ACTE 6 - LES REMOUS INCESSANTS DE NOS VIES ✨ Grise

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🎧 𝑻𝒉𝒆 𝒔𝒐𝒖𝒏𝒅 𝒐𝒇 𝒔𝒊𝒍𝒆𝒏𝒄𝒆, 𝑷𝑬𝑵𝑻𝑨𝑻𝑶𝑵𝑰𝑿 🎧

🎧 𝑻𝒉𝒆 𝒔𝒐𝒖𝒏𝒅 𝒐𝒇 𝒔𝒊𝒍𝒆𝒏𝒄𝒆, 𝑷𝑬𝑵𝑻𝑨𝑻𝑶𝑵𝑰𝑿 🎧

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- Hé ? Grise ? Tu te réveilles ? On a IN-TER-RO !

Je fixe, hébétée, Alexa, ma malchanceuse voisine de perm. Elle lève les yeux au ciel et soupire bruyamment en agitant ses longs ongles vernis. Apparemment, je ne suis pas plus évoluée pour elle qu'un solenogastre (espèce de mollusque assez chelou, connaissance datant de mon ère naturaliste).

Donc, la SVT. Pendant qu'Alexa me récite les quarante-seize propriétés du génotype humain, je laisse mes pensées vagabonder, le regard perdu dans le mur écaillé de la salle, d'un blanc douteux. Quand on était en 6ᵉ, je croyais qu'Alexa était une sorcière, contrainte de vivre cachée, même si sa vraie nature transparaissait dans ses cils qui papillonnaient, son haleine sucrée de bonbon à la menthe ou encore ses longs ongles vernis. Mais, en fait, c'était juste une fille normale. Et pas moi. Moi, avec mes ongles mordillés de partout, mes vieux bouquins et mes rêves débiles, je n'intéressais personne. Je m'en rends compte maintenant, je n'ai jamais eu aucun véritable ami. Enfin, à part Camille. Camille, je l'ai rencontré un jour de pluie et de vent. Sortie pédagogique oblige, on avait dû se taper le bus plein de soixante ados déchaînés, et Mia m'avait lâchée pour s'installer à côté d'Adria, sa propre meilleure amie ayant le mal des transports se réfugiant devant, le siège se libérait. Vous pigez ? Moi non. Le fait est que je m'étais retrouvé toute seule à regarder les plages qui défilaient, la joue collée contre la vitre froide. Et elle s'était assise à côté de moi. Pas par intérêt, non, par simple humanité. Elle s'était assise à côté de moi, comme une feuille écarlate se déposant doucement sur le sol : prudemment, mais sûrement. Elle m'avait regardé de ses yeux ciels de printemps, embrassée toute entière de son regard. On ne s'était plus quitté de l'année.

Puis, en 5ᵉ, une fille était arrivée. Elle n'était pas particulièrement spéciale, même s'il y avait une sorte de beauté glacée dans ses yeux froids et calculateurs, mais elle avait approché Camille, furtivement, avec ses manières de prédatrice, et elle me l'avait enlevée. Tout simplement. Puis elle est repartie comme elle était venue, furtivement. En laissant l'âme de ma meilleure amie en mille morceaux de verre coupants. Et comme cadeau d'adieux, mille monstres pour la dévorer de l'intérieur. Adieu rancune, bonjour souffrance.

Je souffrais, moi aussi, de voir qu'elle se faisait aussi mal. Je voyais bien les lignes de sang qui apparaissaient, jours après jours, sur ces bras comme la carte de son cauchemar intérieur, où les ombres sont des montagnes et l'espoir une luciole. Et je souffrais, parce que je n'étais pas assez courageuse pour aller la voir, et pour être la bouée qui lui manquait dans son océan de détresse. Parce que je me sentais impuissante. Parce que j'étais impuissante. Et que je le suis toujours.

Soudain, la porte de la salle de perm s'ouvre, m'arrachant à mes regrets silencieux. Un garçon entre à la va-vite, un peu débraillé, longs cheveux d'ébène, yeux de chocolat, peau de caramel. Le garçon du parc. Alwann.

Il balaie la salle du regard, ses yeux se posent sur moi, il me sourit, de son sourire trop rare. Je rougis jusqu'au blanc des yeux et me cache derrière mon classeur de SVT. Pourtant c'est trop tard, le mal est fait. Les garçons de ma classe commencent à ricaner, autant de piques qui nous transpercent le cœur, autant de graisse qui salit nos ailes. La tension est palpable. Je peux presque entendre la rumeur qui monte.

Les coqs qui ricanent.

Les dindes qui gloussent, les poules qui caquettent.

Alexa qui pouffe bruyamment.

Lui qui baisse les yeux.

Dans quel monde on a plus le droit de sourire à ses amis ?

Car oui, on est amis. On a ri ensemble hier. On a passé deux heures chez moi, à rire et à boire du chocolat chaud et il a proposé d'aller réviser au CDI aujourd'hui. On a parlé un peu, beaucoup. De son chien surtout. Du Jardin des Plantes. De la Ville. Pas une seule fois du collège. On a préféré l'oublier.

Donc, oui, on est amis.

Pour la première fois depuis longtemps, quelqu'un s'intéresse à moi. J'ai un ami.

Alors pourquoi tout gâcher maintenant ?

Alors c'est quand qu'on invente la piqûre contre la connerie adolescente ?

Alors j'en ai marre. J'en peux plus. Je veux crier, je veux hurler contre ces liens qui nous séparent. Parce que c'est aussi ça, grandir : prendre son courage à deux mains, se lever, même si on est mort de trouille et affronter la réalité. C'est fini, le temps des rêves. Je suis l'héroïne de ma propre vie.

Je me lève.

J'ai peur.

Je me lève quand même. Il me regarde. Je le regarde. Ils se taisent.

J'ouvre la bouche. Le silence est assourdissant.

Le proviseur entre en courant.

- Une élève s'est jetée dans la Loire !

Tiens, sa moustache balance légèrement quand il postillonne.

C'est la dernière chose que je vois. Ce monde absurde devient ténèbres, et je tombe dans un ciel sans fin.

Ce que nous sommes || RÉÉCRIT ||Où les histoires vivent. Découvrez maintenant