II. Gaëtan

24 4 6
                                    

Le regard encore absorbé vers cet arrêt, je ne comprends pas ce qu'il s'est passé, elle était si heureuse de pouvoir tous nous inviter pour une fois, la première fois depuis longtemps d'ailleurs. Au téléphone, le jour où elle me l'a annoncé, elle avait le sourire aux lèvres, les yeux pétillants de joie, rien qu'au son de sa voix je pouvais le deviner. À cet instant, je suis dans la totale ignorance, j'ai soudain le sentiment d'être l'inconnu, le seul à ne pas pouvoir la comprendre... Je dirige mes yeux vers Hugo, son meilleur ami, mais également le mien, il a l'air tout aussi perdu que moi. Je cherche la maman d'Anna, mais très vite elle nous fusille et nous menace.

- La fête est terminée, partez, TOUS !

Outrés par son comportement, par ses propos, la famille, les amis, nous-mêmes, tout le monde est dirigé vers la sortie, alors qu'on venait d'entrer. Un petit troupeau venu pour elle, et chassé à cause d'elle. Mais bon sang, que s'est-il passé pour en arriver là  ?

Sa mère dévisageant chacun de nous, nous partons. Personne ne cherche à comprendre, personne. Pas même sa famille la plus proche. On était tous présents pour lui faire passer le plus beau jour de sa vie, mais clairement, on peut dire que c'est désastreux. Limite déplorable.

**Répondeur**

J'essaie de l'appeler, mais en vain. Des SMS laissés remplis d'inquiétudes, de peur, de soutien, de présence, d'attention, pourtant aucune réponse. La seule réplique, un silence pesant très lourd sur nos épaules, un étouffement, une mise en sourdine, comme totalement interrompue, et mise en retrait de sa vie. Être dans une confusion totale, dans cette vague de questions sans réponses, jamais je ne l'aurais pensé un jour, mais sa réaction soudaine et disproportionnée m'affecte énormément.

Un dernier message pour la convaincre de revenir sans faire de bêtise, mais surtout la persuader de ne pas faire quelque chose de stupide, qu'elle pourrait se reprocher plus tard...

Puis,

Le plus long ; l'attente, en espérant recevoir un signe de vie de sa part.

Anna c'est le genre de tête de mule à qui on galère à faire entendre raison, mais encore plus à la dissuader dès qu'une idée lui traverse l'esprit. Si partir était sa meilleure option, c'est qu'une multitude d'émotions l'a transpercée et poussée à bout au point de s'enfuir. Seulement, pourquoi ? Je sais qu'elle a des soucis, les uns plus durs que les autres, pourtant, on se parlait, et plus concrètement, on trouvait une solution. Je la réconforte dès qu'elle m'appelle, dès qu'elle en ressent le besoin, mais jamais je ne l'aurais cru capable de partir comme elle l'a fait, sans même me parler avant, sans même se confier.

Plusieurs fois, elle s'est réfugiée chez moi alors que j'étais en pleine partie sur l'ordinateur, à de nombreuses reprises je stoppais mes activités pour l'écouter. Être simplement là pour elle, tout comme elle le faisait pour moi. Le sentiment de sécurité, d'assurance, d'espérance, mes parents avec leurs sourires et mes paroles la faisaient réellement se sentir mieux.

L'enfer qu'elle vit au quotidien, je le connais, et d'un autre côté, je lui soufflais lors de nos conversations tardives que peu importe l'issue, elle gagnerait toujours. La faiblesse n'existe pas sous forme d'encaissement perpétuel, mais sous forme de bombe explosée à tout bout de champ sur la même et unique personne dans un seul but  : l'anéantissement. Anna a cette force de caractère de pouvoir s'endurcir et encaisser encore et encore sans jamais boire la tasse, elle a cette ténacité en elle qui lui permet de pouvoir accumuler et garder la tête haute alors que tout s'écroule.

Après nos discussions, elle était comme rassurée d'entendre qu'elle est solide et tenace face à ce grand tout. Je pense qu'elle avait besoin de s'appuyer sur une épaule et avoir un peu de soutien pour reprendre confiance en elle. Les cascades d'événements qu'elle portait sur son dos ne pouvaient guère tenir plus longtemps, le répit n'existe pas.

Je me souviens d'un soir où ses propos m'ont choqué, le jour où j'ai appris qu'elle se faisait frapper et violenter par sa famille. Au début, je n'en croyais pas mes oreilles, puis soudain elle s'est levée. La première réaction que j'ai eue c'est de me lever aussi, pensant qu'elle voulait partir et rentrer chez elle, mais en réalité, son dos me faisait face, puis ses mains remontaient doucement son pull à manches longues. Je ne comprenais pas, mon cœur battait d'angoisse, de peur, quand soudain, des couleurs m'ont interpellé. Du bleu, du violet, un mélange de jaune et noir... Mes yeux se sont rivés sur son corps, sur ses gigantesques hématomes. Je me suis figé devant elle, sans pouvoir dire un semblant de quelque chose.

J'ai entendu des pleurs étouffés, comme désolée de faire du bruit, de se laisser aller devant moi, puis elle s'est mise à parler. Les oreilles attentives je ne savais plus quoi faire. La serrer fort contre mon torse ou débarquer chez sa famille et leur balancer leurs quatre vérités en appelant la police ? Mon cœur a pris le dessus et s'est lancé vers elle, voulant lui faire un câlin, mais ses bras m'ont littéralement jeté en arrière.

La peur dans son regard, je la voyais.

Ses manches retroussées, d'autres bleus se montraient. Le moindre geste lui faisait mal, le moindre toucher la blessait davantage, la moindre respiration provoquait un coup dans sa poitrine, suivi d'un poing dans son ventre. Les mouvements la torturaient, pourtant, jamais je n'avais remarqué une telle souffrance. Je m'en voulais pour cela, mais surtout à cet instant, de ne pas savoir comment l'aider, ou la rassurer. Elle m'expliquait le pourquoi du comment, et d'où cela partait, mais en réalité, tout, oui TOUT débutait d'un « simple » rien. Les disputes, les insultes, les défenses, les remarques...

Sa sœur la battait jusqu'à obtenir ce qu'elle exigeait, mais bien sûr, Anna comme un taureau suivait pour ne pas paraître faible en lui donnant satisfaction.

Je me remémore l'une de ses phrases ; « Si je me laisse faire, ce sera pire, ce sera avouer la défaite sans même riposter. Alors, se battre pour le peu qu'il me reste, me donne une chance d'y arriver, même minime. » Je l'appréciais pour sa volonté obstinée d'en découdre coûte que coûte, mais parfois, voire souvent, j'avais la ferme intention de la stopper, de la prendre dans mes bras, de la séquestrer chez moi pour la calmer et lui faire comprendre qu'elle ne joue pas que pour elle, mais pour tout son petit monde qui l'entoure. J'avais envie de lui dire que des personnes tiennent à elle, mais pour elle c'était comme se laisser faire, et signer l'acte de faiblesse...

- Eh mec, faut bouger, tu rêves ou quoi ?!

Ailleurs dans mes pensées, Hugo en face de moi, je reprends mes esprits et constate que je n'ai pas changé de place. Je suis toujours devant la maman d'Anna qui me gueule dessus comme un chien pour dégager de sa propriété. D'un bras, il me pousse vers l'avant et me sort de ce lieu. Il agite sa main devant mes yeux pour me faire des signes, mais mes facultés à comprendre ou réagir sont minimes, je suis autre part, à cent lieues de la réalité.

Il me raccompagne chez moi avec sa voiture, puis me laisse rentrer, le cœur totalement déchiré.

Mon cerveau explose, je m'anéantis, le vide prend possession de moi et m'engouffre dans un flot de larmes que je ne connaissais pas avant cette journée. J'étais si heureux de la voir, de lui souhaiter un joyeux anniversaire, de lui donner son cadeau, de lui jeter ses paillettes à la tête, de la décoiffer avec les confettis, j'étais si pressé d'observer son rire à nos conneries préparées, et rien de tout ça ne s'est déroulé. Un désert total.

Je crois qu'elle me manque, elle et sa bonne humeur, et ses yeux à en perdre la vue. Elle et son air innocent, mais effronté à la fois, j'ai besoin d'elle pour avancer, j'ai besoin qu'elle soit à mes côtés...

Posé sur mon lit, je commence à réfléchir au sens de la vie, mais surtout encore et toujours à elle. Je n'ai envie de rien. Rien, mise à part l'exception à la règle, mon exception, elle.

Ma tête s'alourdit, je me repose juste une petite minute, mais mon corps sans mon accord prend le temps qu'il désire. Les heures s'enchainent, je suis là, couché sur ce matelas dans un esprit lointain, mais surtout endormi dans un rêve très profond.



_______________________________________


N'hésitez pas à me donner vos impressions !

La suite la semaine prochaine, à bientôt !

Sourire forcéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant