10. Marcus et Pudding

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- Hé ! Le stagiaire ! brailla mon patron.

Il s'obstine à me considérer comme un stagiaire, ce connard. Il faut pourtant que je reste aimable, poli, souriant, alors que je veux juste porter des cartons, être payé et partir de cet entrepôt qui tombe en ruine.

- Prends c'te pile, va !

Je ne réponds pas. A quoi bon ? J'ai besoin d'argent. Et il a déjà été assez fourbe pour me payer moins que prévu, parce que je l'aurais « insulté » et que c'était « inacceptable ». Le pire, c'est qu'il a la loi pour lui.

J'attrape la pile de cartons -très lourde- et la portait -difficilement- jusqu'à l'autre bout de l'entrepôt, dans une camionnette chargée d'acheminer les produits vers leurs destinataires. Mon connard de patron me fixe mal, et je me fais la réflexion qu'il ressemble à une hyène. Il a un double menton et un énorme ventre, des yeux porcins inexpressifs, il est tout en chair et en graisse. Pas un sportif, ça c'est certain.

- Bon, t'termine toute les piles de gauche et pis t'ira voir ton pote Marcus pour le paiement ! ordonna-t-il avant de s'éclipser.

Mon quoi ? Mon pote Marcus ? Mon pote Marcus ? Marcus mon pote ? Marcus le junkie défoncé au Doliprane à la fraise qui écoute Edith Piaf en se curant le nez ?

Marcus qui me fixe depuis la table de jardin en plastique qui lui sers de bureau et qui me prévient quand il y a marqué en gros en en rouge FRAGILE sur les cartons ? Marcus l'abruti qui parle au ralenti ? « Héééééé, moooon gaaaaaars, çaaaaa vaaaa ? ». Ce Marcus ? Nan, vous faites erreur.

- Héééé, vieux ! fit le concerné une voix traînante.

Oh putain. Je fais mine de pas l'entendre -pitié, ne me forcez pas à être aimable avec Marcus- et continue de porter des cartons.

- Hééééééééé, vieeeeux ! insiste-t-il.

- Hmm ?

- Tu vas bien ?

Toujours cette voix à rallonge. Ce connard va prendre dix ans à me raconter son week-end, où il est allé à la bibliothèque, a mangé un kebab et a vu ses neveux. Tout mais pas ça.

- Ça va.

J'attrape une pile de cartons.

- Moi ça va moyen. Je suis allé à la bibliothèque, ce week-end, et j'ai vu une fille splendide.

J'ai terminée de la bouger. C'est pour vous dire à quel point il est lent. Et le pire, c'est qu'il est bavard.

- Super, répondis-je distraitement.

J'attrape une pile de cartons.

- Elle m'a dit que j'étais beau et j'ai eu son numéro. Tu sais quoi ? Je crois que c'est la femme de ma vie.

J'attrape une pile de cartons.

- Je compte sortir avec elle deux ou trois fois, puis la demander en mariage. J'espère qu'on aura une fille.

J'attrape une pile de cartons. C'est la dernière.

- Mais le problème, c'est que je sais déjà le prénom si c'est un garçon. Alors que pour la fille, j'ai pensé à Gisemonde... C'est joli...

- Appelez-la Pudding ! dis-je joyeusement. Mon argent, Marcus !

- Oh, tu as terminé ? Bien, je te trouve ça...

Il me tends un chèque, je l'attrape et part le plus vite possible. Insipide, sans histoire, chiant à mourir, voilà Marcus.

Donc, ce n'est pas mon pote.

Genre, jamais.

Je sors et décide de rendre visite à mon vrai pote, qui habite à deux rues de l'entrepôt. Il y a quatre fucking étages à monter, sans ascenseur -évidemment. Gab' y habite parce que c'est pas cher, et heureusement, parce que c'est l'un de seul point positif de ce taudis.

J'ouvre la porte d'un grand coup. Un cri suraiguë salue mon entrée. Une fille quelque peu... déshabillée, sort comme une furie. Je ne lui jette pas un regard et m'avance vers Gabriel. Il me nargue avec ses grand yeux noirs. Tu m'étonne, qu'il ai tant de conquêtes.

Il est grand, avec un peau noire et des yeux assortis. Parfois, quand il sourit, on a l'impression qu'il va vous buter Ce mec pue le charisme à plein nez.

- Alors, Gabin, t'aurais pu me dire que tu ramenais des invités !

Il ronchonne, sors une cigarette, son briquet et entreprend de s'allumer une clope.

- Putain, c'est pas un malheur de voir que tu me rends visite à l'improviste ? T'aurais pu prévenir. En tout cas, respect à toi. T'as même pas maté un peu.

- Elle s'appelait comment ? fis-je.

- Bah ! ricana-t-il. Aucune idée. Un truc en A, je crois. Carla ou Chiara. Léana ?

- Patricia, peut-être ? Bon, Gab', t'es mignon mais éteins cette merde.

Il râle encore un peu, mais obtempère. La cigarette rends l'âme dans un grésillement tragique.

- Qu'est ce qu'il t'arrive, mon Harlow ? demanda-t-il. T'as un problème avec ta daronne ? La Mandragore ?

Je n'ai toujours pas compris pourquoi il appelait Viri-d'un-mètre-vingt La Mandragore, mais je suis incapable de lui faire abandonner ce surnom ridicule.

- Pour la dernière fois, grondais-je, cette connasse n'est PAS ma mère. Et non, elle est toujours tellement conne que je ne risque rien.

- Tu t'es encore tapé un mec ?

- Non. Tu me laisse m'expliquer ? Il se passe rien, je voulais juste te voir.

Il part dans un grand rire. Je m'assoit par terre et attends patiemment qu'il ai fini.

- Espèce de mytho, va. Tu changeras jamais. Trouve toi une meuf, Harlow, putain. Peut-être que ça te calmera.

- Tu déconne ? Je suis trop bien pour toute les meufs qui m'entoure. Aucunes ne m'intéressent vraiment. Et puis, je suppose que je suis insupportable.

- Pas avec moi, glissa-t-il.

- Je te signale que tu n'es pas une meuf, Gab'.

- Trouve toi un mec, alors.

La vie est simple, avec Gabin. Tu est célibataire ? Trouve toi une meuf. Tu veux pas ? Trouve toi un mec. Toujours pas ? Trouve toi une chaise.

- Non merci.

Il soupire et essaie de sortir discrètement une cigarette. Raté.

- Tu te prends pour un rebelle, mon chat, mais tu as une vie de Sainte-Nitouche ! rigola mon ami. Pas trop de visiteurs du soir, pas de cigarette, pas trop d'alcool... T'es un satané fragile !

- Et toi, t'es un beau salaud, rétorquais-je. En plus, tu participe à des reconstitutions historiques... C'est nul à chier.

- On est pas tous obligé d'avoir un QI de balai à chiotte.

Je la note, celle là.

- Toujours de vues sur personne ? demanda-t-il avec son putain de sourire en coin.

- Putain, Gab', c'est quoi ton problème ? râlais-je. On a pas le même charisme !

- Huh, tu crois ?

- Parfaitement !

Il part dans un grand rire et m'adresse un clin d'oeil.

- Haha, Harlow, tu changeras jamais... Tu vois, c'est ça ton putain de problème : t'as peur du changement, mon grand.

Harlow Leroy est un mauvais garçonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant