I. Anna-2

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Mes yeux m'irritent légèrement, je suis un peu rouge, les joues rosées, le teint pâle. Je suis un phénomène lumineux à moi toute seule. Un arc-en-ciel de différents sentiments, tous aussi ingérables les uns que les autres.

La porte fermée à clé, je déplace un meuble devant pour garder une infime tranquillité, ne serait-ce qu'une petite dizaine de minutes. Mes mains fragiles tiennent le balai, qui pousse chaque morceau de verre brisé, chaque fragment de souvenirs, chaque débris, miette, et partie de mes vêtements déchirés et inutilisables même cousus et reformés à l'aide d'autres tissus. Je balaye la minuscule poussière de rêve, le moindre espoir qu'un jour cela finisse. Je range ce désastre causé par une incapacité à se maîtriser, le cœur lourd d'avoir tout perdu une fois de plus, mais aussi d'avoir cru qu'une seule fois dans ma vie j'aurais eu un peu de chance.

L'armoire entrouverte, la bandoulière de mon sac en dépasse et me plonge soudainement dans un monde parallèle. Un trop-plein se joint à moi, une bouffée d'oxygène comme un manque de souffle inopiné, un immense imaginaire où mon cœur s'est réfugié plus d'une fois au cours de cette vie. Mes rêves les plus profonds surgissent de plein fouet contre mon visage et m'étourdissent un moment. Non, je suis bien ici, dans cette chambre désordonnée, mise en pagaille un peu plus tôt. Oui, je suis là, pas ailleurs.

Dans un soupir, je prends ce sac et me remémore son contenu.

Quelques affaires préparées lors d'un voyage d'études, le strict nécessaire pour quelques jours. Le voir ici, presque à l'oubliette, me pousse en avant, comme un bond, un chuchotement de confiance, un réconfort pur et simple. J'ai l'impression qu'il m'apporte l'aide dont j'ai besoin, sans préjudice, sans considération, tel un « au cas où, je suis là ». Cela peut paraître étrange, absurde pour certains, mais ce sac signifie plus que ce qu'il ne montre, il révèle la liberté, l'envol, le pouvoir de soi-même, le contrôle.

D'un coup, une poussée d'adrénaline me projette violemment et m'emporte dans une ivresse d'émotions.

Cette bande d'étoffe est soudainement passée en diagonale sur ma poitrine.

Grâce à une force inexplicable, le meuble glisse sur le côté, libérant l'accès à la porte, et me laissant partir par la seule issue possible. À peine éloignée de quelques mètres, la sensation d'épinéphrine8 se présente et se sent de plus en plus. Je cours en descendant les escaliers, je suis désormais prête à m'enfuir, à tout quitter, pour une liberté, ma liberté.

J'ouvre la porte d'entrée et me précipite vers la route.

Les invités sont là, ils m'observent tous, sans exception. Je peux lire l'incompréhension dans leurs regards, mais aussi un bon nombre de questionnements. Leurs bouches s'entrouvrent, les mots s'emballent, des sujets, des interrogations, des problèmes, une discussion, ils s'entremêlent face à l'absence de réponse. Je force le passage en voulant traverser quand, furtivement, mon meilleur ami me rattrape par la taille et me questionne rapidement, bafouillant tant il est pris de court.

Des larmes se répandent à une vitesse folle, je bute à le regarder, il serait capable de me faire absolument tout regretter, ma fuite, mon inaptitude, mon incompétence à gérer ou même la totalité des événements qui se produisent.

Jamais il ne m'avait surprise ainsi. Jamais. Et encore moins un jour comme celui-ci. Je devrais être à peu près heureuse, et profiter d'un instant d'un semblant de normalité, je devrais simplement fêter mon anniversaire en oubliant tout le reste, malgré la « fête » du matin comme du soir de ma chère famille...

Il continue de me regarder avec ce visage inquiet, rempli de crainte à mon sujet. Il persiste à me maintenir vers lui pour m'éviter toutes conneries. Il attend un quelconque signalement de ma part, mais sans force pour lui parler, je laisse place à un lourd silence. J'enlève ses mains m'enveloppant, et lui souffle un délicat et sincère « désolé » avant de partir en direction de l'arrêt de bus.

Ma tendre et chère mère affective arrive et court vers moi, son regard en dit long, elle est heureuse de m'apercevoir poussée à bout comme cela, mais aussi jubilante et amusée de me voir partir, du moins essayer. Pour elle, je suis l'innocence, l'incapacité à faire quelque chose, comme prendre une décision, ou mieux, assumer et répondre de mes actes. Je repère mon car de loin, je suis prête à me jeter contre s'il le faut, je ne désire qu'une chose ; quitter cet endroit. Elle hurle à pleins poumons des mots injurieux, tous plus vulgaires les uns que les autres, pourtant, ils ne m'atteignent plus, je suis absorbée par la venue du bus, comme attirée par ma liberté. Il ralentit, prend son temps pour s'arrêter. Personne ne m'en empêchera, je vais partir en laissant derrière moi tous secrets de famille, tous maudits souvenirs, tous actes déplacés à mon encontre.

- Tu es la faiblesse incarnée ! Dès ce soir, tu seras de retour !

Elle vocifère cette phrase comme une vérité, comme une parfaite définition de ma personne, pourtant, je suis décidée, jamais je ne remettrai les pieds ici.

Le chauffeur entame son chemin tandis que je cherche la monnaie. Mes mains tremblent, les pièces tombent au sol, mes membres réagissent en divers petits mouvements agités, j'ai peur, je suis angoissée, mais aussi frénétiquement heureuse. J'ai l'impression d'être perdue, folle également, mais éperdument au comble du bonheur. Il me tend sa paume, je n'en ai pas assez... D'un coup d'œil il me fait signe de m'assoir, mais de garder le silence tout le long du trajet, j'écoute et m'installe au fond de ce long bus.

Mon postérieur sur un siège, les pensées s'agitent, ai-je réellement pris la bonne solution, ou ai-je agi sur un coup de tête ? Ses paroles me frappent tels des coups de poignard dans le torse. Ses mots me persécutent et me baffent de plein fouet, tout me vient brutalement, tout comme ce flot d'eau ruisselant sur mon visage et chutant au sol.

La musique au volume maximum dans les oreilles, la tête baissée, pour éviter les regards en ma direction ; je ne sais plus quoi faire, ou même quoi penser. La mélodie me tue à petit feu, et me déprime davantage, les compositions de chaque auteur font écho en moi et me blessent en continu, je me reconnais dans chacun de leurs passages... J'hésite entre poursuivre mon accablement avec ces textes tristes et me plaindre sur mon sort, ou écouter du métal rock pour littéralement tout défoncer. Je suis abîmée de l'intérieur à tel point que je ne me reconnais plus. Faire face comme cela à toute cette pression, avec mon caractère attaquant tous les problèmes de front. Non, je ne suis plus disposée à réagir correctement. Je laisse l'aléatoire à ma Playlist et écoute finalement un mélange de rap métal.

***

Près d'une heure s'est écoulée, et je suis toujours posée sur ce siège, vadrouillant dans la ville sans vraiment savoir où me diriger. Il s'arrête, nous sommes à la gare. Tout le monde doit sortir, moi y compris. Les yeux encore mouillés de mes pleurs, je suis égarée, mais éloignée de mon fardeau. Je m'assois quelques mètres plus loin, sur un banc solitaire, et cherche une solution, une échappatoire à mon problème. Je suis brouillée, atteinte, et profondément déroutée par ces circonstances. Je suis partie sans même préparer ma fuite ; sans plan, sans idée, sans rien. Je suis seulement sûre d'une chose ; jamais ma mère n'appellera la police. Du moins pas immédiatement, elle est tellement fière d'elle que sa satisfaction de m'avoir en quelque sorte jetée dehors la poussera à ne pas signaler ma disparition.

Soit elle attendra le lendemain dans la soirée parce qu'elle sait que je ferais tout pour la défier, elle et son autorité ; soit une bonne semaine après pour mieux jubiler de mon « retour » après ma fuite. Dans tous les cas, malheureusement pour moi, elle le fera, bien que se débarrasser de moi pourrait lui être une solution envisageable.

La vraie famille, comme mes tantes, ou cousines, va certainement s'inquiéter et demander régulièrement de mes nouvelles mais, comme tous, elles ne feront rien, étant sûres que d'un moment à l'autre je serai là, dans mon lit, en train de réaliser la connerie que j'ai faite.

Mes heures sont comptées,


Vite, vite, je disparais.

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8 : Adrénaline

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Sourire forcéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant