Je marchais en direction d'un entrepôt qui, plus j'en voyais plus précisément les finitions, m'inspirait dégoût et colère. Je devrais m'y rendre chaque mercredi conformément aux ordres de mes parents, ces démons. J'avais envie de crever et on m'offrait en pâture à un public, comme si les problèmes et la souffrance des autres étaient amusants à écouter. La douleur ne se partage pas, sinon elle se ravive. C'est un peu comme arracher violemment les points de suture d'une plaie à peine refermée. Elle se transformera en plaie béante, encore plus endolorie qu'avant.
« - Bonjour, je vous en prie, prenez place », fit une petite jeune-femme brune au maquillage ridiculement traditionnel aux arrivants, dont je faisais partie, à mon grand désespoir.
Je m'asseyais calmement sans broncher, jetant un coup d'œil à ma montre. Plus que 58 minutes avant que ce calvaire soit enfin terminé. Les chaises étaient disposées sous forme de cercle, de façon à ce que tout le monde se voie. Je fermais les yeux avec amertume, mordillant mes lèvres pour éponger le stress de la situation. J'imaginais un bâteau qui tanguait de droite à gauche, au gré des vagues imprévisibles. Je commençais à me détendre quand une voix retentit. J'ouvris les yeux.
« - Bonjour à tous. Comme vous le savez, vous faites à présent partie d'un groupe de parole pour adolescents, destiné aux ados rencontrant des problèmes de maladie mentale, familiaux, d'addiction, en échec scolaire, ou éprouvant le besoin de s'exprimer quant à une possible souffrance. Voici comment on procède ici, lors des premières séances, on se présente, on survole les situations pour ne pas brusquer, et au fil des séances, nous irons plus en profondeur. Il est crucial que vous compreniez qu'ici, on place l'écoute avant toute chose, chacun et chacune ici peut s'exprimer librement sans jugement direct ou remarque déplacée.
Nous ne jugeons pas ici, nous écoutons et rebondissons dans le plus grand respect sur ce que dit l'autre », répéta-t-elle, un grand sourire sur le visage.Elle mettait trop de mascara à mon goût. Ironique que je la juge alors qu'elle venait de proscrire tout jugement déplacé. J'espérais rapidement sortir de cette pièce.
«- Bien, je vais demander de dire chacun à votre tour votre prénom, votre âge, et la raison de votre choix de venir ici. », dit-elle d'un ton assuré.
Je balayais toute la salle des yeux, des genoux tremblants, des regards fuyards, des mains tripotant des objets aléatoires, la mixture parfaite de gens anxieux. Wow. Ça promettait ce groupe.
Je m'arrêtais soudain sur un mec aux cheveux décolorés, qui regardait par la fenêtre. Il jouait lui aussi avec quelque chose, un cutter ? Son visage pâle jurait avec ses lèvres d'un rose vif. Il avait des cernes violettes, et des yeux gris d'une clarté assommante.« Violette, 13 ans, parents divorcés et père violent »
« Léo, 15 ans, harcèlement dans mon ancien collège»C'était son tour.
Il détailla la femme responsable du groupe, avant de rétorquer « J'ai cru en l'humanité, et ça m'a rendu fou ». Voyant la moue déçue de l'animatrice, il arbora contre toute attente un sourire magnifique. Ses lèvres roses juraient avec ses dents d'une blancheur enviable. Puis il balaya le groupe des yeux, « Un peu comme vous tous, nan ? », fit-il, son rictus devenant narquois.
L'animatrice avait passé cette intervention originale, et presque tout le monde s'était présenté, à mon exception.
J'étais assise à la dernière place, en même temps. Mes clavicules me faisaient mal à force d'enfoncer mes ongles dans mes paumes. J'étais en train de me déchirer la peau, et je m'en foutais. Tout ce qui m'importait était de sortir d'ici. Les flashbacks qui s'enchaînaient dans mon esprit faisaient monter une tension déjà latente.C'était mon tour.
Moi par terre en train de penser à ce qui m'attendait. Les médocs étalés partout. Moi par terre les yeux vides, attendant que la mort m'arrache. Je relevais des yeux accablés par la douleur, les larmes menaçant de couler contre mon gré, la seule entrave à l'illusion que j'aurais pu donner. J'aurais pu mentir et dire que j'allais bien. Si seulement c'était pas aussi fort. Toute cette merde.
« Je... »
Les larmes coulaient à présent abondamment sur mon visage. Je levais les yeux vers l'animatrice.
« D'accord, nous ne voudrions pas te brusquer. Tu veux sortir un instant ? »À peine avait-elle dit ces mots que je me précipitais en direction de la sortie.
« Je l'accompagne », lança quelqu'un derrière moi.
« Non, ce n'est pas néce... »
Trop tard, il avait claqué la porte.Je me retournais, les joues humides et réchauffées par les larmes. C'était lui.
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the last tears
Teen FictionC'était une nuit, une sombre nuit d'été. L'espace d'une fraction de secondes, Lisa avait perçu l'inconcevable. Mais, et si l'inconcevable pouvait prendre l'apparence d'un jeune-homme de son âge ?