IV. Papa de Julie

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- Vite les secours ! Reste avec moi jeune fille !

Du monde s'approche de nous, personne ne comprend, personne ne réagit. Je tiens une demoiselle dans mes bras à la limite de l'inconscience, et personne n'est capable de se bouger ou de saisir son bordel de téléphone et composer le numéro des urgences. Prendre des photos, des vidéos est tellement plus excitant. Je suis lassé des comportements des jeunes de nos jours. Dès que l'on a besoin d'eux, personne n'est là, mais alors pour tout filmer et faire le « buzz » sur internet, là tout le monde se précipite. Je hurle au téléphone pour que les pompiers se dépêchent, et tout ce qu'ils trouvent à me dire c'est « Calmez-vous, monsieur, quel est votre nom ? »... Ils connaissent l'adresse, je viens de la leur donner. Je ne vais pas bouger, pourquoi ne peuvent-ils pas se contenter de ces informations pour venir à son secours ?!

Je suis hors contrôle, je n'avais jamais assisté au premier plan d'un moment comme celui-ci, j'ai peur pour cette jeune fille, je ne sais pas quoi faire, et je me sens stressé, cette incapacité à pouvoir l'aider m'angoisse.

Un vibreur, une légère sonnerie, cela ne vient pas de moi, je suis toujours en ligne, je me permets de regarder les poches de la victime au sol, peut-être que l'un de ses proches s'inquiète de son absence. Effectivement, elle a un message.

« Contenu masqué."

Aucun code, je balaye de mon doigt l'écran, appuie sur l'icône des SMS, et regarde le nom. A priori, ce n'est pas un proche, aucun cœur ou Smiley n'y est, ce n'est pas un surnom non plus, et encore moins un « maman » ou « papa », je jette tout de même un rapide coup d'œil au contenu du message, je peux me tromper sur son importance, et je m'en voudrais.
Le choc total. J'espère que cela n'est qu'une coïncidence, qu'un hasard parmi d'autres, que je suis tellement sur les nerfs et angoissé que je ne suis plus capable de comprendre ou décoder les significations, que mes pensées sont simplement farfelues et mises à rude épreuve, mais je le sais. Ce n'est pas un hasard, c'est le début du désastre, des conflits.

- Papa, qu'est-ce qu'il se passe ?!

Julie court vers moi et se jette au sol pour me venir en aide. Mes cris l'ont alertée, elle pense certainement pouvoir faire mieux que moi. Ma fille s'approche paniquée par mon comportement, mais aussi par cette situation qui nous dépasse totalement, je dirais même littéralement pour être plus juste. Une fois sur les genoux à mes côtés, elle me regarde et cherche à lire mon humeur, si seulement elle pouvait s'apercevoir de ma colère profonde. Elle s'apprête à jeter un œil à la victime au sol, sans se douter une seule minute que la destinataire de son message c'était elle.

Je lui laisse à peine le temps de comprendre que je lui ordonne de rentrer dans la voiture et sans discuter, sans broncher, sans sourciller, sans un seul geste de soupir ou de mécontentement. Jamais je n'ai été autant en colère qu'à ce moment-là, et je le sens. Je suis certain que cette demoiselle va nous créer des ennuis, mais surtout exploser une fois de plus notre famille. Mes pensées sont folles, déplacées, mais j'en suis convaincu. Le regard de ma chère fille s'attarde sur elle, les yeux rivés sur son corps inerte, la voilà ma certitude, son putain de comportement en dit long. L'amie virtuelle qui d'un coup devient réelle, la voilà, elle et tous ses problèmes, elle et son incapacité à exécuter une consigne, elle et son arrogance à persister à détruire le peu qu'on a, je suis à bout et crie une nouvelle fois sur Julie.

- Je ne te le répéterai pas deux fois, rentre dans la voiture et ne discute pas !

Cette adolescente est intenable, je n'ai qu'une envie, la laisser crever sur ce gravillonnage. Elle a brisé, réduit à rien notre fille, et le pire, on était à deux doigts de la perdre, elle a réussi à lui couper toute vie, en commençant par ses amies, elle les lui a enlevées les unes après les autres, puis doucement nous, sa propre famille. Cette fille c'est le démon incarné : être l'amie la plus compréhensive, la plus gentille en nous faisant passer pour des incompétents, des gens incivilisés, des gens sans cœur et sans capacité à comprendre les sentiments. Je m'en souviendrai toute ma vie, le jour où l'on a coupé moi et ma femme tous liens entre elles, j'ai cru avoir anéanti ma fille une deuxième fois, elle pleurait sans cesse. Tous les jours, sans exception, pendant des semaines.

Pendant qu'elle se vidait de ses larmes, je m'amusais à supprimer chaque vidéo, photo, message, tout contact avec cette amie virtuelle. J'ai tout bloqué, viré chaque compte, détruit et interdit tout accès à internet sans mon autorisation.

Le problème ? Elle a réussi.

Elle est parvenue, malgré tout, à passer au-dessus de mes barrières. Jamais je ne pourrai l'aimer, et jamais je ne pourrai la respecter, elle a démoli ma famille ainsi que tous les liens que l'on a pris tant d'années à construire. Je suis dans une rage folle, une frénésie même, Julie est partie blessée encore une fois par ma faute, par mon comportement, mais elle le savait. Le choc de voir ce monstre par terre, elle savait que je ne voulais plus en entendre parler, et surtout ne plus faire le cauchemar de la voir, même en photo, elle le savait qu'en rentrant ce n'était pas la peine de dire un seul mot, qu'elle pouvait rester cloîtrée dans sa chambre un très long moment. Il a fallu que cette... espèce d'humaine virtuelle vienne gâcher une fois de plus nos liens si difficiles à renouer après sa disparition !

- ET MERDE !

Les pompiers arrivent à l'instant précis où je prononce ces mots, ils s'empressent de courir vers nous, mais surtout de me pousser sur le côté. Je n'ai qu'une envie. Partir.

- Monsieur, où allez-vous ? On a des questions à vous poser !

Je le savais. Cela ne lui a donc pas suffi de nous détruire un peu, il faut qu'elle le fasse complètement jusqu'à faire toute une histoire dans notre quartier et me foutre un interrogatoire à la con ! Comme un vulgaire suspect ! Je ne me contrôle plus, je ne me gère plus, je deviens fou. Malgré l'interdiction de partir, je me dirige vers ma voiture et accélère à fond jusqu'à notre domicile. Heureusement pour moi, la police ne me poursuit pas, je peux rentrer et essayer de me calmer.

Julie ne dit pas un mot, et c'est mieux comme ça. À la moindre parole de sa part, je peux vriller et l'assassiner de mots violents à tel point que jamais elle ne s'en remettrait.

On rapplique à la maison, elle monte dans sa chambre en gardant le silence, quant à moi, je ne prononce aucune phrase, j'ai besoin de boire un coup. J'ai besoin d'oublier un peu cette soirée, mais surtout de m'apaiser légèrement avant de tout péter.

Ma femme n'est pas là, heureusement. J'aurais eu droit à un double accès de colère. La gérer elle, en plus de cette épreuve, jamais je n'aurais pu supporter. Je bois un verre, puis un deuxième, ma fureur perd doucement de sa force, j'ouvre le frigidaire, arrache une cuisse de poulet et commence à la détruire aussi rapidement qu'elle l'a fait avec nous, je suis ingérable, tout me lie à elle, à mon cauchemar, je n'arrive pas à me calmer, j'ai envie de la pulvériser, de l'anéantir, de la réduire en miettes, de l'expédier loin d'ici, de la faire souffrir autant qu'on a souffert. Je suis à bout de nerfs, le moindre détail peut me transporter dans un accès de colère au point que tout y passe. Les mots vulgaires, blessants comme un poignard enfoncé dans la poitrine, les gestes violents prêts à frapper dans tout ce qui bouge, ça y est, j'ai atteint le degré d'excès.




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La suite la semaine prochaine, bonne semaine à tous !

Lauwern

Sourire forcéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant