Bienveillance [3/4]

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Écrit dans le cadre du concours littéraire Critère organisé par le cégep Garneau à Québec, concourscritere.ca

Partie 3/4, tous droits réservés.

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Elle n'a finalement jamais arrêté ses visites matinales et, à force de se lever aussi tôt, elle a fini par tomber malade. Sa peau rendue presque translucide avec la fatigue laisse apparaître des réseaux de veines la rendant presque verdâtre et ses yeux ne peuvent plus se fixer sur aucun objet pendant bien longtemps sans que la jeune créature grogne de douleur. Son nez a de son côté fini par s'irriter à force de mouchages répétés et offre maintenant la seule trace de rouge au milieu de son visage blême, ce qui lui donne un air comique. Finalement, une grosse écharpe cache sa bouche aux lèvres craquelées par la fièvre.

À observer ce tableau pitoyable, je me demande ce qu'elle fait encore debout. Il y a bien longtemps que je me serais créé un nid douillet dans les roseaux du lac au canard. Je n'aurais plus, dans ce cas, de toit au-dessus de ma tête, mais le feuillage conserverait ma chaleur et, plus important encore, les vieilles dames me trouveraient et me donnerait du pain pour aider ma convalescence. N'avait-elle donc personne pour l'aider à combattre cette maladie?

Je la regarde trembloter sur ses jambes, balancée par le moindre coup de vent. Elle n'a même plus l'énergie de cacher sa misère à ma vue. Elle cherche son sac et sort le petit récipient de friandises qui m'est devenu si familier, mais je ne m'approche pas encore. Le contenant lui glisse entre les doigts et son coin frappe le sol, faisant éclater le plastique. Les gâteries sont propulsées dans toutes les directions et je dois fermer les yeux pour en empêcher une de me frapper l'œil. Je ne bouge pas. Quelques insultes sifflent entre ses lèvres d'une voix cassée. Un petit « excuse-moi » les suit rapidement. Je ne bouge toujours pas.

Elle regarde l'ampleur du dégât et son regard me traverse comme si je n'étais pas là. Le pauvre animal abattu soupire bruyamment en synchronisme avec le gémissement de l'autobus qui s'arrête devant notre refuge. Elle se retourne et, quand je comprends qu'elle va tout de même, à deux doigts de l'effondrement, prendre l'autobus, je m'active soudainement. Je cours et, en deux bonds, me retrouve devant elle. Elle s'arrête brusquement et manque de basculer, mais elle se rattrape à l'embrasure de l'abri.

« Mais qu'est-ce qu'...? »

Elle lève le pied doucement et essaie de faire un autre pas en avant, mais je ne bouge pas. Son tibia glisse donc contre mon flanc alors que je lui jette un regard désapprobateur. Elle ne peut certainement pas rentrer dans le véhicule, amochée comme elle est.

« Allez, tasse-toi! (Elle renifle.) Je dois absolument me rendre à mon cours! Oui, il est un peu tôt, c'est vrai, mais je dois rencontrer le professeur avant. »

Je ne bouge pas.

« Allez, mam'selle! Je n'ai pas qu'ça à faire! »

Le chauffeur du long véhicule devient impatient. Je ne lâche pas le visage de mon amie des yeux, mais elle semble éviter mon regard. Mal à l'aise, et avec un petit saut qui frôle ma colonne, elle m'enjambe enfin. Poussée par son élan, elle attrape le cadre de la porte de l'autobus et jette sa tête par-dessus son épaule pour me saluer une dernière fois.

« Désolée! »

À peine cette excuse formulée qu'un torrent quitte sa bouche. Le chauffeur d'autobus devient livide, mais est rapidement rassuré en remarquant que le liquide visqueux avait été relâché à l'extérieur de son véhicule. Mon amie regarde son dégât, puis croise mon regard avant de ramener son attention sur la bouillie étalée sur le pavé.

« Je... crois que je vais descendre.

- Ça serait effectivement une bonne idée ma p'tite dame. »

La pauvre créature se laisse retomber sur le trottoir, défaite. Elle prend la faiblesse de son corps comme un véritable échec qui semble la courber encore plus sous le poids de ses malheurs. Je gémis doucement et cherche à approcher ma tête de sa main. Elle regarde les lumières de l'autobus se perdre dans le brouillard en me caressant doucement le crâne. Je ferme les yeux de plaisir, mais ses doigts me quittent rapidement. J'ouvre les yeux, alarmé, et j'observe mon amie s'éloigner doucement d'une allure abattue. Je la suis en trottinant, bien content qu'elle prenne enfin le repos qu'elle mérite tant.

Arrivé à sa maison, elle me tient la porte et j'entre, hésitant. Ce n'est pas un refuge que je connais, mais c'en est un qui est le sien. Je lui fais donc confiance. À l'intérieur, il fait chaud. La petite maison de banlieue est peu spacieuse, mais un énorme divan occupe quand même une grande partie de la pièce principale. Elle se laisse tomber sur celui-ci et gémit de béatitude à son contact moelleux. Je me couche aux pieds du meuble confortable.

« Mais qu'est-ce qui se passe ici? »

Le cri provient d'une seconde créature dont je ne reconnais pas l'odeur. Son allure semble agressive et j'essaie de me faire petit en écrasant sur le tapis. Son exclamation a réveillé mon amie qui essaie péniblement de sortir des brumes de son esprit.

« Je suis malade.

- Et tu crois que c'est une excuse pour ramener un chien errant? J'ai bien vu les gâteries qui reviennent dans tes dépenses!

- J'en sais rien... (Elle renifle.) J'm'en occuperai plus tard. »

Le coup d'œil sévère que nous jette alors le nouvel arrivant me fait frissonner, mais mon amie ne semble pas y porter attention. Elle dépose sa tête sur le coussin de l'appui-bras et sombre de nouveau dans le sommeil. Je m'avance en m'assurant de ne faire aucun bruit et viens lécher doucement la main salvatrice qui pend mollement du divan.

Bienveillance [Un recueil]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant