Écrit dans le cadre du concours littéraire Critère organisé par le cégep Garneau à Québec, concourscritere.ca
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Plusieurs mois plus tard, la chaleur d'un radiateur cause un incendie. Lorsque la première trace de fumée vient chatouiller mes narines, je me mets à gémir doucement, mais mes plaintes ne réveillent pas mon amie. Je me lève finalement de mon tapis douillet à la lueur de la petite flamme qui s'est maintenant installée dans les rideaux de ma colocataire et tire sa couette de lit. Je grogne sous l'effort et elle me répond d'un grondement étouffé alors qu'elle s'agrippe avec plus de force aux draps. Anxieux, je finis par échapper un jappement aigu qui la fait enfin se lever en sursaut.
« Mais... »
Le feu se répand à présent de plus en plus rapidement à travers la chambre, il est maintenant urgent de sortir. Je saute alors sur le lit et appuie mon museau contre son dos avec l'objectif de faire rouler mon amie hors de son lit. Je réussis enfin à la faire sortir dans un grand fracas. Nous entendons la voix étouffée de son voisin de chambre, réveillé par le vacarme que je venais de causer. Pourtant, après quelques coups d'œil, les deux bipèdes découvrent assez vite la cause de mon angoisse et se pressent de sortir enfin de leur logis.
Les pompiers arrivent très vite, appelés par le compagnon de ma bienfaitrice, mais aussi par les voisins dont les appels ont rapidement suivi le sien. Peu de temps après notre fuite, le feu s'est infiltré en dessous de la porte-fenêtre qui donnait sur le balcon, et les planches de la rambarde, en tombant, ont mis le feu à la bonbonne de propane qui explosa, réveillant tout le quartier. Les flammes n'avaient pas encore englouti la moitié de la maison, mais elles s'étaient propagées sur la pelouse qui brillait maintenant de mille teintes d'orange, coupant tout accès à la maison fumante. Après le choc et les premières larmes, mon amie avait tenté de retourner dans son cher refuge qui partait en fumée devant ses yeux.
« Mes livres!... Mes souvenirs!... Comment ça se fait...? Tout est de ma faute! »
Mon regard inquiet et compatissant se mêle à celui de son confrère qui l'observe sans dire un mot. Soudainement, la jeune femme s'élance vers les flammes, des larmes ruisselant sur ses joues. Sans hésiter, je m'élance à sa poursuite et attrape dans ma gueule le bas de son pantalon de nuit. Sa course s'arrête brusquement et elle s'étale de tout son long, tout juste avant les premières flammes qui lèchent la pelouse.
« Lâche-moi! »
Je ne démords pas, et je continue à tirer en petits coups secs. Le second bipède semble enfin revenir à la vie alors qu'elle essaie de ramener sa main, jusqu'alors coincée sous son corps, vers le feu. Il attrape son poignet et lui jette un regard cassant.
« Mais lâche-moi, j'te dis! Je dois essayer de sauver quelque chose...!
- Non. »
Épuisé, mes pattes cèdent et je me laisse rouler contre sa cuisse. Maintenant que l'autre créature a réagi, je sais que je peux enfin relâcher ma vigilance. Sa force est plus grande que la mienne.
« C'est de ma faute... Tout est de ma faute... »
Ses pleurs résonnent dans la nuit en écho avec les sirènes des pompiers. Les lumières des gigantesques camions rouges, bien plus grands qu'un autobus, illuminent la propriété ainsi que les maisons aux alentours. Certains animaux inquiets osent enfin sortir de leur maison, poussés par leur curiosité. Notre compagnon prend les épaules de mon amie.
« Viens là... On va s'éloigner, d'accord? »
Elle marmonne une réponse, mais ne résiste pas lorsqu'il la redresse. Les deux bipèdes se lèvent et s'éloignent sans quitter la maison en flamme des yeux. Je les suis sans un bruit.
Les pompiers s'élancent avec leurs longs tubes noirs qui crachent leur torrent d'eau sur l'ancien refuge. Bien que plus petites, les rivières qui ont tracé leur chemin sur les joues de mes compagnons semblent être de nouveau nourries par une source inconnue. Je regarde tristement la maison se noircir. Mon amie s'effondre de nouveau et se cache enfin le visage sur l'épaule de son compère. Elle pleure bruyamment sans pouvoir s'arrêter et son être est traversé de tremblements incessants. Il ne lui reste plus que son corps et cette réalisation semble la bouleverser plus que tout. Ce n'est pas si mal, elle pourra toujours profiter des couchers et des levers de soleil. Elle pourra toujours entendre la pluie tomber au printemps. Peut-être que ce traumatisme lui enlèvera l'idée d'ingérer de la fumée? Je suis amusé par cette idée. Certaines choses ne changeront pas aussi facilement.
Un dernier frisson la secoue doucement alors que son regard replonge dans le vague, ses yeux vidés de toute leur eau. Un sentiment de vide semble l'engloutir, je m'approche donc pour lui rappeler ma présence. Je me presse contre sa jambe et je continue d'observer ses souvenirs qui s'évaporent avec le feu. Je me dis que je devrai redoubler d'efforts pour en construire de nouveaux pour les remplacer.
Au moins, elle m'a pour l'aider à surmonter cette nouvelle épreuve.
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Bienveillance [Un recueil]
Historia CortaUn recueil de bouteilles jetées à la mer. • Bienveillance [en quatre parties] - Soumis au concours Critère du Cégep Garneau • Attendre • Dimanche - Écrit dans le cadre de « APPEL À TOUS COVID-19 - En isolement », La Presse