Double Jeu

Chapitre 13 : Justice

Un mois plus tard

Pendant toute une semaine, ses victimes s'étaient succédées à la barre, livrant des témoignages qui ne manquaient pas de faire frémir les membres du jury. Beaucoup d'entre eux n'avaient pas vu mon autre personnalité à l'œuvre, mais ce n'était pas nécessaire vu ce qu'elle avait plaidé. Plus les jours passaient, et plus j'avais eu le sentiment que l'issue du procès ne me serait pas favorable. Même le témoignage de ma psychiatre renommée, Natasha Volt, et le témoignage de mes amis proches et de mes parents – qui insistaient sur ma gentillesse, mon incapacité à faire du mal aux autres et mon équilibre mental - n'étaient pas parvenus à me rassurer sur mon sort.

S'y rassemblaient pêle-mêle victimes, amis, parents, ennemis, curieux et journalistes, tous ravis d'assister à notre jugement. Chaque fois que je tournais les yeux vers Kieran, Jersey, Mme Snake, Rose, Yale et Savannah, je ne pouvais pas éviter leur regard haineux et leur visage déformé par la peur. Mes amis, eux, me souriaient pour me redonner confiance, mais ils ne parvenaient pas à dissimuler leur inquiétude. Les parents étaient sans doute les pires. Ils avaient tous la même expression de franche détermination. Enfin, les curieux et les journalistes tendaient l'oreille à la moindre miette d'information qui parcourait les rangs du public. Ils ressemblaient à des chasseurs en quête de charognes. Ils ne se préoccupaient pas de notions aussi importantes que « vérité » ou « sens moral » tant qu'ils avaient de quoi créer de nouvelles rumeurs et ainsi défrayer la chronique.

Le témoignage de mon alter ego avait eu lieu avant le mien. De sa voix grave, assurée et dénuée de remords, elle était revenue sur toutes ses actions pour me « protéger », jusqu'à la plus grave d'entre elles : le meurtre de Lucas. Sans montrer la moindre sensibilité, elle avait raconté comment elle l'avait attendue, dans l'impasse où elle savait qu'il viendrait tôt ou tard s'isoler, comment elle l'avait assommé et frappé avec une batte de baseball, avant de le poignarder. Puis elle avait expliqué comment elle avait perdu puis repris le contrôle de mon corps juste à temps pour s'occuper des deux policiers qui n'auraient sans doute pas tarder à comprendre ce qu'il s'était passé. La suite, je l'avais écouté d'une oreille seulement, car j'étais trop occupée à observer la réaction d'horreur qui se peignait sur toutes les figures que je pouvais apercevoir de là où j'étais. Cette dernière s'était un peu atténuée quand elle avait rappelé que son but, sa mission, avait toujours été d'éliminer les menaces et de me permettre d'être heureuse.

Puis ça avait été à mon tour de m'exprimer. Contrairement à elle, j'avais été impressionnée par l'attention de toutes ces personnes quand j'avais enfin ouvert les yeux. Ma gorge m'avait semblée complètement sèche et j'avais essayé de cacher mes mains qui tremblaient aux yeux des jurés et du public. Seul le coup d'œil que j'avais jeté à mon père et à ma mère avait été capable de me donner le courage nécessaire pour prendre la parole. Ma voix plus claire et tremblante que celle qui m'avait précédée avait résonné avec force dans la salle d'audience, alors que je ne parlais pourtant pas très fort. Le père de Bailey nous avait entraînées plusieurs fois à cet exercice, mais c'était plus facile à faire devant une personne que l'on connaissait que devant plus d'une centaine d'inconnus. J'avais tenté sans succès de me remémorer tous ses conseils ou les termes exacts de mon témoignage. J'avais donc improvisé en essayant de donner le plus de détails possibles sur tout ce qu'il s'était passé depuis la rentrée, mais aussi le drame que j'avais vécu l'été qui la précédait – même si évoquer ce cauchemar devant des connaissances et des étrangers était aussi embarrassant qu'horrible -, en m'efforçant d'être aussi honnête et claire que possible. J'avais senti la présence de mes superhéros préférés – hommes et femmes confondus – à côté de moi pendant toute la durée de mon discours. Et la force qu'ils me communiquaient m'avait aidée à prendre de l'assurance.