His new beginning [Terminée]

8. Chamailleries

My imagination's too creative
They see demon, I see angel, angel, angel
Without the halo, wingless angel

Ariana Grande - in my head

SOLAL

Je n'arrive pas à croire que le temps soit passé si vite. Dix jours, déjà. D'habitude, les jours se succèdent en me laissant tous une impression de déjà-vu. C'est pour cette raison que j'attends toujours les textos de Sofía, quand je sors du boulot ; elle croise des étudiants délirants pendant que je passe mon temps en cuisine.

Dit comme ça, on pourrait croire que je déteste mon boulot. Qu'on soit clairs, j'adore cuisiner et je veux le faire jusqu'à la fin de ma vie. Mais à tout juste vingt-deux ans, je suis déjà installé dans une routine : boulot, métro, dodo. Et elle se répète, encore et encore, comme si j'étais coincé dans une faille temporelle, avec une vie monotone à en chialer. Il y a des moments où j'ai l'impression que ma vie n'a plus ni secret, ni surprise pour moi. Et je n'aime pas ça.

Enfin, je n'aimais pas ça. Jaleesa a débarqué et tout a changé depuis qu'elle est là. En bon taquin que je suis, je suis allé travailler avec une idée en tête : la titiller jusqu'à provoquer une réaction chez elle. Oui, je suis de ces gens qui seraient prêts à mourir pour un dernier fou rire et, oui, c'est stupide. Chaque matin, quand je me prépare à aller travailler, j'ai l'impression d'être sur le point de débuter une nouvelle aventure.

Faire des sous-entendus devant les autres est mon péché mignon. L'autre jour, Jaleesa s'est à moitié étouffée dans son verre quand j'ai fait une référence à peine voilée à notre rencontre, devant Kim Huê. La panique passée, Jaleesa a profité d'un moment d'inattention de Kim Huê pour me pointer du doigt et lentement passer son pouce sous son menton. Tout ça, en me fusillant du regard. Le message était très clair : Solal, je vais te botter le cul.

Mercredi, nous nous retrouvons devant le même food truck, à quelques rues du restaurant. Cette fois, c'est Jaleesa qui passe en mode offensive. Alors qu'un couple de petits vieux nous observe en catimini, elle me dit qu'elle a trouvé une destination pour notre lune de miel. Je joue le jeu et lui demande de m'en dire plus :

— J'adorerais aller aux îles Orcades en Écosse, répond-elle avec une voix si enjouée que j'aurais dû sentir la chute arriver. Le paysage est à couper le souffle.

Elle continue, très, très bas :

— Et qui sait, j'aurais peut-être le plaisir de te voir malencontreusement tomber du haut d'une falaise. Imagine un peu...

Sans se départir de son expression sadique, elle me mime en train de tomber.

— J'imagine que c'est le moment où je dois m'enfuir d'un air effrayé ?

— Touché.

Dans le même laps de temps, le couple se rapproche pour nous féliciter et nous faire part de leurs vœux de bonheur. Je manque de m'étrangler devant ce timing parfait. Les pauvres, s'ils savaient...

Avec Jaleesa, les chamailleries sont devenues plus courantes que les politesses. Nous nous battons principalement à coup de piques, devant le restaurant, car nous sommes toujours les premiers arrivés. Je me demande si Jaleesa me répond encore par pure fierté ou si elle commence à être amusée par ce manège.

Ce soir, le service s'achève à minuit et quelques, après Dieu-seul-sait-combien de couverts. Je quitte les toilettes en étouffant un bâillement, et rejoins la salle à manger où tous mes collègues discutent. C'est une habitude ici. Quand le service du soir est terminé, nous nous regroupons tous sur plusieurs tables pour manger et bavarder.