Le sacrifice

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Une nouvelle charge faillit éjecter la porte hors de ses gongs. Sans prêter attention au raffut, elle entraîna sa servante derrière le lit, face à une broderie étendue au mur. L'ornement au fond noir représentait une bataille fantastique, peuplée de chevaliers aux armures d'argent, de licornes blanches et de dragons rouges. Fascinée, elle contempla l'ouvrage, témoin d'un combat mené par les ancêtres de l'Empereur. Elle appuya sa paume sur la queue d'un lézard géant, à la gueule remplie de guerriers déchiquetés.

Aussitôt, un roulement résonna dans la pièce. Tsyla poussa un cri de surprise. Derrière la broderie, la pierre s'écarta sur un passage encastré parmi les pièces du château. L'Impératrice s'empara d'une torche accrochée au mur, l'autre main enlacée contre son fils en pleurs. Elle la tendit devant le souterrain secret, éclairant un dédale d'escaliers obscur, en colimaçon.

Sans hésiter, elle descendit les marches à la hâte. Sa servante lui emboîta le pas avec précipitation. Au détour du premier virage, la lumière du feu disparut, emportant avec elle l'image des fugitives. Dans un grondement, le mur se referma sur elles. Une couche de poussière épaisse se forma derrière la broderie.

Soudain, le verrou céda sous l'assaut d'un soldat à la carrure imposante. Emporté par son élan, il se prit les talons dans le tapis et tomba à plat ventre sur le sol. Son casque conique roula sous le lit dans un bruit métallique. Son supérieur, un guerrier râblé aux cheveux et à la barbe grisonnants, apparut derrière lui, l'épée dégainée. Par-dessus sa cote, il portait un surcot noir serti du dragon impérial. Son visage boursouflé suait, rougi par sa course. Ses yeux bruns inspectèrent la salle avec minutie. Contrarié de trouver l'endroit désert, il tortilla sa moustache effilée avec nervosité. Seul le lévrier, les crocs dénudés, se dressait face aux soldats.

– Où sont-ils passés ? s'écria-t-il d'un ton désespéré. J'ai entendu l'enfant crier ! Ils ne peuvent être loin ! Trouvez-les !

Les gardes se hâtèrent d'obéir aux ordres. Ils retournèrent le lit, les tapis, vidèrent les armoires, étendirent les vêtements sur le sol. A voir ces hommes saccager la chambre de leur maître, Hako éprouva de la révulsion -tout cela pour arracher un bébé à sa mère.

Le sergent, gagné par la rage, trépignait sur place.

– Par Dridja, où sont-ils ?

L'Empereur entra à son tour dans la pièce. Il balaya l'espace de ses yeux gris, les sourcils froncés. Il fixa la broderie d'où s'échappait la couche de poussière. Son visage s'éclaira, comme s'il venait de comprendre...

– Elles savent, murmura-t-il.

Il resta quelques instants silencieux, le regard vide, triste. Sans lire son esprit, le garçon devinait aisément son tracas : il regrettait de tuer son fils -et forcer son épouse à l'accepter. Le devoir, néanmoins -ou du moins l'idée qu'il s'en faisait, l'exigeait. Il secoua la tête, pour trier ses pensées confuses. Une ferme résignation brillait au fond de ses pupilles. Il leva une main en l'air d'un geste impérial. Ses bagues étincelèrent à la lumière du lustre accroché au plafond.

– Arrêtez tout ! s'écria-t-il, autoritaire. Arrêtez !

Sa voix fut noyée sous le remue-ménage des soldats. Le sergent gonfla sa poitrine.

– ARRÊTEZ BANDE D'IMBÉCILES ! répéta-t-il.

Les gardes cessèrent aussitôt leur action. Ils se tournèrent vers leurs commandants, prêts à recevoir les nouvelles instructions.

Le Dernier EmpereurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant