Chapitre 8

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"Nous souhaitons vous présenter la première témoin aujourd'hui..."

Encore une autre journée au tribunal, une autre série de témoin. Apparemment cela finirait à midi, l'après-midi sera réservé aux avocats.

Anthony étira son dos. Il ne savait pas ce qui l'achèverait en premier: la rigidité de ces bancs de bois ou la dureté des faits présentés devant la cours. A un moment donné, son cerveau s'était déconnecté. Trop d'information, trop de souffrance, trop de tout.

Ses parents étaient des cons, pensait-il. Son père l'avait rejeté. Sa mère l'avait défendu, mais pas assez fort. C'étaient des cons. Mais au moins, ils n'avaient payés personne pour le violer.

Son esprit divagua, et ses pensées se tournèrent vers Ezra, qui s'était levé comme d'habitude et n'avait pas ouvert la boutique. Il avait préparé un grand sac, avec ce fameux dossier, et il était partit avant lui.

Il se dit que s'il l'aimait, il devait lui prouver. Être là pour lui dans les moments difficile. Ce soir, il lui demanderais si tout va bien, et il l'écouterait s'il avait envie de parler.

Un avocat se leva et appela un nouveau témoin.

"J'appelle à la barre Monsieur Fell, notre avant-dernier témoin dans cette affaire..."

Et soudain c'était comme si le plafond s'effondrait sur sa tête. Non, ce n'était pas possible, cela ne pouvait pas...

Pourtant, une petite silhouette se glissa par la porte adjacente. Plusieurs personnes s'exclamèrent, et il entendit même derrière lui quelqu'un chuchoter à un autre: "C'est sans doute le témoin le plus âgé que nous ayons vu, non?
-Je ne suis pas sûre, ses cheveux blanc le vieillissent peut-être..."

Frappé de stupeur, Anthony suivit Ezra des yeux alors qu'il s'installait à sa place. Il avait l'air effrayé, mais aussi déterminé. Il se tassa sur son banc pour éviter d'être repéré.

Comme par un réflexe automatique, le crayon couru tout seul sur le papier. Il avait dessiné ce visage un nombre incalculable de fois, il le connaissait par cœur, ce n'était pas très difficile... Tout, tout sauf écouter.

Mais les mots résonnent haut et fort dans la salle.

"Monsieur Fell... veuillez décliner votre identité."

Il inspira profondément.

"Je m'appelle Ezra Aziraphale Fell. Je suis né le 22 novembre 1963..."

Quelqu'un chuchota derrière: "Carrément, le gars il est né le jour de l'assassinat de Kennedy. Je t'avais dit qu'il était vieux!
-Chut!"

"... A Amberley, dans les South Downs, pas très loin de Brighton ou j'ai fait mes études. Je suis actuellement libraire à Soho.
-Bien, merci monsieur Fell. Pour remettre dans le contexte, pour l'assemblée, je vais vous expliquer ce qui m'a poussé à vous contacter. Lorsque je représentait messieurs Smith, Jones et Pemberton, j'ai eu accès à cette fameuse pièce à conviction contenant la liste des victimes pour lesquels les Cinq ont été commissionés."

Laissant un petit silence pour tenir son auditoire en haleine, l'avocat souffla légèrement avant de reprendre.

"J'ai copié cette liste. Tous les gens qui sont passés ces deux derniers jours s'y trouvaient... Et vous, Monsieur Fell, étiez le septième nom inscrit. L'une des premières victimes, donc. Mais les six premiers, malheureusement... Je n'ai pas retrouvé de trace de deux d'entre eux, et les autres étaient déjà décédés."

Ezra ne répondit pas, gardant une expression qui se voulait neutre mais qui était surtout figée.

"Bon. Je vais devoir vous demander de témoigner devant tout ces gens. Je sais que cela peut être difficile, car vous avez gardés ses détails pour vous depuis si longtemps. Je vais faire passer au jury des photos réalisées par des experts détaillant les séquelles physiques qui vous sont restées, mais le public n'y aura pas accès, à votre demande."

Anthony ferma les yeux. Il n'avait pas besoin de voir les photos, il savait exactement de quoi il en retournait. Il aurait bien voulu s'arracher les oreilles, mais la voix d'Ezra était claire, précise, dénuée de tremblement et... froide. Ce n'était pas la voix qu'Ezra utilisait pour lui parler. Ce n'était pas naturel.

"C'était en 1976, quelques jours avant Noël, et je venais d'avoir 13 ans. J'étais triste d'être en vacances scolaire, et je ne pensais qu'à rentrer au pensionnat. On me brimait là-bas, mais on me brimait aussi à la maison, et au moins, au pensionnat, il y avait un garçon qui me plaisait. Oh, je lui ai à peine parlé, il était plus âgé, mais il ne me harcelait pas et il était vraiment charmant. J'étais sur le chemin entre chez moi et le village, ou ma mère m'avait envoyé acheter une dinde. Ils me sont tombé dessus et m'ont trainé dans une grange. Après tout ça, ils m'ont trainé devant le porche de ma maison et m'y ont laissé pour mort. Je savais déjà que mes parents avaient payés pour leur petite séance de thérapie, car ils me l'ont dit dans la grange."

L'avocat déglutit. C'était des questions qu'il ne cessait de poser à chaque victime, mais ce n'était jamais facile pour lui, apparemment.

"Bien. Je vais devoir vous demander de me décrire ce qui s'est passé dans la grange, monsieur Fell."

Alors il raconta.

Anthony quitta la salle aussitôt après la fin du témoignage, attendant que le libraire disparaisse par la petite porte sur le côté. Il se précipita aux toilettes pour y vomir son petit déjeuner.

Non, il ne pourrait pas continuer à assister au procès. Il avait assez de croquis, et il ne deviendrait de toute manière jamais dessinateur d'audience. Il lirait le résultat du procès dans le journal et ferait un rapport écrit, et puis, tant pis.

Il ne voulait plus jamais remettre les pieds dans cette salle.

Passant son visage sous l'eau, il ne fit pas attention à ses cheveux trempés lorsqu'il sortit des toilettes. Ils dégoulinaient sur le sol de l'entrée.

Assis sur l'un des banc de la salle des pas perdus, Ezra le regardait. Que faire? fuir? Dire qu'il était dans une autre salle? Faire mine de rien?

L'autre lui fit signe d'approcher. Lorsqu'il fut assis sur le banc à côté de lui, le plus âgé sourit doucement.

"Je t'ai vu dans la salle. Merci, cela m'a donné beaucoup de courage.
-Je... Je ne savais pas, je te jure, je...
-Ne t'inquiète pas. Tu as laissé traîner tes croquis l'autre jour, et j'ai reconnu mon avocat sur le dessin. Je savais que tu serais là. Cela m'a vraiment aidé.
-... vraiment?
-Oui. Et si nous allions boire un thé? Je connais un endroit particulièrement agréable dans ce quartier..."

En descendant les marches du palais de justice, une main hésitante se glissa dans celle d'Anthony. Il la serra.

🐍😇

On respire un bon coup. On se détends. Voilà.

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