🎧 𝐏𝐞𝐨𝐩𝐥𝐞 𝐡𝐞𝐥𝐩 𝐭𝐡𝐞 𝐩𝐞𝐨𝐩𝐥𝐞, 𝐁𝐈𝐑𝐃𝐘 🎧
Je suis de nouveau je, et, malgré la pluie, je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
La fille, Jumper et moi pénétrons dans le petit vestibule. Sitôt que nous avons quitté le Jardin, de gros nuages noirs se sont massés dans le ciel et la pluie bretonne a commencé à arroser le quartier. Maintenant, nous sommes tous les trois trempés. Soudain, Jumper se met à se secouer dans tous les sens, et ses longs poils projettent de l'eau partout. Je m'excuse précipitamment de l'incivilité de mon chien.
- Ce n'est rien, ce n'est ri-en, roucoule une voix chaude derrière mon dos.
- Mamaaaan, râle mon hôte en levant les yeux au ciel. Sa mère lui fait un clin d'œil. Mais son air 'j'aimerais m'enfoncer six pieds sous terre' d'adolescente blasée sonne faux : elle semble plutôt bien s'amuser. On dirait que leur complicité la relie à sa mère comme un fil d'or, et que leurs pensées passent de l'une à l'autre sans qu'aucun mot ne soit prononcé.
- Je m'appelle Alwann, enchanté de vous rencontrer, dis-je poliment,
- Je suis la mère de Grise, tu peux m'appeler Auxane, me répond-elle en souriant de toutes ses dents. Bon, vous devez être trempés, je file vous préparer des chocolats chauds !
En nous lançant un énième clin d'œil, elle s'élance dans la cuisine, en réalité un comptoir qui donne sur le salon. Grise me fait signe de la suivre, et je me laisse tomber après elle sur le canapé moelleux.
Ce salon ressemble à un nuage. Tout, du canapé en forme de guimauve géante à la petite danseuse en fil de fer sur l'étagère, de la bibliothèque ou brillent des tranches de livres multicolores à la collection de nains de jardins pastel en miniature sur la grande table de bois vernis, me donne l'impression de pénétrer dans un foyer chaud et accueillant. Le poêle crépite dans un coin et diffuse une chaleur agréable dans la pièce. L'air est rempli de vapeurs de sucre et de chocolat. Quant à la mère de Grise, pardon, Auxane, elle correspond exactement à l'idée que je me ferais d'une maman. Des yeux pétillants, un parfum musqué, et un sourire large comme la courbe de la lune, qui brille doucement dans la nuit. Ici, je me sens chez moi immédiatement.
- C'est... confortable, je tente.
En réalité, 'confortable' est un euphémisme par rapport à la perfection de ce salon. Je voudrais rester là pour toujours. Je me reprends :
- Non, c'est plus que confortable... c'est à la fois doux, coloré, ... c'est parfait.
- Rien n'est parfait, dans ce monde, chantonne Auxane de sa cuisine. Mais c'est vrai que mon salon est un bijou de douceur dans ce monde de brutes. Que penses-tu du sucre, jeune Alwann ? Rien de tel qu'un bon chocolat chaud pour résister à l'oppression !
- C'est la philosophie de ma mère, confirme Grise à voix basse, un peu comme son hakuma matata, si tu vois ce que je veux dire.
J'éclate de rire. Encore un vrai rire, qui libère ma colonne vertébrale du poids des apparences qui lui pèse un peu plus dessus à chaque heure. Je ne sais pas qui est cette fille, mais son effet sur moi est quasiment magique. Nous rions de concert quelques minutes et, encore une fois, j'oublie tous mes problèmes. Quand nous nous affalons un peu plus sur le canapé, hilares, il se produit une succession d'évènements étranges. La guimauve géante sur laquelle nous siégeons émet un craquement suspect. Dans la cuisine, le lait dans la casserole déborde et Auxane jure comme un charretier. Puis un nain de jardin tombe de la table, et toute la rangée s'écroule. Nous échangeons un regard complice et nous mettons à rire de plus belle.
C'est le moment où la mère de Grise arrive avec les chocolats chauds. Leur odeur à la fois amère et sucrée enchante déjà mes papilles, et je dois me retenir de ne pas boire toute la boisson brûlante d'un seul coup. Je jette un coup d'œil à l'intérieur du mug et ne peut retenir un cri de surprise.
- Mais... Grise (c'est la première fois que je prononce son prénom, et ses sonorités à la fois amères et sucrés résonnent délicieusement sur mon palais) ! C'est quoi ces petits trucs à l'intérieur ?
- Ça ? Des plumes de corbeaux, bave de crapaud, et langues de vipères fondues, évidemment !
Elle m'adresse une moue coquine, et je ne peux pas m'empêcher d'éclater de rire à nouveau. Toutes mes larmes ravalées et mes sanglots étouffés me quittent à vitesse grand V.
- Grise, arrête de faire peur à notre invité !, tonne sa mère de la cuisine, (elle me fait un large sourire) c'est la recette maison, jeune homme, avec pépites de chocolat et minis-chamallows fondus à l'intérieur ! Des langues de vipères fondues, n'importe quoi...
Je tente prudemment une gorgée du liquide brun-roux ou flottent des petits îlots blancs. Je le repose immédiatement. Mes papilles sont en état de choc : je n'ai jamais rien bu d'aussi délicieux. D'aussi incomparablement chaud, doux, mais avec cet arrière-goût amer, compensé par un nuage de sucre, mais sans fadeur, et avec cet arôme puissant et indescriptible... une vie ne suffirait pas pour décrire ce que je viens de ressentir. Alors je fais la seule chose qui me reste à faire : je déguste ce divin chocolat chaud, qui semble être, comme Grise, un cadeau que la vie me fait.
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Ce que nous sommes || RÉÉCRIT ||
Fiksi RemajaCamille. Camille est vivante, mais elle l'oublie trop souvent. Alors elle rase les murs et elle essaie d'être invisible. Seulement, les Souvenirs ressurgissent en marques rouges sur ses bras. Grise. Grise aimerait que sa vie soit aussi parfaite qu...