L'heure du thé. Ce moment sublime à partager en petite communauté. Encore mieux quand il est pris en famille. Oui, car la famille est quelque chose de sacré. Il n'y a qu'elle qui peut tout savoir sur tous les membres de celle-ci. C'est normal : dans une lignée tout le monde doit s'aimer. Une famille c'est du partage, de la joie, des moments difficiles et des larmes. On affronte des événements ensemble, soudés. C'est banal dans une tribu si liée.
Celle-ci a son propre rituel : l'heure du thé. Tous les vendredis, les Papillon se retrouvent pour l'heure du thé. Ils aiment ce moment, c'est l'occasion pour raconter des anecdotes croustillantes sur les collègues, sur les amis ou même encore sur les voisins. Ils aiment ce temps de partage. Ce moment ou n'importe qui peut dire ce qu'il veut sur qui il veut. Ils savent qu'on ne leur reprochera rien, qu'on ne leur fera pas remarquer que ce qu'ils disent n'est pas forcément fondé. Ils le savent. Ils veulent profiter au maximum de ces instants. C'est beau une famille : quand on a besoin d'aide, elle est là pour vous soutenir, tout le temps. Voilà ce qu'est la famille Papillon : un havre de paix, un temple de l'amour familial, c'est l'autel de la confiance et de la bienveillance.
Ce vendredi, tout le monde est au rendez-vous chez les anciens. Les trois filles et deux fils arrivent les uns après les autres, accompagnés des gendres et des belles-filles. Les petits enfants, pour la plupart adolescents, sont également là pour faire plaisir ! Ce qu'ils s'amusent ! Certains viennent de loin : de l'autre bout de la ville. D'autres habitent plus près. C'est bien plus facile de se prêter main forte en étant proches les uns des autres.
Moi je suis déjà arrivé. Les cours ont fini plus tôt que prévu. J'attends mes parents, oncles et tantes. Je discute avec mes grands-parents. Ils ont des sujets de conversations assez intéressants. On parle de l'actualité. Pendant ce temps je fais chauffer de l'eau, dans des casseroles et dans une bouilloire. Il faut vraiment qu'on pense à en acheter au moins deux autres. Les premiers arrivés s'installent et ainsi de suite. Heureusement que le salon est spacieux. Tout le monde peut trouver une place et être à l'aise. Chacun parle un peu de sa journée. Enfin, les adultes parlent entre eux, nous les jeunes entre nous. Cependant parfois nos conversations se mêlent et on peut tous donner notre opinion.
Jeanne met bien en évidence ses nouvelles bottines assorties au sac acheté la semaine dernière, ce qui lui vaut d'affronter le regard jaloux de Laure qui espère que son injection de botox passera inaperçue ... Anne-Christine semble intéressée par cette merveilleuse transformation, elle pose des questions plutôt indiscrètes. Elle pourrait au moins faire semblant ... Eulalie et Romane jacassent, les pauvres, elles n'ont pas été gâtées par la nature ces deux-là. De leur côté, Amaury et Damien parlent de leur nouvelle collègue. D'après ce qu'ils disent, elle serait maigre et moche. Mouais, c'est pas vraiment pire que leurs femmes respectives ... Corentin remet sa cravate en place, ne pourrait-il pas porter un t-shirt au moins une fois dans sa vie ? Eloi conseille à Jean-Charles sa salle de sport. Les tout-petits comparent les jeux vidéo qu'ils ont eus cette semaine, tandis que ceux de mon âge, eux, comparent leurs notes. Je préfère ne pas entrer dans ce jeu. C'est la même rengaine toutes les semaines ...
L'eau est chaude. Je prends un tabouret pour pouvoir atteindre les plus hauts tiroirs, où sont rangés mes thés préférés. Je me hisse sur la pointe des pieds pour pouvoir attraper celui que je veux. Un autre me tombe sur le crâne. Rha ! Pourquoi les mettent-ils aussi haut, ceux que j'aime ! Je descends du tabouret pour ramasser la maudite boîte. Une étrange sensation s'empare de moi ... Une lourde tristesse ... C'était le thé préféré d'Antoine ... C'est fou ce qu'il me manque cet abruti ... Un thé semi-fermenté de Taïwan ... Il en avait reçu à son dernier anniversaire passé avec nous. Les autres disaient qu'il était étrange : un garçon qui, pour ses quinze ans, demandait du thé pour son anniversaire, ce n'était pas possible ! Je n'avais qu'un an de moins que lui. Mais je le comprends, je le comprenais ... Lui, il osait. Moi, je préfère rester dans les rails, au moins en apparence. J'ai peur d'en sortir et qu'on se moque de moi. Je n'aurai jamais le courage qu'il a eu de son vivant. Il s'assumait comme il était. Malheureusement il nous a quittés ça fait deux ans ... On n'a jamais retrouvé la moindre trace ... Il aurait mérité un enterrement digne de ce nom ... Aujourd'hui on aurait fêté sa majorité. En son nom, en sa mémoire je décide de prendre ce thé, que je n'aime pas, vraiment pas. Je le fais infuser. J'espère déranger ma famille, rendre l'atmosphère plus sincère car on parle beaucoup, mais la télé est allumée, ce qui généralement est un très mauvais signe.
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Nouvelles en tout genre
Historia CortaQuelques nouvelles que je posterai, j'ai fait une petite réserve, je posterai petit à petit