entendu la jeune fille. "Bee n'arrête pas de parler du mannequin. A quel point c'est un imbécile, surtout.
-Mais oui, ce pauvre con de Gabriel n'a pas répondu à mon dernier message...
-Dans lequel iel l'insultait, je parie."

Anthony soupira. Décidément, ses états d'âmes n'intéressaient pas grand monde. Autant parler d'autre chose. "Vous avez déjà des infos sur la sortie au tribunal, après Pâques?
-Ouai! Ils vont nous envoyer chacun dans un procès à tour de rôle et il faudra faire des croquis d'audience. Ils ont affichés les dates et les heures, tu n'as pas vu?"

Après les cours, il alla se renseigner sur son horaire. Les croquis d'audiences étaient importants, c'était une part de sa cote de fin d'année.

Il en parla au soir à Ezra, qui blêmit.

"Vous n'êtes pas un peu jeune pour assister à ce genre de chose, toi et tes amis?
-Ça va, ils ne nous envoient pas dans des affaires sordides, je suppose. J'ai entendu une deuxième, Uriel, en parler, l'année passée le plus trash qu'ils ont eu, c'était le braquage d'une bijouterie ou le bijoutier c'était défendu et avait tiré dans la jambe du voleur..."

Ezra se servit une tasse de thé.

"Je trouve déjà cela très sinistre.
-Tu ne regardes jamais la télé?" Anthony n'avait pas besoin de réponse à cette question. Il n'y avait pas de télé ici.

Il finit par revenir à Pâques chez ses parents, pour trouver que toutes ses photos avaient disparus de la maison et que son père ne savait pas qu'il revenait. Il repartit aussitôt, maudissant sa mère et regrettant d'avoir tant dépensé pour s'acheter un billet de train.

Il rentra sans prévenir et en faisant le moins de bruit possible, pensant vu l'heure que son propriétaire devait déjà dormir. Il le découvrit à la cuisine, en train de consulter un dossier épais, et clairement en train de pleurer, aussi.

"Euh...
-Anthony!" Il sursauta et referma d'un coup sec le dossier et effaça les trace de larme sur son visage. "Tu es déjà rentré?
-Moui. Ma présence n'est plus vraiment souhaitée, là-bas.
-Oh."

Le silence était sec et coupant. Cela semblait les blesser tous les deux, et Ezra tenta de le combler.

"Je... C'est difficile, je sais. Ne pas pouvoir rentrer chez soi. Ne pas être considéré comme... légitime.
-C'est bizarre, j'ai pensé en entrant dans la librairie que je rentrais chez moi, et je me suis sentit mal chez mes parents.
-Je comprends. Au moins, tu sais que tu peux rentrer ici. Beaucoup n'ont pas cette chance. Si tu veux en parler..."

Anthony hésita. Il savait qu'il était ouvert d'esprit, ce n'était pas le problème, mais c'était... intime.

"Eh bien... Mon père n'apprécie pas que mon genre ne soit pas conforme à la binarité prôné par la société, je pense.
-Il va falloir que tu m'expliques, très cher. De mon temps, il y avait les 'pédés et les autres', et si je suis ouvert d'esprit, je viens d'une époque ou l'on parlait moins de nuances..."

Alors il tenta d'expliquer sa fluidité de genre, comment parfois il se sentait garçon, pas de problème, et parfois fille, et là, il s'empêchait de le montrer. Il lui appris son prénom féminin, et il rougit lorsqu'Ezra le prononça.

"Sache, mon cher, que si tu veux laisser Ashtoreth s'exprimer ici, tu peux. Pas de problème. Dehors, je sais que c'est difficile, mais ici... à la maison, tu es qui tu souhaites, d'accord?"

C'était au tour d'Anthony de pleurer.

"Merci.
-De rien, voyons...
-Et vous... et vous, pourquoi n'étiez vous pas légitime?
-Oh... Je ne l'ai jamais vraiment avoué, en fait. Je n'avais pas besoin, il parait que ça se voyait sur mon visage, même lorsque j'étais enfant."

Le plus jeune fit un sourire gêné. "Hum...
-Oh, je sais, tout le monde pense que je suis gay, je sais. Et moi, je sais qui je suis. Je vais te dire, je n'ai jamais touché à un homme.
-Et une femme?
-Une femme non plus, remarque." Il rigola de bon cœur.

Pour le taquiner, Anthony continua ses questions, énumérant les différents genres possibles. Oh, d'accord, il n'avait vraiment rien fait avec personne.

"Tu es asexuel, en fait?
-Je ne penses pas, non. Il faudrait vraiment que je n'ai aucun désirs, il me semble...
-Mais alors...
-Mais alors, il est tard, et nous devrions tous les deux nous coucher. Tu es peut-être en vacances, mais moi, j'ouvre la librairie demain!"

Et ils fermèrent ensemble le volet de la librairie avant de se séparer dans les escaliers.

Seul dans sa chambre, Anthony songea à ce que ce serait, d'être une jeune femme et de se promener au bras d'Ezra. Ou un jeune homme, d'ailleurs. L'important était de se promener au bras d'Ezra.

L'énorme dossier et les larmes de l'homme plus âgé revinrent en mémoire. Cela l'intriguait autant que cela lui fendait le cœur. Qu'avait-il pu arriver? Avait-il des ennuis d'argent? D'autres type de problème?

Le cœur lourd, son sommeil fut agité. Il rêva de son père qui brulait la belle robe qu'il avait acheté, puis que sa mère l'insultait, et enfin, qu'Ezra lui demandait de partir.

🐍😇

Les éléments se mettent en place...

J'ai enfin pu écrire le moment compliqué de la fic. Maintenant je vais sans doute clôturer rapidement, en évitant de bâcler le tout. Il y aura 10 chapitres ou un peu moins.

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