Double Jeu

Chapitre 1 : La rentrée

Trois mois plus tôt...

Les yeux vert d'eau de ma meilleure amie, légèrement plus petite que moi, me regardèrent d'un air admiratif et ses joues un peu rondouillettes rosirent à cause de son excitation.

- Tu n'as pas peur de la réaction de ton père ? Et de son petit-ami du moment ? Jason, je crois ?

Un sourire amusé et un peu machiavélique étira mes lèvres ni trop pleines, ni trop fines, colorées en rose fuchsia. Je haussai les épaules.

- Qu'est-ce-que tu veux qu'il fasse ? Ce qui est fait est fait. Je l'accepte comme il est. La moindre des choses, c'est qu'il fasse pareil avec moi. Pas vrai ?

Sans me répondre, elle tortilla une mèche de ses cheveux mi-longs bouclés. Elle faisait toujours ce geste lorsqu'elle était gênée. Je crus d'abord que c'était à cause de ce que je venais de dire, puis je vis ce qui l'embarrassait en suivant la direction de son regard. Juste en face de nous, de l'autre côté du trottoir, sa mère discutait passionnément avec le maire. Comme elle, elle avait des cheveux d'un blond doré plutôt rare. Ils faisaient de grands gestes mais impossible de savoir de quoi ils parlaient.

- Eh ben dis donc, ta mère a l'air en forme ce matin. Ça te dit qu'on aille se prendre un milkshake ou deux ? Je meurs de soif !

J'avais pris un ton léger mais je savais qu'il valait mieux éviter que Miranda nous voie ensemble, Bailey et moi. Surtout après ce que je venais de faire à mes cheveux ! Elle ferait une crise cardiaque ! Déjà qu'elle n'avait pas accepté le fait que mon père avait quitté ma mère pour sortir avec son petit frère ! Bien qu'ils ne soient pas restés longtemps ensemble, le couple était devenu persona non grata à ses yeux. Moi aussi j'avais été surprise au début, mais je m'en étais remise. J'éprouvais de la fierté envers mon père maintenant. Même si j'étais triste pour ma mère, pour qui ça avait été un coup dur ! Tellement dur qu'elle s'était exilée en Australie, d'où elle m'envoyait des photos radieuses toutes les semaines depuis un mois. Apparemment, elle avait récemment rencontré quelqu'un. Ça faisait tout juste deux mois que mes parents avaient divorcé. Et elle avait déjà décidé de reprendre sa vie en main et d'aller de l'avant. J'étais contente pour elle. Mais elle me manquait terriblement. Je ne la verrai que pendant les vacances, ce qui était déjà bien, mais pas suffisant à mon goût.

- Allons-y ! approuva-t-elle en accélérant le pas.

Autour de son visage rond, ses cheveux ressemblaient à une boule de feu sous les rayons insistants du soleil. Les rues étaient bondées, ce qui nous arrangeait bien pour échapper au radar Miranda. Je perdis plusieurs fois de vue sa fille, qui s'infiltrait avec adresse entre les passants, contrairement à moi qu'ils dévisageaient avec une surprise mêlée de désapprobation. À croire qu'ils n'avaient jamais vu une jeune fille avec les cheveux bleu électrique ! Ça me faisait plaisir d'être au centre de l'attention. Pour moi, l'originalité était ce qui rendait la vie intéressante. J'en avais fait mon objectif. Me distinguer des autres. Être comme je le voulais réellement, sans me soucier de leurs opinions. Être libre. J'avais pris exemple auprès de mon père pour trouver la recette du bonheur.

Bras dessus, bras dessous, on entra dans le café chaleureux mais bruyant ; lieu de rendez-vous de la jeunesse de Jane Hills. Le Biggby Coffee était l'endroit idéal pour faire ses devoirs après les cours, passer un agréable après-midi entre copains ou copines, draguer, faire des rencontres, ou se détendre tout simplement. Un grand écran plat diffusait les hits pour ceux qui aimaient la musique ; un baby-foot, une table de billard et un jeu de fléchettes étaient installés pour ceux qui voulaient jouer ; une petite bibliothèque avait été ajoutée pour les amateurs de lecture ; et quatre ordinateurs étaient proposés en libre-service. Un vrai petit paradis ! Les propriétaires, encore trentenaires, avaient réussi à s'imposer ici alors que personne n'y croyait au début.