Chapitre 2

3.1K 276 1
                                    

" Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. "

Confucius

Astride

Voilà trois mois que j'ai débarqué aux États-Unis, et plus précisément à Fremont, ville moyenne de l'état de l'Ohio, assez éloignée des grandes villes pour se sentir bien pour une campagnarde comme moi. Fremont se trouve à proximité d'un lac, la ville est entourée de forêt et de parc. J'aime cet endroit paisible, j'ai rapidement pris mes marques dans cet endroit bucolique, la forêt accueille mes balades avec mon chien, le parc mon jogging et le lac me rapproche de ma mer qui me manque tant.

Je devais selon les termes de mon patron y vivre une expérience professionnelle épanouissante, enrichissante et mémorable. La seule chose de réjouissante depuis mon arrivée est la rencontre avec mes deux colocataires Mike et Sam.

Il est neuf heures un lundi matin au bureau des services sociaux de l'état. Et comme tous les lundis et aussi les autres jours de la semaine je suis à la machine à café à attendre un miracle. Ma consommation de caféine explose tous les records. Je suis sûre que si on me fait une prise de sang, il ressort noir, je ne vais pas tarder à me promener avec une poche de caféine en intraveineuse suspendue à un pied à perfusion, pour supporter l'ennui mortel de mes journées.

Ce matin, il semblerait que je n'ai pas de chance et que ma journée va être pourrie, car je croise Janice, l'archétype de l'assistante sociale dans toute sa splendeur. Chignon rigide, jupe stricte et un chemisier aux couleurs tellement criardes que j'aimerais en cet instant précis perdre la vue plutôt que de voir cette horreur. Mais comment peut-on vendre ce genre de chose et surtout comment peut-on les acheter ? Ça me dépasse. C'est vrai que moi avec ma robe longue fleurie et mes sandales à talons on est à l'opposé l'une de l'autre. Janice pour une raison que j'ignore et dont je me fous totalement me déteste. Je plaque sur mon visage mon sourire le plus angélique.

- Bonjour Janice.

- Bonjour Astride répond-elle en écorchant volontairement mon prénom. Tu as quelque chose de prévu aujourd'hui ?

J'hésite à lui faire bouffer son foulard immonde ou l'étrangler avec, je n'ai pas encore décidé, cette femme éveille en moi des pulsions meurtrières. Elle sait très bien que je n'ai rien à faire et c'est là tout le drame. Je connais par cœur la notice d'utilisation de la cafetière, du photocopieur et de l'imprimante mais toujours pas l'ombre d'une mission. Je suis à jour de tous les livres que je voulais lire et je connais tous les ragots de la presse people. Nous sommes une bonne trentaine de personnes à travailler dans ce service, si tout le monde est assez sympa et plutôt curieux de connaître la façon de travailler à la française, seule Janice me déteste.

- Non mais je ne désespère pas. Un jour j'arriverai à prendre ta place.

Elle hausse les sourcils offusquée et s'en va en me tournant le dos. Bon débarras ! Elle a beau me prendre de haut j'ai obtenu le même diplôme qu'elle, certes en France mais je connais mon métier et au passage j'aimerai l'exercer. Je ne suis pas venue faire du tourisme ou de la figuration. En plus quand je pense à la quantité de boulot que j'avais en France ça m'ennuie un peu pour rester polie de me tourner les pouces ici. Je serais plus utile chez moi, j'envisage de rentrer si la situation ne se décante pas. L'oisiveté n'a jamais été mon truc et là je bats tous les records. Pour compenser mon absence de travail, je fais du sport et du bénévolat mais qu'est-ce que je m'emmerde la journée au bureau.

J'avise mon patron se faufiler discrètement en rasant les murs dans le but très certainement de m'éviter, il entre dans son bureau. L'occasion est trop belle. Je me précipite à sa suite.

- Chef

Il a un mouvement imperceptible des épaules qui me prouve qu'il m'a très bien entendu mais aucune envie de me répondre ou de me voir. Pas grave têtue est mon deuxième prénom et dommage pour lui je n'ai rien d'autre à faire de toute façon.

- Chef j'insiste en glissant mon pied dans l'entrebâillement de la porte de son bureau avant qu'il ne la referme.

- Astride je ne vous avais pas entendu.

Menteur

- Chef ça fait trois mois que je suis là, je devais pouvoir exercer au sein de ce service comme n'importe quelle assistante sociale. Or, je ne fais rien ! Mon visa de travail est pour un poste de travailleur social et pas pour être préposée au café et aux photocopies.

Il soupire. Je pense que depuis qu'il me connaît il aurait pu produire assez d'électricité pour alimenter sa bagnole électrique rien qu'en soufflant. Il hausse les sourcils et a une étincelle dans le regard qui ne me dit rien qui vaille. Un petit sourire que je qualifierai de sadique apparaît sur son visage mais sa réponse m'empêche de m'y attarder.

- Je sais tes compétences ne sont pas remises en cause m'explique t-il. D'ailleurs j'ai une affaire pour toi.

Je pourrais sauter de joie. Du boulot enfin ! Il me fait entrer dans son bureau et m'invite à m'asseoir. Là où mon bureau en France a une réelle âme par la décoration choisie, le sien est impersonnel au possible. Murs blancs ou plutôt jaunâtre et des piles de dossiers qui penchent dangereusement sur son bureau, pas une photo, pas une plante verte, rien qui ne puisse égayer ce lieu lugubre. Il poursuit en faisant le tour de son bureau pour me faire face.

- Le dossier du jeune Elliot Preston 10 ans.

Il me tend un dossier que je saisis rapidement. On ne sait jamais s'il change d'avis. J'en serais presque à le serrer contre mon cœur et à mordre si quelqu'un s'aviserait d'essayer de me le reprendre. Ce dossier représente enfin une opportunité de faire mon travail, de montrer ce dont je suis capable et que je n'exerce pas mon métier de la même façon qu'eux. Là où mes collègues américains préfèrent travailler à leur bureau et se déplacent peu dans les familles, moi je considère qu'il faut aller chez eux et passer du temps avec les gens pour réellement les comprendre. Le bureau est un endroit trop rigide et impersonnel pour créer une relation de confiance avec les enfants. Une fois installé face à moi il poursuit.

- Elliot a perdu ses parents dans un accident de voiture il y a un mois. Depuis c'est son frère Monsieur Aaron Miller qui s'en occupe. Nous devons évaluer si les conditions de prise en charge sont satisfaisantes pour un enfant de son âge. Dans quatre mois, le juge statuera sur la garde définitive d'Elliot à son frère.

- Et si ce n'est pas concluant, je demande

- Si ce n'est pas concluant Elliot sera confié à une famille d'accueil. Acceptes-tu ?

- Oui, je hurle presque puis reprends plus posément. C'est une mission classique pour moi, ce type d'évaluation faisait partie des affaires courantes que je traitais en France. Je pense pouvoir m'en sortir. Est-ce que j'ai carte blanche pour travailler comme je l'entends ?

- Bien sûr dans la limite des règles et des lois.

Mes doigts serrent le dossier jusqu'à en faire blanchir mes articulations. Qu'est-ce qu'il insinue ? Que je ne sais pas me tenir ou que les lois je m'en contrefous ? Je vais pour lui faire part de ma réflexion mais me ressaisi au dernier moment devant son air supérieur qui ne laisse pas de place à la discussion. A la réflexion, je pense que mon impulsivité naturelle risque plutôt de m'attirer des ennuis.

Je feuillette le dossier, pauvre enfant, la perte de ses parents et la crainte d'être confié à une famille d'accueil doivent être terriblement angoissantes pour lui. Surtout que l'image que j'ai des familles d'accueil américaines ressemble à un épisode d'esprits criminels.

Mon chef me fait signe de partir, l'entretien est terminé. Monsieur Sinclair est un chef juste et rigide mais qui manque cruellement d'humour, il devrait apprendre à se détendre. Heureuse d'avoir enfin du boulot. Je serre le dossier contre moi, puis repense à son air soulagé quand j'ai accepté. Debout la main sur la poignée de la porte je pose la question qui me turlupine.

- Pourquoi moi ?

Il me fixe, hésite puis répond.

- Parce que tu sauras rester impartiale. Et surtout tu ne les connais pas.

To run away [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant