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Luz marchait avec empressement dans les rues pavées de sa ville, bravant à chaque pas le froid qui s'introduisait un peu plus dans ses vêtements, malgré le début de l'été. Le ciel était sombre et le vent fouettait sa peau dorée, rougissant ses joues et emmêlant ses cheveux bruns, qu'elle tentait vainement de glisser derrière son oreille. Mais peu lui importait ; la jeune femme pourrait faire n'importe quoi pour apercevoir, ne serait-ce qu'une seconde, celui qu'elle aimait. Sous ses pieds, les pavés gris cendré semblaient se colorer, à mesure qu'elle avançait, d'un mélange de joie orangée, d'une bouffée de beauté bleutée, de quelques sourires crépuscule. Celui de Luz, d'ailleurs, commençait déjà à s'évaser, creusant ses joues rosées de petits creux à peine visibles.

Comme tous les jours, elle avait soif de vie, alors elle prenait le bol d'air dont elle avait besoin, accompagné tout de même d'un peu de nicotine, de pollution, de caféine, et d'une mélancolie insoupçonnée, cachée peut-être au coin de son sourire.

N'y tenant plus, Luz s'alluma une cigarette, l'aspira puis expira la fumée blanche, ne devenant plus qu'un point rougeoyant dans le tourbillon de sa vie. Son regard se voilait déjà, effaçant peu à peu la malice mordorée dans ses yeux noirs, mais pas assez pour ne pas distinguer derrière tout ce gris, le garçon qu'elle cherchait.

Il était là, au coin de la rue, occupé à peindre sur les murs, des visages inconnus, des paysages oubliés, des anges déchus, des fleurs d'été. Payé par le maire qui lui avait donné carte blanche pour redonner des couleurs à la ville, cela faisait un an que le jeune homme vivait de sa passion, de ses fresques amoureuses qui semblaient chanter la liberté. Il aurait peut-être préféré le faire clandestinement, et troquer son pinceau pour une bombe de peinture pour faire éclater sa colère contre le mur, mais il était bien trop paisible pour l'oser. Le sol était son seul support et quand il s'en sera lassé, ce sera le ciel qu'il peindra, couleur corail, la teinte qu'il préférait.

Aux yeux de Luz, le jeune homme était beau comme le monde qu'il créait. Sa peau de porcelaine, son nez droit et ses cheveux bruns bouclés angéliquement, lui donnaient des allures de statue grecque. Ses yeux gris brillaient d'une drôle de manière quand il peignait, tellement que Luz ne savait plus vraiment ce qu'était le gris, tant ses yeux n'avaient rien à voir avec le ciel de la fin de soirée, le brouillard et les rues pavées.

Luz le regardait alors, en fixant les courbes de ses mouvements, ses gestes cadencés, ajoutant une touche de couleur ci et là. Elle se demandait ce qu'était le plus beau ; ses œuvres ou le voir peindre ? Souvent, observer l'artiste en mouvement était encore plus beau que la création en elle-même ; on voyait alors le corps du peintre, du poète, de l'écrivain se mouvoir alors dans une passion sauvage, faisant ressortir ses rides de concentration qu'aurait bien voulu retranscrire un sculpteur, juste pour émouvoir.

Des gouttes de pluie commencèrent à perler et rouler le long du nez aquilin de la jeune femme. Le garçon se précipita alors pour ranger ses affaires en vitesse, sans trop faire attention à ce qu'il pouvait laisser à ses pieds. La pluie s'abattit sur la peinture encore trop fraîche, qui coulait déjà, esquissant des lignes sinueuses, entre or et gris, comme celles du kintsugi. De là où elle était, Luz ne le voyait pas, mais vu de plus près, la fresque qu'avait peigné le jeune homme représentait une femme, amochée par la pluie, la peinture avait recouvert ses pommettes ; elle semblait pleurer.

Un éclair jaillit dans le ciel, suivi d'un fracas et d'une averse encore plus violente, qui fit s'éteindre la cigarette de Luz, plongeant aussitôt la jeune femme dans les ténèbres. La lumière avait disparu bien trop vite, aussi vite que le garçon.

Si tu reprends ton souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant