Lundi 1er janvier, 9h36.
Je pensais qu'il était bien plus tard que ça, putain de vibreur de portable. Il va maintenant falloir que j'attende 16h, que la vie se réveille. Putain de 1er janvier.
L'appartement d'H. est très bien. Il est pour ainsi dire, vide, si on oublie les quelques meubles de la location. L'avantage c'est que si il doit s'en aller précipitamment, ce sera très rapide de faire son baluchon pour emporter ses maigres affaires. Même les moines ont plus d'objets personnels que lui. Je sais qu'il n'est en France que depuis 6 mois mais quand même. Peut-être que sa vraie vie est chez sa copine?
En tout cas, ses placards sont vides, et les magasins sont fermés. Il faut que je répartisse intelligemment ma boîte de thon sur la journée. Ah non! Je suis médisante! Il y a du sucre glace, ce sera parfait comme petite douceur, un doigt dans le sucre glace.
9h44, par la fenêtre je regarde les rares personnes qui meublent la rue et je leur faire un tchek mental de réveillon solitaire, sinon elles seraient encore couchées, en train de digérer la fête de la veille, ou bien en train de ranger le bordel de verres à moitiés pleins, de cornichons grignotés et abandonnés sous le canapé. Ou bien, insomniaques de trop avoir rigolé, elles décident de faire un tour pour saluer les chats et autres pots de fleurs, pour leur souhaiter tout ce qu'il y a de mieux pour cette année qui commence. Ou alors, leur conjoint ayant trop bu, les vapeurs d'alcool qui s'en échappent sont étourdissantes, et les ronflements qui les accompagnent forment un duo propice à la promenade matinale, solitaire certes, mais avec un chapeau sur la tête.
9h51, je ne travaille ni pour les fabricants de préjugés, ni pour les statisticiens, mais le constat est là, ce sont toutes des femmes seules et assez âgées. Pour les pinailleurs, j'avoue n'avoir regardé que 1/4 d'heure, le temps que mon eau chaude refroidisse (dieu merci il y a une casserole et une plaque de cuisson).
9h53, mon dieu, une voiture passe, bourée de musique et de gens grisés, je leur tire mon chapeau bas, tout en espérant, en bonne apprentie vieille personne, que le conducteur est tout ce qu'il y a de plus sobre, et qu'il aime faire des tours de ville au volant de son auto qu'il a remplie de gens joyeux qui aiment le boum boum à fond le caisson.
9h57, ce que j'aime avec le nouvel an, ce sont tous ces numéros et gens que je ne connais pas qui me souhaitent une bonne année. Alors que les seuls personnes dont j'aimerai une pointe d'attention (mon ex, qui doit être trop occupé à caresser sa copine, et un garçon dont j'aimais le sourire), sont aux abonnés muets. Enfoirés.
10h03, hier sur France Inter (ahahah ça rime!), j'écoutais le responsable éditorialiste du libération qui tentait vainement de défendre son journal qui, quelques décennies auparavant, portait aux nues les pratiques indéfendables d'un écrivain qui avait pour habitude d'abuser de jeunes filles.
Et j'ai presque eu pitié de lui, qui répétait en boucle qu'il n'y avait pas eu de viol, donc pas de crime commit, mais des délits. Pas de crime mais des délits. Et il le répétait en boucle. En basant son argumentation sur le fait qu'il n'y avait pas eu pénétration il me semble.
Il m'a presque fait pitié donc, car je pense que sincèrement, il ne comprend pas ce que lui reprochent ses détracteurs, et ceux de cet écrivain. Il me semble que, depuis que les termes sur les violences faîtes aux femmes évoluent et font jour, depuis qu'il y a une prise de conscience collective grandissante des inégalités et injustices faîtes aux femmes, les hommes perdent tous leurs repères et ne savent plus du tout comment se composer une mine de circonstance. Ils ne savent plus ce qui est respectueux ou pas, et surtout, le plus grave, c'est qu'ils ne comprennent pas ce qui est grave, et pourquoi ça l'est.
Ce journaliste, pour le citer en exemple, n'avait sincèrement pas l'air de comprendre pourquoi ce que lui, avec son interview et son édito, et l'écrivain, avec ses pratiques répugnantes, avaient fait de mal.
Mettons-nous à leur place deux minutes. Nous sommes éduqués dans une société avec des codes. Ces codes, mit en place par ou pour des hommes, n'avaient jusque là pas été remis en question, et surtout, ils étaient pleinement intégrés et acceptés par les femmes qui, en devenant mère, épouses, adultes, les transmettaient de plein gré et en pleine conscience aux générations suivantes.
Et voilà que tout d'un coup, nous nous réveillons et crions au scandale, dénonçons des pratiques qui, jusque là, si elles n'étaient admises, étaient tolérées.
Aujourd'hui nous bousculons et massacrons tous les repères, mais cela va trop vite pour eux, et pour certaines d'entre nous aussi, effrayés que nous sommes par les changements. Ajoutons à cela que si on fait une généralité, tout ce qui était autrefois vaguement toléré et maintenant impardonnable et sujet à sanction. Alors les réactions sont nombreuses: certains hommes, (et femmes d'ailleurs, si on se rappelle l'article publié dans le monde et signé par un tas de femmes célèbres qui revendiquaient leur droit à se faire harceler gentiment) s'accrochent coûte que coûte à leurs acquis, en montrant les dents et en passant pour plus idiots qu'ils ne sont, d'autres sont déboussolés et ne comprennent plus ce qui est mal ou pas, donc ne savent plus où mettre les pieds. Un tout petit nombre, essaye de se renseigner et de comprendre. Mais où donner de la tête avec ces flux d'informations contraires? Moi qui suis une femme violée, je ne sais ni où donner de la tête, ni expliquer et comprendre quand et où les limites ont été dépassées.
Peut-être que pour que les gens comprennent, il faudrait leur demander ce qu'ils ressentiraient si c'était à eux, ou à des gens qu'ils aiment, que ça arrivait. Si c'était leur fille qui se retrouvait sur les genoux de cet écrivain. Si c'était leur soeur qu'on avait tripoté. Si c'était en eux, qu'on avait introduit des doigts ou autre, sans leur demander leur avis.
Pour ma part, je ne m'étais pas rendue compte que mon ex compagnon dépassait les limites. C'est quand j'ai pensé que si un jour on faisait subir ce qu'il me fait subir à ma fille, ma soeur, ma mère, mes frères, j'arracherai les yeux de cet individu, et je lui ferai manger ses couilles que j'aurais fais pourrir avant.
C'est comme ça que j'ai su que j'avais été violée. C'est comme ça que j'ai peu à peu pris conscience que certaines choses ne sont pas acceptables. N'étais-je pas anormale, de ne rien ressentir d'indigné en moi, dès le départ? Je ne sais pas, je pense que c'est pas l'éducation que se construit ce fameux curseur du respect de soi. Et étant donné les parents que j'ai eu, je ne pense pas que cela m'ait aidé de ce point de vue là. Comme tous les enfants, je dois grandir en m'affranchissant des failles que m'ont inculqué mes parents sans vouloir faire du mal.
11h45, j'ai trouvé un fond de paquet de pâtes! Et une gousse d'ail! Du coup, repas gargantuesque à base de thon aux pâtes (nom donné au prorata des doses) et à l'ail. Du coup j'ai trop mangé et envie de vomir.
Petite sieste avant de commencer à me bouger les fesses.
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Journal d'un rebondissement
RandomJournal d'un rebondissement après des violences conjugales, viol, avortement.