Devil's Eagles T4 : Les Ailes Du Destin

10. Jackson

Mon père n'est pas revenu de la journée. Blizz m'a dit qu'il avait promis à Emmeline d'assister à son accouchement et qu'il tenait toujours parole.

Nous avons discuté longtemps tous les deux. Du passé, des horreurs que nous avions vécues. Nous avons comparé nos cicatrices, histoire de voir qui de lui ou de moi avait les pires.
J'ai gagné haut la main même si j'estime avoir eu plus de chance que lui dans mon malheur.

Le soir, Cherry nous a ramené de quoi manger. Cette fille est une vraie tornade. Je l'adore.

J'ai dû m'assoupir car la nuit est tombée. Je me sens observé. Je m'attends à voir Blizz veiller et je suis surpris de découvrir mon père assis sur une chaise, les bras croisés sur sa poitrine.

Un rayon de l'une éclaire son visage et le sourire qu'il m'offre en réalisant que je suis réveillé.

- Comment tu te sens ?
- Pas trop mal. Où sont mes frères ?
- Dans leurs chambres. On allait pas les laisser dormir dehors.
- Ok. Emmeline a eu son bébé ?
- Oui, une jolie petite Cara. Mais toi, dis-moi, d'où connais-tu Blizz ?

Putain, c'est la question que je redoutais. Je suis supposé lui dire la vérité, comme je l'ai promis à Blizz. Mais comment suis-je censé lui avouer ça ? Ma plus grande honte.

Je baisse la tête, dépité par la situation.
Je sens le matelas s'enfoncer. Mon père prend ma main dans les siennes.

- Quoi qu'il se soit passé dans ta vie, je ne te jugerai pas. Je sais que c'est difficile à croire, mais je t'aime. On ne se connaît pas, on ne sait rien l'un de l'autre, mais je t'aime. J'ai toujours regretté de ne pas avoir eu d'enfants. Le fait que tu sois là... C'est juste incroyable. Alors, peu importe ce que tu as pu faire, tu restera toujours mon fils.

Je relève la tête. Une larme roule sur ma joue. Si je parle, je crains de fondre en larmes. Pourtant, après une telle déclaration, je lui dois bien ça.
La vérité.

- Ce que je faisais pour Sheitan. Je ne t'ai pas tout dit... Ma mère m'a vendu à lui pour s'acheter sa drogue.

Je sens ses mains se crisper. Il n'a pas dû la voir venir celle-là.

- Sheitan est un homme avenant et poli. Il a beaucoup de charisme. Mais surtout, il aime faire souffrir physiquement et psychologiquement. Quand on tombe dans ses griffes, on a pas le choix de lui obéir. C'est ça ou souffrir le martyr... Il m'a dressé à lui obéir au doigt et à l'œil. J'ai commencé à travailler pour lui comme prostitué.

Sortir ce mot m'a coûté un effort surhumain.
Je ne suis pas le genre de personne qui se laisse abattre aussi facilement. J'ai la rage de vivre et la force qu'il faut pour surmonter un tas de merde. Le passé m'en est témoin, je suis increvable.
Comment un seul mot peut-il être à même de me terrasser avec plus de violence que tout ce que j'ai pu endurer jusqu'à présent ?

Mon père ne dit rien, il se contente de tenir ma main, de la serrer dans les siennes, de la caresser du bout du doigt. Ce simple geste suffit à me réconforter et à me donner la force de continuer.

- J'ai rencontré Nicholas, enfin Blizz, dans l'une des maisons de passe de Sheitan. On est devenu comme des frères. On se soutenait du mieux qu'on pouvait. Puis, Sheitan m'a mis dans le privé, jusqu'à ce qu'il réalise que j'étais doué avec les chiffres. Il m'a appris à tenir une comptabilité et j'ai gèré ses petites affaires pendant plusieurs années. Il avait une confiance aveugle en moi et ne se doutait pas une seule seconde que je rassemblais un maximum d'informations pour le faire tomber. Je devais juste trouver quelqu'un à qui remettre ces renseignements.

Je marque une pause lourde de sens. J'en profite pour ravaler un sanglot.
Mon père me serre la main d'une façon qui se veut réconfortante.

- Pourquoi avoir tout arrêté pour fuir ?
- Sheitan voulait que je reprenne mon ancienne activité. Et je l'aurais fait si ça avait été un autre client. Celui-là, un Russe, il est... sadique. Il n'y a aucun mot pour décrire à quel point il est... Je ne trouve pas de mot assez fort. Ça dépassait les limites du consentement. Je ne me sentais pas la force de revivre ça à nouveau.

J'entend mon père prendre une profonde inspiration. Je pense qu'il tente de se maîtriser.
Je ne distingue pas grand chose hormis ce que le clair de lune accepte de me montrer.
C'est mieux comme ça.
J'ignore si j'aurais pu supporter de voir quelconque émotion sur sur son visage ou dans son regard.

- Je veux leurs noms. Tous tes... clients.
- Pourquoi ? Ça n'a plus aucun intérêt.
- Ça en a pour moi. Ces hommes vont mourir pour ce qu'ils t'ont fait. Et ça inclut Sheitan. Mais lui, il va souffrir avant. Pas mal de frangins ont des comptes à régler avec lui.
- Tous les noms sont sur la clé USB.
- Je demanderai à Smart de me les donner. Essaie de dormir encore un peu.

Il lâche ma main et se lève. Je ressens un grand vide mais je ne veux pas paraître faible. Je l'ai déjà trop été.
Qu'il s'en aille. De toute manière, ce n'est pas comme si je m'étais attendu à autre chose.
J'ai toujours mené ma barque sans l'aide de personne, je peux continuer comme je l'ai toujours fait.

Mon père tire les tentures, masquant la lueur blafarde de l'astre sélène.
Je sens qu'il s'installe sur le lit, juste à côté de moi.
Un frisson de terreur court le long de ma colonne vertébrale. Personne n'a jamais partagé mon lit, pas même mes clients ou mes quelques conquêtes.
Sauf que ce n'est pas mon lit mais le sien.
J'ai envie de lui faire confiance, mais mon passé me pousse à être vigilant. J'ai vu ce dont les hommes peuvent être capable et je refus de commettre l'erreur de baisser ma garde.

- Je peux m'en aller si ma présence te mets mal à l'aise.

Comment arrive-t-il à deviner ce qui ne va pas sans même que je le lui dise ?
Est-ce que tout les pères font cela ou seulement lui ?
Je ne veux pas dormir avec quelqu'un, mais je ne veux pas qu'il parte.
Un auteur dont j'ai oublié le nom a écrit : "le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point".
Cette phrase prend enfin tout son sens. Mon cœur, autrefois à l'abri derrière des barrières mentales, se manifeste sans crier gare et prends le pas sur la raison.

Je me surprends moi-même à me blottir contre lui et à laisser le sommeil m'emporter.